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Une équipe de chercheurs explore les mystères des éponges marines

Par Maëva Danton, le 4 août 2023

Journaliste

Les éponges constituent un univers extrêmement varié avec pas moins de 9400 espèces. @Parent Géry

[mer] À Marseille, perchée sur la presque-île de Malmousque, la Station marine d’Endoume abrite une équipe de chercheurs qui s’intéresse au monde marin et notamment à de drôles d’organismes : les éponges de mer. On en recense 9400 espèces dont les univers comme les ressources semblent infinis… notamment en matière de santé.

 

Bloup. La mer a beau être un peu fraîche en ce mois de décembre, Marcelle vous emmène aujourd’hui en plongée sous-marine. Enfilez votre combinaison, votre masque et votre bouteille d’oxygène. Et suivez-nous dans l’univers surprenant d’un animal aux nombreuses facettes : l’éponge de mer.

Oubliez la traditionnelle éponge de cuisine, souple, et poreuse comme de l’emmental. Admirez plutôt l’immense diversité des tailles et formes de ces drôles de bêtes.

Certaines sont énormes, d’autres minuscules. Là, on en trouve qui prennent la forme de fines croûtes le long des rochers. Ici, on en découvre qui ressemblent plutôt à un vase ou à une tasse. Côté texture aussi, il y en a pour tous les goûts : de l’éponge moelleuse à souhait à celle dure comme de la pierre.

 

A Marseille, des chercheurs décèlent les mystères des éponges marines 3
Les éponges de mer n’ont ni tube digestif, ni système nerveux, ni épines dorsales … mais de surprenantes aptitudes. @Géry Parent

Impressionnante diversité

« On compte 9400 espèces d’éponges marines», explique Charlotte Simmler, bien au sec dans son spacieux bureau qui surplombe la calanque de Malmousque. Charlotte Simmler est chercheuse CNRS, au sein du laboratoire « Diversité et fonctionnement : des molécules aux écosystèmes », lui-même rattaché à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE). Après huit années passées aux États-Unis au cours desquelles elle a exploré le monde végétal, cette chimiste des substances naturelles a rejoint un équipage pluridisciplinaire composé de chimistes, de naturalistes, de biologistes… (bonus) pour s’intéresser à l’univers infini des éponges marines.

Ne disposant ni de tube digestif, ni de système nerveux, ni d’épine dorsale, les éponges marines sont des organismes multicellulaires qui ont une particularité unique. Dans un article de vulgarisation scientifique intitulé « Are All Sponges Spongy? », on lit ainsi que « si on passe une éponge dans un blender, ses cellules sont en mesure de se reconnaître et de donner par la suite forme à de minuscules éponges ».

Au-delà de ces spécificités, il est difficile de trouver des particularités les définissant de façon exhaustive. « La plupart se caractérisent par la présence de spicules », sortes de bâtonnets calcaires ou siliceux constituant leur squelette. « Mais certaines n’en ont pas ».

 

♦ Lire aussi : Le bassin de Thau, éden menacé des hippocampes (et des sciences participatives)

 

Autre trait distinctif : leur métabolisme. « Elles ont la capacité de filtrer l’eau, ce qui leur permet de se nourrir des particules environnantes ». Mais là aussi, il y a une exception : les éponges carnivores. On en compte près de 150 espèces. En particulier dans les eaux profondes et obscures. Généralement dotées de longs bras semblables à des cannes à pêche et bordés de spicules en forme d’hameçons, elles parviennent à capturer leurs proies : des larves et même de petits crabes qu’elles digèrent très lentement.

éponge-carnivore
Voici Cladorhizidae, un spécimen d’éponge carnivore reconnaissable à sa canne à pêche dont l’embout fonctionne à la façon d’une fermeture Velcro sur laquelle se fixent ses proies. @NOAA Okeanos

 

Des championnes de l’adaptation

Pourquoi une telle diversité ? Parce que les éponges de mer reviennent de loin ! Présentes depuis au moins 550 millions d’années, elles ont affronté les cinq grands phénomènes d’extinction de masse, dont le plus important a détruit 90% des espèces marines. « Ce sont probablement les premiers animaux à avoir évolué à l’échelle de la planète ».

De sorte que ces championnes de l’adaptation occupent désormais des rôles variés au sein des écosystèmes marins. Certaines servent d’abris pour la faune. D’autres constituent un savoureux mets pour tortues et poissons.

« Grâce à leur capacité de filtrage, elles recyclent la matière organique et participent à l’échange de nutriments et d’énergie entre le fond des océans et la colonne d’eau, complète la chercheuse.

Mais du fait de leur diversité et de celle des écosystèmes, leur rôle n’est pas facile à définir ». De sorte que de nombreux mystères restent à éluder. Comme la raison pour laquelle certains dauphins se recouvrent le museau d’une éponge au moment de chasser. « Peut-être que ces éponges ont des propriétés cicatrisantes », suppose Charlotte Simmler.

 

A Marseille, des chercheurs décèlent les mystères des éponges marines
Aux côtés de Charlotte Simmler (à droite), Morgane Mauduit, doctorante, tente de caractériser la chimie des molécules émises par les éponges de mer. @MD

Des éponges pour mettre à mal la résistance aux antibiotiques ?

Utiles au monde marin, les éponges le sont aussi pour nous, les humains. Car elles regorgent de molécules. « 20% des molécules marines identifiées viennent de là ».

Et alors qu’il faut en moyenne tester entre 5000 et 10 000 molécules issues d’organismes naturels avant de découvrir une molécule susceptible de faire naître un médicament, « chez les éponges, 7446 molécules ont été étudiées et cela a donné lieu à quatre médicaments disponibles sur le marché mondial ». Des traitements anticancéreux, mis au point grâce à des éponges venues des Caraïbes et de la mer du Japon.

Quid des éponges de Méditerranée sur lesquelles planche l’équipe de Malmousque ?

♦ À (re)lire : Dans une brasserie marseillaise, la science coule à flots

 

« Nous nous intéressons aux propriétés de certaines éponges qui nous permettraient de lutter contre l’antibiorésistance », cette capacité qu’ont les bactéries à résister aux traitements destinés à les tuer.

Pour résister, ces bactéries forment parfois un biofilm. À l’image de cette substance noirâtre et peu ragoûtante que l’on découvre au moment de déboucher nos lavabos. « Des biofilms pathogènes sont aussi présents sur des prothèses ». Ils seraient de même impliqués dans certaines otites à répétition chez les jeunes enfants, rendant les traitements antibiotiques peu efficients.

En fait, ces biofilms sont présents partout. Et plus encore dans le milieu marin. On en trouve sous les bateaux. Sur les rochers. Mais pas sur les éponges, ou du moins, ceux qui s’y forment ne sont pas pathogènes. « Il semblerait que certaines éponges émettent des substances qui interviennent dans la régulation de ces bactéries ». L’équipe de chercheurs essaie donc de comprendre ces mécanismes et de les reproduire en laboratoire. « Nous n’en sommes pour le moment qu’à un stade préliminaire. Mais nous avons trouvé que cela fonctionnait sur les staphylocoques aureus ». Des bactéries plus connues sous le nom de staphylocoques dorés, présentes sur la peau et les narines et parfois à l’origine de graves infections.

 

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Dans les couloirs de la Station, nous croisons Marie Derrien. S’intéressant à la communication chimique en milieu marin, elle plonge très régulièrement pour les besoins de ses recherches. @MD

Pour percer les secrets des éponges, la patience est de mise

Ces travaux pourraient donner lieu à de nouveaux outils de recherche. Et pourquoi pas à des composés qui alimenteraient des traitements thérapeutiques. « Mais cela prend beaucoup de temps ».

Et ce d’autant plus dans l’univers des éponges de mer. Ainsi, entre

l’identification d’une molécule d’intérêt et la mise sur le marché d’un médicament, il faut en moyenne entre 13 et 15 ans. Lorsqu’il s’agit d’éponges, cela prend plutôt entre 15 et 30 ans. « Ce sont des structures complexes à synthétiser».

Et les éponges intéressent aussi le marché des compléments alimentaires. Dans une autre salle de la Station marine d’Endoume, Marie Grenier, doctorante, s’intéresse aux propriétés anti-vieillissement d’une éponge bien connue : l’éponge de toilette. « Elle étudie comment certaines molécules aident les cellules neuronales à se remettre d’un stress ». Avec l’idée de découvrir des composés pour compléments alimentaires visant la prévention de maladies neurodégénératives, en partenariat avec l’entreprise gardannaise Neuralia.

 

♦ Relire : Des compléments alimentaires pour mieux dormir et protéger ses neurones

 

A Marseille, des chercheurs décèlent les mystères des éponges marines 1
Des concombres de mer sur une éponge @Nhobgood Nick Hobgood

Des éponges fragilisées par l’activité humaine

Mais pour exploiter les nombreuses vertus d’éponges difficiles à synthétiser, les chercheurs marseillais planchent sur de nouvelles manières de prélever leurs molécules sans nuire aux écosystèmes marins. « Ces dernières années, de nouvelles approches ont été développées afin d’aspirer l’eau et les cellules au dessus d’organismes afin de récupérer leur chimie ». Cela vaut pour de nombreux types d’organismes. Et en particulier pour les éponges, véritables filtres à molécules. « Au sein du laboratoire, nous avons développé une méthode peu coûteuse de captation de ces molécules. Un article est en cours de rédaction. Il devrait paraître l’an prochain ».

Une façon de ne pas fragiliser des espèces déjà éprouvées par la surpêche industrielle, par les pollutions en mer et le réchauffement climatique. Des impacts qu’étudie le laboratoire. « Nous avons d’ores et déjà observé une forte mortalité des éponges au cours des épisodes caniculaires de cet été ».

Alors que se tient actuellement la COP15 sur la biodiversité, gageons que les éponges seront au cœur des préoccupations concernant la préservation des zones marines. Pour tout ce qu’elles apportent aux écosystèmes marins. Et pour toutes les fascinantes découvertes que ces animaux gorgés de mystères nous promettent encore. ♦

*article publié le 15 décembre 2022

 

Bonus

[pour les abonnés] L’équipe – Le financements – Les mercredis d’Endoume –

  • L’équipe – Le laboratoire « Diversité et fonctionnement : des molécules aux écosystèmes » se divise en deux équipes, l’une dédiée au monde terrestre, l’autre au monde marin. C’est à cette dernière qu’est rattachée Charlotte Simmler, entourée de cinq autres chercheurs titulaires, de deux professeurs émérites et de trois doctorantes.
  • Financement des recherches du laboratoire – L’équipe de recherche dispose de dotations annuelles qui lui permettent d’assurer le fonctionnement pratique du laboratoire. Mais pour les recherches en tant que telles, elle dépend de financements obtenus dans le cadre d’appels d’offres émanant de l’Agence nationale de la recherche ou encore d’organismes européens. Un travail particulièrement chronophage pour les chercheurs, qui les éloigne un peu de leurs paillasses.
  • Les mercredis d’Endoume – Envie d’en savoir plus sur les travaux de la Station marine ? Tous les derniers mercredis du mois à 19h, l’IMBE organise des rencontres grand public interactives sur diverses thématiques de recherche. Il est possible d’y assister sur place, à la Station (le déplacement vaut le coup d’oeil !), ou bien au chaud chez soi puisque les rencontres sont diffusées en direct sur Youtube et Facebook. Les anciennes conférences sont quant à elles disponibles sur le site de l’IMBE.