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À La Possession, l’écologie est l’affaire de tous #1

Par Jean-Pascal SCHAEFER, le 10 juin 2023

Manager de transition, expert énergie-environnement

Une approche ouverte largement aux matériaux biosourcés pour la partie carbone ©DR

Lancé il y a une dizaine d’années à La Possession, commune de La Réunion, l’éco-quartier Cœur de Ville montre aujourd’hui qu’il est possible de concilier une très forte ambition écologique avec l’implication des citoyens. Associant l’ambition et le réalisme, ce projet s’appuie sur la simplicité (#1) des objectifs techniques, et sur la prise en compte de l’humain (#2).

Énergie et carbone : réinventer la simplicité ?

« La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. » Antoine de Saint-Exupéry.

 

L’avenir des sociétés sera-t-il simple ou complexe ?

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Jean-Pascal Schaefer ©DR

Aujourd’hui, la complexité nous montre bien des attraits.

Illustration de cette complexité, la société tertiaire nous offre des emplois de bureau, parfois stressants, mais qui nous épargnent bien des douleurs physiques et des efforts propres à l’agriculture ou à l’industrie.

Toutefois, le développement de notre société complexe se traduit aussi par un excès de bureaucratie. Nous glissons vers une société de contrôle, de surcontrôle, de procédures, de lois, de réglementations, de normes, de certifications.

Face à la raréfaction des ressources énergétiques, la réglementation thermique a fait son apparition en 1974. Son dernier avatar, la RE2020 (RE pour réglementation environnementale) est en vigueur depuis le 1er janvier 2022 pour les logements. La préoccupation climatique y fait son entrée, avec plusieurs indicateurs carbone.

Réglementation thermique 1974 : 5 pages en tout dans le journal officiel.

Règlementation environnementale 2020 : 1 838 pages, pour la seule méthode de calcul.

Devons-nous continuer longtemps comme cela ?

 

La ville de La Possession, sur l’île de La Réunion : en revenir aux fondamentaux

Commençons par la fin. La partie énergie et carbone du PLU de La Possession, concernant la ZAC cœur de ville, tient… en une page. Une page. La voici.

Extrait du PLU de la ville de La Possession (1)

À La Possession, l'écologie est l'affaire de tous #1

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Qu’est-ce qui rend ce document si extraordinaire ? Tout simplement sa simplicité. Pour la partie énergie :

  • L’ensemble des bâtiments est décliné en 5 typologies, passant de l’habitat à l’enseignement primaire ;
  • Pour chaque typologie, un niveau maximum de consommation d’énergie finale (kWh par m² et par an) est précisé (2) ;
  • Le juge de paix est facilement accessible, transparent : le compteur EDF (3).

Pour la partie carbone, c’est la quantité de bois en dm3 par m² de surface de plancher qui compte.

C’est tout.

Sur cette base, les architectes et bureaux d’études peuvent dès lors travailler sur les projets en sachant ce qui est attendu d’eux, et surtout en sachant que ce qu’ils contribuent à construire pourra être facilement évalué.

Le comptage de l’énergie finale (4) est en soi une évolution appréciable, car l’énergie finale, c’est celle que l’on relève sur son compteur. Or, la plupart des réglementations énergétiques raisonnent en énergie primaire, notamment dans le cadre du diagnostic de performance énergétique (DPE).

 

♦ Relire l’ITW de l’architecte Léa Mosconi : La question écologique ne se réduit pas à celle de l’énergie

 

Comment parvient-on à la simplicité ?

La simplicité, comme la médecine, se situe à mi-chemin entre un art et une science. Et pour y parvenir, il faut beaucoup de travail.

Au début des années 2010, la mairie de La Possession, commune de 33 000 habitants de l’île de La Réunion, souhaite s’engager dans la réalisation d’un nouvel éco-quartier, la ZAC Cœur de Ville.

Pour engager cette opération, il est décidé d’innover, en faisant appel au Laboratoire d’Écologie Urbaine, LEU Réunion. Ce bureau d’études polyvalent (architecture, urbanisme, ingénierie) basé à l’Ilet du Centre à Saint-Pierre de La Réunion, concentre un grand nombre de savoir-faire en matière d’énergie et d’environnement (5).

C’est en 2013 qu’un premier référentiel du nouveau quartier est matérialisé.

Or, ce référentiel initial est insuffisant pour atteindre les objectifs de la phase éco-quartier « exploitation », pour peser efficacement auprès des promoteurs privés, et les mettre en situation de respecter les objectifs. On y trouve des indicateurs de suivi et d’évaluation, mais pas d’indicateurs de performance chiffrés.

Premier accroc.

À l’occasion d’une révision du PLU (plan local d’urbanisme), des indicateurs du référentiel conception-aménagement y apparaissent, dans les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) très détaillées, îlot par îlot, prévoyant un cadre sur les dimensions aéraulique, biodiversité, énergie. Ces intentions sont alors rejetées par l’État. Elles sont jugées trop précises et trop contraignantes dans le PLU, qui se veut généraliste, et qui ne doit pas être trop fin à l’échelle de l’îlot et du sous-îlot.

Deuxième accroc.

Une autre approche est alors imaginée : un PLU avec une approche environnementale assez ambitieuse, en annexant le référentiel développement durable au PLU. Une nouvelle fois, le projet est refusé.

Troisième accroc.

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L’école élémentaire Simone Veil, La Possession ©DR

L’approche recherche-action

Malgré cette nouvelle difficulté, à cette occasion une voie de sortie apparaît : il semble possible d’ajouter des indicateurs de performance dans le règlement du PLU !

Une approche expérimentale de recherche-action est alors initiée. Tout est pris en compte : bioclimatisme, confort thermique, ventilation naturelle…

En parallèle, des campagnes d’instrumentation de locaux sont mises en place, afin d’objectiver le confort climatique et de déterminer les meilleurs indicateurs de performance en conception.

Pour la partie carbone, 20 dm3 de bois par m² de surface de plancher sont demandés. Cette valeur est issue du décret de 2010 relatif à l’utilisation du bois dans certaines constructions (6). Le décret qui inspire cette valeur est désormais abrogé, mais l’exigence du PLU reste en place.

C’est à l’issue de l’ensemble de ces démarches que les indicateurs énergie-carbone sont finalisés.

Ce PLU très innovant est enfin promulgué !

 

Quels retours d’expérience ?

Pour les logements, il apparaît avec le recul que le seuil de 20 kWh par m² et par an est assez ambitieux. Alors qu’il est atteignable avec un chauffe-eau solaire, il ne peut pas être visé dès lors que l’habitat est équipé de climatisation ou de pompe de piscine.

Quant aux « petits commerces résilients », comme les supérettes ou magasins d’alimentation générale, il apparaît nécessaire à la fois d’apporter des solutions pour réduire les consommations d’énergie et de revoir les seuils à la hausse : 450 kWh par m² et par an d’énergie finale pour les commerces utilisant des meubles frigorifiques ; 850 en présence de climatisation.

Dans un contexte balayé par les alizés, y compris en été, avec en complément l’usage des brasseurs d’air, l’utilité de la climatisation dans des logements traversants n’apparaît pas indispensable. Pour les commerces, c’est plus délicat. Il faut d’ailleurs noter qu’un plan local d’urbanisme ne peut pas interdire la climatisation en tant que telle. En revanche, fixer des seuils qui limitent son usage potentiel est possible.

Dans une vision idéaliste, on peut regretter que l’autonomie énergétique n’ait pas été évoquée dans le référentiel, seules des bornes de recharge de véhicules électriques ont été prévues.

Sur la partie carbone, le niveau demandé est globalement atteint, même s’il faut souvent lutter pour le faire respecter.

Néanmoins, ce qui ressort, c’est que les indicateurs énergie et carbone qui ont été définis apparaissent pertinents en tant que tels, c’est juste leur niveau qu’il s’agit d’ajuster.

Justement, maintenant que les bâtiments sont construits et que les résultats réels arrivent, des réajustements deviennent possibles. Une fois les études finalisées, les nouveaux plafonds de consommation peuvent ainsi être incorporés au PLU, ainsi qu’une approche ouverte plus largement aux matériaux biosourcés pour la partie carbone.

Une boucle de rétroaction positive est enclenchée.

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Les habitants signent une charte à leur entrée dans les logements ©DR

 

Répandre la simplicité ?

Aujourd’hui, le quartier est bien vivant. Comprenant aussi bien des logements privés que des logements sociaux, il offre une mixité sociale qui fonctionne pleinement.

Les habitants eux-mêmes sont impliqués : ils signent une charte à leur entrée dans les logements. Outre la vigilance énergétique, ils s’engagent à limiter les bruits pour le voisinage.

Malgré les accrocs, le cap a été maintenu, et la simplicité, le nouveau défi de notre temps, a trouvé là une application concrète, pour le bénéfice des habitants.

Les sujets de la transition écologique, et tout particulièrement les questions d’énergie et de carbone, ont besoin de cette simplicité. Pour que tous les acteurs de cette transition puissent concentrer leur intelligence non sur des processus, mais sur l’atteinte de résultats tangibles.

La devise de l’île de La Réunion, Florebo quocumque ferar, signifie « Je fleurirai partout où je serai plantée ». Plantons cette graine de la simplicité autour de nous, et faisons-en pousser les fleurs ! ♦

*Cette publication comprend deux volets. La deuxième, intitulée Énergie et carbone : redonner leur place aux humains, vous sera proposée la semaine prochaine.

 

  • Remerciements. Je tiens à remercier pour cet article : Vanessa Miranville, maire de La Possession. Maxime Fromentin, 1er Adjoint à la mairie de La Possession. Armand Vienne, conseiller en charge du Développement durable à la mairie de la Possession. Audrey Meynier, urbaniste, à l’époque responsable du projet au sein de Leu Réunion.

 

  • Notes
  1. Voir page 27 : https://www.lapossession.re/fileadmin/user_upload/PLU_-_PPR/reglement/reglement_plu.pdf
  2. L’énergie finale (Ef) est celle qui est utilisée sur le lieu de consommation, et visible sur les compteurs d’énergie. On la mesure généralement en kWh.
  3. Sur l’île de La Réunion, il n’y a pas de gaz de ville, ni de fioul dans les bâtiments. Tout est électrique (à l’exception du gaz de cuisson), ce qui rend globalement les mesures de consommation d’énergie plus simples à déterminer. Pour autant, en métropole, il serait aisé d’inclure les consommations de gaz dans les calculs.
  4. L’énergie primaire (Ep) est générée sur le lieu de production : électricité et chaleur dans le cas d’une centrale électrique de source fossile ou nucléaire. L’énergie finale (Ef) est utilisée sur le lieu de consommation. Le Cep, consommation d’énergie primaire, affecte un coefficient multiplicateur à l’énergie consommée localement pour estimer le besoin de production en amont. Ainsi, pour l’électricité en RE2020, l’énergie primaire = énergie finale x 2,3.
  5. Voir l’article Brasseurs d’air et confort d’été : le retour en grâce: https://www.exhale-fans.com/brasseurs-dair-et-confort-dete-le-retour-en-grace/
  6. Il s’agit du décret n° 2010-273 du 15 mars 2010. Celui-ci a été jugé anticonstitutionnel, et le Conseil d’État, saisi notamment par le syndicat de l’Industrie cimentière, a rendu une décision favorable au plaignant. Le décret bois a donc ensuite été abrogé par le décret du 28 mars 2015.