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À la rescousse de l’abeille française

Par Marie Le Marois, le 25 août 2021

Journaliste

Il y a moins d’un siècle, l’abeille noire était l’unique espèce présente dans nos ruchers. Parfaitement adaptée à nos contrées, elle serait aujourd’hui minoritaire parmi la population des abeilles mellifères en France. Et si sa sauvegarde était la panacée contre l’effondrement des colonies ? Explications avec Sylvie Houte, ingénieure CNRS au Centre d’Études Biologiques de Chizé, dans les Deux-Sèvres.

 

Il est largement reconnu que la pollinisation est indispensable à la production agricole. On estime également que 80% des plantes à fleurs en dépendent. Autrement dit, le bon développement des courgettes ou des melons découle du travail des insectes et en particulier des abeilles.

C’est en butinant le nectar – pour se nourrir et assurer la pitance de leur progéniture – qu’elles assurent la pollinisation. Elles transportent du pollen des organes de reproduction mâles vers la femelle, qui permet la fécondation. Et donc la reproduction des plantes. Sans ce processus, la production est gravement affectée et par ricochet, notre alimentation aussi.

Le problème – ce n’est plus un secret pour personne – est que les abeilles sont menacées. Par les pesticides, bien sûr. Mais aussi paradoxalement, par l’apiculture elle-même.

 

1000 espèces d’abeilles en France

Abeille Andrena cineraria
Andrena cineraria. Abeille solitaire que tout le monde peut voir dans son jardin, largement répandue en France sur les pissenlits. Elle creuse son nid dans le sol. @Laurent Debordes

Derrière le mot abeille se cache une multitude d’espèces, « 20 000 dans le monde, 2 000 en Europe et près de 1 000 en France », énumère Sylvie Houte dans la mini-cafétéria du Centre d’Études Biologiques de Chizé.

La plus connue est l’Apis Mellifera, ou abeille à miel, qui compte 28 sous-espèces : Apis mellifera adansonii, Apis mellifera macedonicaL’une de ces sous-espèces, Apis mellifera mellifera, est notre abeille locale. Elle est communément appelée abeille noire. On la trouve en Europe de l’Ouest, des Pyrénées à la Scandinavie.

 

  • Le Centre d’Études Biologiques de Chizé est un laboratoire qui mène des études centrées sur la compréhension de l’écologie des animaux sauvages dans leur milieu naturel. ‘’Écologie’’ désigne ici l’interaction des êtres vivants entre eux, et avec leur milieu.

 

L’abeille noire
À la rescousse de l’abeille française 1
Abeille noire lors d’une animation à Granzay. @laurent Debordes

L’abeille noire a des qualités extraordinaires. « Elle est robuste, rustique et résistante. Elle s’adapte aux conditions hivernales, aux variations du climat et à l’absence de ressources entre les miellées (Ndlr : période d’activité importante des abeilles correspondant à la production en nectar des fleurs) », vante cette habitante de Melle.

L’abeille noire est également une super combattante face aux prédateurs et aux intrus. Elle se débrouille très bien sans l’intervention de l’homme qui n’a besoin ni de la nourrir ni de la soigner.

Notre super butineuse doit ses super capacités à « un million d’années d’évolution et deux glaciations sur la tête ».

 

Brassage génétique d’abeilles
abeille
@Apiculture. Abeille caucasienne ou abeille grise

Depuis 50 ans, l’Apis Mellifera Mellifera a peu à peu été délaissée par les apiculteurs. Ils ont « importé d’abord l’Italienne dans les années 1930, puis la Caucasienne dans les années 1950-60. Et créé dans les années 1970 la Triple Hybride, croisement entre les deux avec des mâles noirs ».

Des espèces jugées plus douces ou plus productives, mais inadaptées aux conditions environnementales de nos régions (voir descriptif ici).

 

Des abeilles importées fragiles

Contrairement aux abeilles noires, ces importées sont donc plus fragiles. Sujettes aux maladies, aux intempéries et à la faim. Par conséquent, « les apiculteurs sont obligés de nourrir leurs abeilles avec du sucre, parfois plus qu’elles ne produisent de miel. Et de les traiter avec des produits contre les parasites ».

Le principal problème est le brassage qui amenuise le capital génétique de l’abeille noire. L’originelle a en effet disparu totalement de plusieurs territoires, notamment « dans le Sud-Ouest, mais aussi en Alsace, Bourgogne et Jura. Et ne représente plus que 11% des abeilles mellifères d’Île-de-France ».

 

  • Une ruche peut contenir jusqu’à 60 000 abeilles. La reine pond jusqu’à 2 000 œufs par jour et vit de trois à cinq ans.

 

Impliquer les citoyens dans la préservation
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Sylvie Houte / Visite d’une colonie sous une toiture

La scientifique, inspirée par la psychologie environnementale et la théorie des biens communs, a réalisé dès 2008 « qu’on ne pouvait pas préserver la biodiversité si on travaillait uniquement sur… la biodiversité ». Elle observe que, depuis des années, celle-ci s’effondre, alors que « ni l’argent ni la connaissance ne manquent ».

Pour cette pragmatique, les citoyens représentent « un levier exceptionnel ». Leurs atouts ? « Ils sont très intéressés par la biodiversité, plus nombreux que les politiques et les scientifiques, et présents plus longtemps sur les territoires », argumente Sylvie Houte, qui accorde un regard à la fois intéressé et critique à la politique des conservatoires qui fleurissent un peu partout en France. « On crée des zones pour mettre la nature sous cloche mais je ne pense pas que ça fonctionne de cette manière ».

 

 

Rucher pédagogique dans les villages
Rucher communal
Rucher pédagogique communal (de Secondigné- sur-Belle). @Sylvie Houte

Dès 2012, elle a mis en place le programme Mon village, espace de biodiversité, installé au cœur des villages 23 ruchers pédagogiques communaux de trois ruches. Et impliqué écoles, habitants, élus, apiculteurs… (voir bonus).

L’objectif était de susciter l’intérêt des citoyens à comprendre la pollinisation, découvrir l’abeille noire. Et observer la biodiversité autour de chez eux.

Grâce à ce dispositif, enfants comme adultes ont pu faire la différence entre nectar et miel, réaliser que les abeilles ne sont pas dangereuses, qu’elles piquent uniquement « si on est très proche de leur colonie ou si on marche dessus ». D’ailleurs, argue-t-elle, l’homme peut très bien cohabiter avec les essaims à demeure, « s’il n’y a pas de danger pour des personnes à risque comme des allergiques, des bébés ou des personnes très âgées ». Elle cite cet habitant qui vit depuis 30 ans avec une colonie sous sa toiture.

 

Science participative
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Essaimage. @Sylvie Houte

Au fil des ans, Mon village, espace de biodiversité a amené les participants à prendre conscience de leurs connaissances et de leur pouvoir d’agir sur leur territoire.

Le dispositif a pris fin en 2017 mais, à la grande surprise de Sylvie Houte, les habitants ont conservé les ruchers. Ils continuent à s’en occuper et poursuivent les animations comme la Fête des Abeilles au cours de laquelle ils réalisent ensemble une récolte du miel.

Ils contribuent même en ce moment au recensement des colonies sauvages nichant sur le secteur, dans un arbre ou une cheminée. Dans le cadre de ce programme de science participative, l’ingénieure a reçu à ce jour 75 signalements, mais « 25 sont réellement des colonies installées, les autres observations concernent des essaims de passage ».

 

Implanter des reines noires dans les ruches
Essaimage
Récupération essaimage. @Sylvie Houte

Dès 2017, avec les apiculteurs de la région et dans le cadre du programme européen BeeHope, Sylvie Houte a prélevé des larves dans des colonies d’abeilles noires. Puis, elle les a placées dans des ruches sans reine. Les abeilles orphelines nourrissent alors ces larves pour qu’elles deviennent des reines.

Cette opération peut se dérouler lors de l’essaimage des colonies qui se déroule au printemps. Lorsque la reine est « un peu trop vieille, produit un peu moins de phéromones », les ouvrières s’en débarrassent en arrêtant de la nourrir. Celle-ci meurt ou quitte la ruche avec une partie des ouvrières pour en former une nouvelle. C’est la raison pour laquelle on aperçoit à cette période des milliers d’essaims bourdonnant avec, à leur tête, des éclaireuses à la recherche d’autres cavités (à observer dans cette vidéo IMG_8331).

Impliquer les apiculteurs
abeille noir apiculteur amateur
@Marcelle. Didier, apiculteur cueilleur amateur.

Enfin, la sauvegarde de l’Apis Mellifica Mellifica passe par la  »conversion » des apiculteurs qui méconnaissent pour la plupart cette espèce considérée, on l’a vu plus haut « comme agressive et produisant moins de miel – mais de façon plus stable », rectifie Sylvie Houte.

Son objectif n’est pas de défendre cette espèce coûte que coûte auprès des apiculteurs mais « de leur apporter la connaissance nécessaire pour qu’ils changent leur regard sur elle et se posent eux-mêmes la question de la nécessité d’œuvrer pour la préserver ».

Didier est dans cet état d’esprit. Cet apiculteur amateur s’occupe de quatre ruches non loin de Chizé, en plus de son boulot dans le traitement des déchets. Soucieux de préserver l’abeille noire, il importe uniquement des essaims sauvages dans ses ruches (voir bonus).

Ce quadra, formé gratuitement par l’association L’Abeille des 2 Sèvres, a pris conscience de la nécessité d’une apiculture durable, moins intensive, moins productiviste. Une apiculture où l’homme s’adapte à l’abeille. Et non l’inverse.♦

 

 

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Bonus
  • Sylvie Houte travaille sur la Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre, au sud de Niort. Elle met en œuvre des programmes de science participative pour mobiliser la société sur les enjeux de biodiversité et la préparer à s’adapter aux changements globaux : Des Nichoirs dans la Plaine, 3000 nichoirs (depuis 2007, 200K€), Mon Village Espace de Biodiversité (depuis 2012, 250K€) et le programme européen BeeHope (depuis 2015, 50 k€) sur la conservation de l’abeille noire locale.

Ses recherches questionnent les facteurs d’implication citoyenne dans la conservation de la biodiversité. Et, en particulier, les déterminants des relations que nous construisons avec la nature et qui influencent nos représentations. « Et qui vont ainsi influencer à leur tour nos choix de vie, notre implication (ou non) en faveur de la biodiversité ».

Cet ingénieure invite des partenaires locaux à construire ensemble des actions sur le terrain : le syndicat apicole l’Abeille des Deux-Sèvres, les apiculteurs, les agents communaux, les élus, les écoles… Enfin, elle établit des partenariats avec l’Education Nationale, l’équipe pédagogique de Zoodyssée et la Ligue de l’Enseignement pour des interventions scolaires.

Son travail sur la Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre concerne : 450 km2, 1500 jardins membres du dispositif, 7 600 citoyens impliqués, élus et agents techniques de 23 communes, 23 écoles primaires, 23 ruchers communaux, 50 apiculteurs.

 

  • A la rescousse de l’abeille noire 5
    @Marcelle. Essaim de passage chez l’habitant, dans une chambre.

    Si on a un essaim chez soi, que faire ? Bonne nouvelle pour les abeilles (et leur sauvegarde), les sapeurs-pompiers n’interviennent plus pour la destruction des nids. Il convient désormais de faire appel à un apiculteur qui récupérera l’essaim. Il existe en effet de nombreux apiculteurs amateurs. Pour les appeler, il suffit de consulter les listes établies en régions. Celle des Deux-Sèvres est ici.

La cueillette d’essaim peut se révéler infructueuse s’il se niche dans un endroit inaccessible, comme le haut d’une cheminée ou dans l’interstice d’un mur. Cependant, pas de précipitation : l’essaim peut être de passage. Il cherche un endroit où se poser avant de trouver la bonne cavité.

Il peut aussi s’inviter chez vous avec votre accord. Une proposition surprenante mais réaliste de Sylvie Haute, « si le trou d’envol est en hauteur, si la cheminée est condamnée, alors pourquoi appeler l’apiculteur ? Pourquoi ne pas accueillir cette colonie d’abeilles à la recherche d’une cavité d’environ 20 litres et qu’elle ne trouve plus dans la nature ? Vous découvrirez le travail incessant des butineuses et comprendrez les liens entre l’activité des abeilles et la présence de ressources dans le paysage ».

 

  • abeille noire essaim de passage
    @Marcelle. Abeille noire de passage chez l’habitant

    Didier, apiculteur cueilleur amateur à Prissé la Charrière. Cet amateur est toujours en recherche d’essaims pour « renouveler son cheptel ». Il précise qu’il ne tue pas les reines, contrairement à certains apiculteurs qui remplacent les vieillissantes pour garder une production régulière ou qui coupent les ailes.

Les derniers essaims qu’il a réussi à cueillir – et qui avaient toujours leur reine – , se trouvaient dans un arbuste et derrière un volet. En avril, ses abeilles butinent les fleurs des pommiers, du colza puis toutes les fleurs du printemps. En juillet, les fleurs d’été puis les tournesols.

 

  • Comment les reines sont-elles fécondées ? La reine est une larve choisie par les abeilles ouvrières. Elle provient d’un œuf fécondé, identique à celui d’une ouvrière, mais pondu dans une cellule spéciale verticale – la cellule royale -, plus vaste et de forme ronde, non hexagonale, contrairement à celle des ouvrières

Dans une colonie, toutes les larves ne sont pas nourries de la même manière, explique le site apiculture. Contrairement aux abeilles ouvrières, la reine est toujours alimentée à la gelée royale, depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Les autres larves n’ont droit à la gelée royale que pendant les trois premiers jours de leur vie. Cette période révolue, leur alimentation sera faite de miel et de pollen.

La fécondation de la reine se produit hors de la ruche et dans les airs. Elle s’accouple avec plusieurs mâles pour remplir au maximum sa spermathèque. Cette réserve assure la fécondation des ovules pendant toute la vie de la reine qui ne bouge plus de la colonie jusqu’à sa mort ou son essaimage.