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Une librairie ambulante et solidaire pour les quartiers nîmois

Par Agathe Beaudouin, le 7 juin 2022

Journaliste

Dans sa livrée d'ambulance, Libr’air stationne chaque lundi à l’école André-Chamson. Devant le camion, les livres sont disposés sur un grand tapis ©AP

Dans la cour d’une école nîmoise, l’ambulance de pompier aménagée en petite boutique de livres interpelle les enfants et leurs parents. L’intérieur du camion rouge a été totalement transformé. Des étagères sur mesure accueillent des centaines de romans, des BD, des documentaires. Au volant de ce drôle de véhicule baptisé « Libr’air », Céline Thiébaut nourrit un ambitieux projet : faire circuler le goût de la lecture dans les quartiers de l’éducation prioritaire. Et faciliter l’accès aux livres du plus grand nombre.

 

Cette histoire, qui débute à Nîmes, puise ses racines dans une reconversion, celle de Céline Thiébaut. D’abord chercheuse en préhistoire, elle fut enseignante durant sept années. Un métier où elle a laissé beaucoup d’énergie. « Les années Blanquer m’ont épuisée. Je me suis tellement mobilisée, qu’à un moment, c’est devenu trop dur pour moi. Je ne supportais plus cette façon d’enseigner. Alors j’ai imaginé faire autrement. Faire des choses que je trouve belles. Mais dans l’Éducation nationale, ce n’était pas possible. »

 

Échapper à un univers pesant

Son projet mûrit durant les mois de confinement. Être au contact des enfants, partager et échanger des idées reste essentiel pour la Nîmoise, qui imagine un projet autour du livre. « Parce que c’est ce qui te permet d’échapper à un univers pesant, d’alimenter ton imagination. » Progressivement, son imagination à elle la conduit à penser un lieu de lecture ambulant pour aller à la rencontre de populations qui n’ont ni les moyens, ni la possibilité de « tout simplement, lire ».

 

Un réseau solidaire

À Nîmes, une librairie ambulante et solidaire prend la route des quartiers prioritaires
Céline Thiébaut, ancienne instit’, propose aux enseignants des ateliers (de lecture, de réflexion, de manipulation d’ouvrages ©AP

Le premier camion qu’elle visait, un gros véhicule de sapeurs-pompiers, lui passe sous le nez. Elle se rabat sur cette ambulance – « ce n’est pas plus mal, il y a l’électricité et le chauffage, souligne-t-elle en pensant au prochain hiver. Et c’est plus facile à stationner ». Elle débute ses démarches grâce à un réseau local solidaire, se fait notamment aider d’Estelle de l’Acegaa, structure qui accompagne les associations dans leurs projets. Puis, grâce à Anne-Laure Giran de la Ressourcerie Réa-Nîmes, dégote de nombreux ouvrages ; avec l’entreprise d’insertion Book Hémisphères, elle complète ses collections. Elle installe un bureau au Vaisseau 3008, un tiers lieu hybride à Nîmes.

Mais reste le plus délicat désormais : convaincre les écoles de l’accueillir, elle et sa librairie ambulante. L’ancienne instit’ propose aux enseignants des ateliers (de lecture, de réflexion, de manipulation d’ouvrages) pour susciter l’appétence de la lecture. À la sortie des classes, elle voudrait stationner devant les établissements scolaires pour vendre aux familles des livres, les prix variant de 1 à 5 euros.

 

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« Il y a des garçons qui aiment les princesses »

À Nîmes, une librairie ambulante et solidaire prend la route des quartiers prioritaires 1
La néo-libraire Céline Thiébaut conseille les enfants en fonction de leurs goûts ©AP

À l’école André-Chamson, Libr’air stationne chaque lundi. Devant le camion, un grand tapis où Céline Thiebaut dispose les livres. Puis les classes se succèdent. Ce jour-là, il est question de genre. Les écoliers classent les livres. « Celui-là, c’est plutôt pour les garçons », disent deux copains. Au bout de quelques minutes, le constat est sans appel : les livres roses sont « pour les filles ». « Ceux avec des camions, ça se voit, c’est pour les gars. » Une conversation s’instaure entre les enfants et Céline, où les stéréotypes reviennent au pas de charge.

« Mais toi, tu as un camion et tu es une fille », s’interroge une enfant. L’adulte lui répond : « Moi j’ai toujours rêvé d’avoir un camion. » La parole fuse durant une heure. C’est au cours d’un atelier comme celui-là qu’une classe de CP a décidé d’écrire à un éditeur pour lui demander de revoir sa façon de présenter les histoires, avec comme accroche, leurs observations d’enfants de 6 ans. « Monsieur l’éditeur, il y a des garçons qui aiment les princesses et les fées. »

 

Vente à la sortie des classes

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De l’occasion et des petits prix ©AP

En fin de journée, lorsque sonne la cloche, l’ambulance se déplace de quelques mètres et les familles peuvent venir acheter des livres. Céline Thiébaut  conseille alors les enfants en fonction de leurs goûts, de leurs dernières lectures… Deux mamans constatent en souriant l’enthousiasme que procure l’initiative à leurs enfants, elles qui n’osent pas se rendre dans les librairies. « Ils sont revenus avec deux livres, ça les occupe, ils adorent ça. Ici, ils aiment beaucoup Céline. »

 

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« Un projet intéressant mais… »

À Nîmes, une librairie ambulante et solidaire prend la route des quartiers prioritaires 3
La librairie-ambulance transporte des centaines de romans jeunesse, BD et ouvrages documentaires ©AP

Mais alors que Libr’air est en route depuis quelques mois, la protagoniste rencontre des difficultés. En cette fin d’année scolaire, trois écoles nîmoises sont partenaires. Sa petite librairie organise aussi des ateliers cet été dans plusieurs centres de loisirs. Mais ce n’est pas assez. Le modèle financier repose sur trois activités : la vente de livres, les subventions et les ateliers scolaires. Le défi aujourd’hui : obtenir le droit de stationner à proximité des écoles. Un sacré challenge, car la mairie de Nîmes refuse les ventes sur le domaine public.

Contactée par Marcelle, la direction du commerce reconnaît que le « projet est intéressant », mais s’explique : « Il est important de ne pas créer une certaine « concurrence » avec les commerçants sédentaires exerçant la même profession ». Elle craint de plus un certain débordement : « Une installation sur le domaine public pour un acte de commerce entraîne la mise en place d’un arrêté d’occupation domaniale et le paiement d’une redevance. Cela risque de donner des idées à d’autres associations. Comment refuserons-nous la même demande pour la vente de jouets, de vêtements et pourquoi pas de nourriture ? »

Motivée et persuadée que cette « Libr’air » solidaire et écologique (un tiers des livres sont d’occasion) peut susciter des passions et ouvrir des fenêtres sur l’imaginaire, Céline Thiébaut poursuit sa route. La nouvelle libraire se donne encore un an et demi pour équilibrer son projet. ♦