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À voix haute : la maîtrise du français pour gagner en confiance

Par Maëva Danton, le 16 juin 2021

Journaliste

Nichée au cœur du quartier Belsunce à Marseille, l’association À voix haute a été créée en 2017 pour proposer des cours de français langue étrangère accessibles à tous. Elle organise également divers ateliers autour du jeu, de l’écriture créative ou de la radio. Avec une ambition : utiliser le français comme un moyen de gagner en autonomie autant qu’en assurance.

Sa tête est penchée. Son regard rivé sur un carnet à spirale rose décoré d’un imposant sticker Reine des neiges. D’une main, elle le tient fermement contre la table. De l’autre, elle note aussi vite qu’elle le peut. Soucieuse de ne laisser échapper aucun des mots que laisse filer la petite enceinte bleue posée au milieu de la table.

Voilà deux ans que Saliha fréquente l’association À Voix haute et sa petite salle tapissée de photos et de dessins. Elle a cinq enfants dont un fils qui l’accompagne aujourd’hui. « Je suis venue parce que je sais écrire mais je ne parle pas bien. C’était difficile, surtout pour l’école des enfants », dit-elle tout en triturant son long collier de perles.

 

 

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Si bon nombre de cours se déroulent dans le local d’A voix haute (photo), l’association s’installe parfois chez des partenaires comme des écoles ou des centres sociaux @AVH

Aujourd’hui, elles sont six femmes à assister au cours. « Le groupe du vendredi », l’appelle Souad. La quarantaine, elle semble être la plus à l’aise. C’est elle qui assure les traductions en arabe quand Lætitia, la formatrice, ne parvient pas à faire comprendre un mot.

Ce matin, l’objet d’étude est un dialogue entre un homme et une femme à propos de la prochaine assemblée générale de l’association prévue dans quelques semaines. Après avoir fait écouter l’intégralité du dialogue, Lætitia le découpe en plusieurs séquences qu’elle décortique pour permettre à chacune d’en comprendre le sens.

 

La défense d’un accès inconditionnel aux cours de français

Formatrice en français langue étrangère, Lætitia est aussi cofondatrice de l’association créée en 2017. Tout comme Elsa. « Nous étions toutes les deux formatrices dans d’autres structures et nous avons constaté qu’il y avait à Marseille beaucoup de personnes qui cherchaient des cours de français et qui n’en trouvaient pas, faute de rentrer dans les critères d’admission ».

Parmi ces critères, l’obligation d’être en situation régulière sur le territoire. Ce qui exclut un certain nombre de personnes primo-arrivantes. « Pour avoir accès à des cours, il faut parfois attendre jusqu’à 24 mois après une arrivée sur le sol français ».

Au-delà des formations classiques, on trouve aussi, à Marseille comme ailleurs, des cours dispensés par des associations ou des centres sociaux. Mais ils sont assurés par des bénévoles non professionnels. Et les files d’attente sont parfois très longues.

À Voix haute complète l’offre et propose d’apprendre le français à chacun, quand il en a envie. « Ce peut être au bout de trois mois après son arrivée en France, comme au bout de dix ans », expliquent Elsa et Lætitia.
En plus de cette volonté d’inconditionnalité, les deux femmes ont à cœur de construire leurs cours en partant des besoins des personnes.

 

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Pendant les confinements, l’association et son collectif d’administration a également organisé la distribution de colis alimentaires. @AVH
Des cours construits à partir des besoins quotidiens des participants

« Souvent, les cours de français langue étrangère sont des usines où les apprenants sont peu considérés dans leurs besoins linguistiques ». Ici, ni cahier des charges, ni programme fixé en amont. « On s’appuie sur leur quotidien, sur ce qu’ils peuvent lire ou entendre dans leur vie de tous les jours. On travaille sur des documents authentiques ou sur des situations, des dialogues ».

À Voix haute propose deux types de cours. L’un, consacré au français de la vie courante, couvre des thématiques assez larges. Le second est à visée parentale. « Il porte sur tout ce qui est lié à l’enfance. L’école, mais aussi la santé. On propose des interventions avec la PMI (Protection maternelle infantile), le Planning familial, ou encore sur les gestes de premiers secours ».

 

 

À raison de deux heures par semaine, ces cours sont dispensés à Belsunce et, dans une moindre mesure, à Saint-Mauront. Deux quartiers où les besoins sont importants.

En plus d’améliorer les compétences linguistiques des bénéficiaires, ces cours les aident à démêler leurs difficultés du quotidien. Un document administratif mal compris. Un mot dans le cahier de liaison d’un enfant. Une question à poser au médecin … Une forme de réponse à l’urgence que l’association entend dépasser au travers d’autres activités.

 

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De jeunes mineurs isolés en pleine réalisation du podcast Radio monde @AVH
Des ateliers pour rêver

« Nous proposons des ateliers Créa-Linguistiques qui permettent d’envisager l’apprentissage de la langue par d’autres médiums. Car c’est bien de rêver aussi ! » pointent Elsa et Laetitia.
Parmi eux, un atelier radio mené en partenariat avec un centre d’hébergement pour mineurs isolés (bonus). Ou encore de l’écriture créative. « Cette année, on a travaillé sur la thématique des cinq sens. Des personnes ont été accompagnées par un professionnel du Théâtre de l’Œuvre qui s’est occupé de la mise en voix et de la mise en scène ». Le résultat de ce travail sera lu sur la scène de ce théâtre le 27 juin prochain.

S’adressant à des personnes qui maîtrisent un minimum la langue, ces activités visent à leur faire gagner en aisance. « Certaines n’osent pas parler. Sont dans l’inhibition parce qu’on leur a dit qu’elles parlaient mal ». L’enjeu est de leur permettre de s’exercer tout en gagnant en assurance.

Et c’est la même logique qui sous-tend les ateliers « Jouer pour apprendre ». « On propose des jeux aux enfants et aux parents. Pour les enfants, c’est une manière de développer des compétences cognitives qui leur serviront à l’école. Pour les parents, c’est l’occasion de se poser et de mieux comprendre l’intérêt qu’il y a à jouer avec ses enfants ».

Et cette année, un autre type d’activité a vu le jour : Tribuzik. « C’est de la chorale en famille à Belsunce. On favorise le temps en famille à travers la musique, le chant », explique Elsa. Les chansons sont en français, parfois agrémentées de quelques phrases dans les langues natales des participants. « On vient de passer deux jours au Frioul à chanter pour préparer une petite scène qui aura lieu fin juin », raconte Laetitia.

 

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Dans le Collectif d’administration, 82% des membres sont des bénéficiaires de l’association. @AVH
Des bénéficiaires impliqués dans la gestion de l’association

Aussi diversifiées soient-elles, toutes ces actions ont en commun de favoriser l’autonomie et la confiance en soi. Une ambition que l’on retrouve également dans la gouvernance de l’association puisque 82% de son collectif d’administration est composé de bénéficiaires.

« C’est une manière de mettre les usagers au cœur. Cela les prépare à la vie professionnelle et leur donne un sentiment de légitimité. Un pouvoir de faire. Ils peuvent aller au Conseil départemental, rencontrer les élus dans leurs bureaux. C’est une prise de confiance », assure Gabin, un des quatre salariés de l’association. « Et puis, complète Elsa, c’est une façon de ne pas tomber dans le piège de penser pour eux sans eux ». Un pari pas toujours facile néanmoins. « Ils ne sont pas forcément à l’aise pour rencontrer les financeurs ou pour prendre des décisions. Et certaines commissions ne fonctionnent pas autant qu’on le souhaiterait ».

D’où un important travail de pédagogie. C’est tout l’enjeu de la séance du jour à propos de la prochaine assemblée générale. À cette occasion, Lætitia offre aux six femmes présentes la possibilité de s’impliquer davantage au sein de la structure. D’abord en devenant, si elles le souhaitent, adhérentes.

« Adhérente ? C’est quoi ça ? On sait pas ! », s’interroge tout haut Souad lorsque le mot est évoqué dans le dialogue que diffuse la petite enceinte bleue. « Ça veut dire que tu soutiens À Voix haute ! répond Lætitia. Est-ce qu’il y en a parmi vous qui ont la carte ? »
Aïcha, une jeune femme discrète esquisse une moue mêlant gêne et fierté. Elle est adhérente. Elle aurait bien aimé montrer sa carte mais elle l’a oubliée chez elle. « Ah… tu nous l’avais pas dit ! » la taquine Souad.
« Qui d’autre veut la carte ? » interroge Laetitia. Souad est la première à se manifester. Puis elle rejoint Mama, assise en face d’elle, pour l’aider à remplir le formulaire d’inscription.
« L’adhésion est à prix libre », explique la formatrice. Des adhésions qui ne sont pas demandées en début mais en fin d’année, histoire de s’assurer que chacun ait les clés pour en comprendre l’enjeu.

 

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En pleine préparation de l’organigramme du Collectif d’administration @AVH
L’enjeu de la confiance en soi

Puis vient une autre question : celle d’une candidature pour rejoindre le collectif d’administration qui sera renouvelé lors de la prochaine assemblée générale. Les participantes se regardent, quelque peu hésitantes. « Mais si on parle pas bien français ? » s’inquiète Bia. « Bia, lui répond Laetitia, tu parles très bien français ! C’est juste que tu es timide ». La jeune femme reste perplexe. Pas vraiment sûre d’en être capable.

La confiance en soi est un enjeu fondamental ici. Bon nombre des participantes semblent en manquer. En témoignent leurs réponses à demi-mot. Ou leur mine gênée quand elles ne sont pas sûres de leur prononciation.

Mais À Voix haute les a aidées à en gagner. « Avant j’étais timide. Maintenant moins. » se réjouit Bia. Car chaque séance, chaque moment de partage ici leur permet peu à peu de reprendre le pouvoir sur des actes de leur vie quotidienne. De se sentir enfin comprises lorsqu’elles prennent la parole. De s’entendre dire combien elles sont courageuses de mener de front tant de combats. L’éducation de leurs enfants. Le travail. Les cours de langue. Et peut-être demain, un rôle de représentante de cette association qui leur a tendu la main. ♦

 

*Tempo One, parrain de la rubrique « Solidarité », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité *

 

Bonus

[pour les abonnés] – les financements de l’association – le podcast Radio du Monde – le Collectif Français langue étrangère –

    • Financements de l’association – Pour subvenir à ses besoins, l’association s’appuie en grande partie sur des fonds Politique de la ville (Métropole et CGET). « On a aussi des aides de la Ville mais elles sont insuffisantes », assurent les salariés de l’association. Elle dispose par ailleurs d’un poste-relais (un emploi aidé).
      S’ajoutent à ces aides publiques des soutiens privés comme celui de la Fondation de France, de la Fondation Un monde par tous, des bailleurs sociaux, ainsi que les dons et adhésions. Grâce aux dons collectés ces deux dernières années, À Voix haute a pu financer sept examens de certification de français (Delf). « C’est une reconnaissance des compétences qui peut être demandée dans le parcours d’insertion en France ».

    la politique de la ville (métropole et CGET), la Fondation de France, la ville, la fondation Un monde par tous

    • Radio du monde, un podcast philosophique par des mineurs isolés – Pendant un an, l’association a tendu son micro à des jeunes de l’Association d’aide aux jeunes travailleurs (AAJT). L’occasion pour eux de s’exprimer librement à la manière d’ateliers philo. De s’interroger sur le monde et des sujets du quotidien. Le résultat de ce travail est à écouter sur Arte radio.

     

    • Collectif Français langue étrangère – En tant que formatrices, Elsa et Lætitia sont toutes deux membres du Collectif FLE (Français langue étrangère) qui compte une déclinaison locale à Marseille. Créé en 2009, il vise à fédérer des professionnels travaillant souvent chacun dans leur coin et dont les conditions de travail sont souvent précaires malgré un niveau bac+5.
      L’enjeu est d’obtenir une amélioration de ces conditions tout en défendant un droit inconditionnel aux cours de français.
      Le collectif FLE Marseille Sud-Est dispose d’un blog où l’on peut retrouver une liste de cours proposés par diverses structures.

     

    • Informations et inscriptions – Pour obtenir des informations ou pour s’inscrire aux cours d’À voix haute, il est possible de rencontrer les salariés de l’association lors d’une permanence les lundis et mardis, de 10h à 12h hors périodes scolaires. Sinon, il est possible de les contacter par mail ou téléphone : 07.64.06.11.56
      avoixhaute.asso@gmail.com