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Avec Francesca Poloniato, à Marseille la culture a son pôle Nord

Par Nathania Cahen, le 12 septembre 2019

Journaliste

Francesca Poloniato : « J’ai baptisé mon programme Au fil de l’autre et l’ai bâti autour de trois valeurs : la présence, l’ouverture et le partage »

Elle a un talent imparable pour désarmer les plus bardés (de préjugés), convaincre les plus frileux (de financer son projet, de jouer chez elle), pour recevoir comme à la maison (Marcelle en sait quelque chose). Sans doute la touche italienne, cocktail de bonhommie (les féministes apprécieront), de séduction et de verbe vif. Francesca Poloniato a débarqué au théâtre du Merlan, scène nationale plantée dans les quartiers nord, voilà quatre ans. Un aller simple Besançon-Marseille, des projets et des envies plein ses valises. Et même des tours de magie puisqu’elle nous change aujourd’hui le Merlan en ZEF !

 

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« Effet Scène », journée de rencontres et d’échanges avec les équipes de Francesca Poloniato et les artistes associés.

Pourquoi le ZEF ? Trop d’arêtes dans le merlan ? Trêve de plaisanterie. Ce petit vent nouveau qui rapproche les 14e et 15e arrondissements accompagne une fusion : la scène nationale du théâtre du Merlan se voit en effet augmentée d’une autre place culturelle, la Gare Franche. L’annexe est plaisante, un jardin potager, une usine désaffectée et une ancienne bastide. Mais depuis 2013 et le départ vers le paradis des artistes de son fondateur, Wladyslaw Znorko, la Gare Franche avait du mal à se maintenir à flot, en dépit des efforts de Catherine Verrier, la coordinatrice, et de son équipe.

« Ce sera notre fabrique artistique », se réjouit Francesca Poloniato, qui dirige ce binôme baptisé, donc, LE ZEF. Qui incarne ce pôle nord comme Dominique Bluzet ses Théâtres et Macha Makéieff La Criée.

 

Une culture très sociale

À Marseille, la culture a son pôle Nord 4Le parcours de Francesca Poloniato était tout sauf écrit. Bébé italien né du côté de Venise, elle arrive à l’âge de 5 ans à Nantes, où son père a été embauché dans une usine du groupe DIM, et grandit dans le quartier populaire de Breil-Malville. Sa première chance, c’est le collège La Colinière et une bande de profs épatante (dont l’ancien Premier Ministre Jean-Marc Ayrault), qui mêlait art et culture aux cours, emmenait les élèves au cinéma, au théâtre… « J’étais en plus la petite Italienne qu’ils avaient pris sous leur aile ».

Mais son premier métier sera « éduc-spé ». Auprès des jeunes en difficulté car, « utopique ou pas, j’avais envie de leur apporter un peu de lumière ». La jeune femme côtoie les enfants autistes, les psychotiques, les délinquants et des adolescentes abusées sexuellement. Elle emmène ces dernières voir « Texane », de Claude Brumachon, juste arrivé au Centre national de danse de Nantes. Il y est question d’inceste. La pièce passe mal et l’éducatrice sollicite le chorégraphe qui vient en parler, puis organise des ateliers. Et finit par embaucher la jeune femme rousse comme chargée de diffusion et de production, puis secrétaire générale. Six ans plus tard, en 2000, le chorégraphe Didier Deschamps la débauche pour les Ballets de Lorraine dont il vient de prendre la direction : « Un beau défi, il fallait dépoussiérer une institution à l’image trop classique ». C’est avec la même casquette de directrice du développement et de la diffusion qu’elle gagnera la scène nationale de Besançon.

 

Besançon-Marseille, la grande traversée

« Des proches m’ont encouragée à créer mon propre projet. En 2015, j’ai vu passer l’appel d’offre du Merlan et j’ai postulé. Non sans appréhension car je suis une femme de terrain, peu rompue à diriger une équipe ou composer avec les politiques. J’y suis allée avec ce que j’étais ! ». Il y a 52 candidats, 4 sur la short liste et une nouvelle directrice flamboyante à l’arrivée, Francesca Poloniato. « J’ai baptisé mon programme Au fil de l’autre et l’ai bâti autour de trois valeurs : la présence, l’ouverture et le partage ». Elle forme aussi une « bande », dix artistes associés pour trois ans, choisis pour l’émotion artistique et la générosité contenues dans leur travail, pour leur envie de servir ce territoire. C’est par exemple la photographe Yohanne Lamoulère, dont Marcelle a déjà évoqué le travail (lire l’article).

 

Être au nord implique de faire du bruit

À Marseille, la culture a son pôle Nord 5Le fil rouge de cette saison dévide une pelote d’histoires liées à l’héritage, l’identité, l’engagement. Sur des territoires politiques, sociaux, intimes. Avec beaucoup d’humour parfois – tant mieux. Il y aura 19 spectacles autour du corps en mouvement (ce que nous appelons plus simplement de la danse), et 15 de théâtre. « Je construis des saisons dans ma tête, en permanence. En tramant l’exigence artistique et l’accessibilité à tous, que tous les publics puissent prendre place sur un même banc ».

Car si le 14e n’est pas si loin que ça du centre, il n’est pas si près non plus. Avec une rocade dont les travaux traînent en longueur, un détour obligé par la cité de la Busserine, et tous les fantasmes sur ces quartiers tricotés en tours et en barres. « Cela implique d’être constamment visible, de faire du bruit ». Mais pas seulement. Activités et liens transverses sont noués : les femmes cuisinent (ce sera le cas pour la présentation de saison à la Gare Franche, ce dimanche 22 septembre) ; des artistes s’impliquent auprès de la population (lire ou relire notre article sur le projet Nos forêts intérieures), des jeunes s’occupent des ruches placées sur le toit terrasse, « et puis la metteure en scène Édith Amsellem va réaliser ses broderies en extérieur, Alexis Moati nous ramène de la jeunesse, et la bibliothèque du 2e étage crée du passage… ».

 

Marcelle et le théâtre du Merlan

À Marseille, la culture a son pôle Nord 2Au début de l’été 2018, Marcelle n’était encore qu’un projet qui cherchait une base de lancement pour sa présentation. Dans notre quête de lieu idéal, le Merlan était sorti du chapeau. J’ai envoyé un mail un lundi matin. Une heure plus tard, mon téléphone sonnait : « C’est super votre projet ! On peut se rencontrer ? » Francesca ou l’art de la joie. Le 1er octobre prochain, Marcelle soufflera sa première bougie sur cette même scène – scène mythique pour notre équipe. Ce soir-là ou un autre, venez au ZEF, ça décoiffe toujours ! ♦

 

Bonus
  • Les chiffres – ils gonflent sous le souffle du ZEF : 30 salariés, un budget annuel de 2,8 millions d’euros (la collectivité qui subventionne le plus est la ville de Marseille), une trentaine de spectacles et presque deux fois plus de représentations…

 

  • À Marseille, la culture a son pôle Nord 1
    Au milieu de l’hiver. Anaïs Allais.

    Pratique – Le ZEF-Merlan : avenue Raimu, Marseille 14e Le ZEF-Gare Franche, 7, chemin des Tuileries. Marseille 15e Tél. : 04 91 11 19 20 Plein tarif : 15 euros. Minima sociaux : 3 euros. Tarif groupe 10 personnes : 10 euros. Carte famille : 5 euros pour des spectacles à 5 euros.

 

  • Les coups de cœurs de cette saison ? Francesca Poloniato : « Exercice difficile, car par principe, j’aime tout. Mais pourtant… Au milieu de l’hiver, d’Anaïs Allais, qui parle d’une fratrie, de l’Algérie. Un spectacle qui m’a procuré une grande émotion – j’ai pleuré. J’étais sortie en me disant, je le veux ! Un autre moment que j’attends avec impatience, c’est le soir du 17 janvier avec Icare, solo que j’avais vu créé à Nantes par Claude Brumachon, et transmis à un jeune danseur chilien. Précédé de Bnett Wasla, une pièce interprétée par de jeunes Tunisiennes« .