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Quand l’entrepreneuriat réenchante l’école

Par Maëva Danton, le 31 mai 2022

Journaliste

Imène, jeune entrepreneuse aux côtés de sa professeure -tout aussi entrepreneuse- Sabrina Zerdani. @MGP

Elles s’appellent Caroline, Sabrina, Louisa ou encore Christel. Toutes sont professeures d’économie-gestion dans différents lycées marseillais. Dès 2014, lassées des méthodes d’enseignement classiques, elles décident d’innover et d’utiliser l’entrepreneuriat à l’école pour remettre un peu de féerie dans leur métier. Et dans les yeux de leurs élèves. Elles bâtissent alors un dispositif unique regroupant désormais 15 établissements : l’Accélérateur citoyen.

Mais quel sortilège a bien pu s’emparer de cette classe de première du lycée professionnel le Chatelier, dans le 3e arrondissement de Marseille ? Plutôt que de dispenser son cours, l’enseignante, que l’on appelle ici « Madame Zerdani », reste assise à sa table. Elle interpelle de temps à autre ses élèves. Tantôt sur la propriété intellectuelle. Tantôt sur du prototypage ou de l’iconographie. Quant à ces derniers, ils sont installés en groupes de quatre autour de tables en îlots. Discutant librement – bien qu’à voix basse-, ils s’évertuent à rédiger non pas un devoir surveillé. Mais un pitch.

La salle est calme. Balayée d’un courant d’air frais. Sur les murs, de classiques post-it roses. Des tableaux Velleda. Mais aussi une coupe, qui trône fièrement au-dessus d’une armoire. Et quelques diplômes accrochés ci et là. Témoignant de l’histoire de cette professeure un peu particulière. Et de celle de l’Accélérateur citoyen, un programme pédagogique dont elle est l’une des fondatrices.

 

L’Accélérateur citoyen : quand l’entrepreneuriat réenchante l’école 1
Caroline Cohen (à gauche) avait envie d’un programme sur-mesure pour motiver ses élèves en donnant du sens à leurs apprentissages. @MGP

Un dispositif sur mesure

Il était une fois une autre enseignante répondant au nom de Caroline Cohen. Chevelure brune bouclée, sourire généreux, elle est devenue professeure de gestion avec l’envie de s’engager. Au hasard d’une rencontre, elle découvre en 2013 un dispositif national promouvant l’entrepreneuriat à l’école : Entreprendre pour apprendre. Elle teste. Et très vite, la magie opère. Sa classe remporte un prix à l’occasion d’un concours régional. Mais le dispositif ne lui semble pas parfaitement en phase avec ses besoins et ceux de ses élèves. Elle préférerait quelque chose de plus souple, de plus flexible. La création de mini-entreprises par de petits groupes d’élèves plutôt que par une classe entière. « En 2014, j’ai donc créé mon propre truc, sur plusieurs classes ».

Lorsqu’elle arrive au lycée Saint-Exupéry, au nord de Marseille, on regarde ce qu’elle fait d’un œil méfiant. « À l’époque, l’entrepreneuriat était un peu tabou à l’école. Et on craignait que je désorganise tout ». Mais alors qu’une convention est signée entre son lycée et celui du Chatelier (afin de créer des passerelles entre les BTS du premier et les bacs professionnels du second), elle trouve deux alliées prêtes à lui emboîter le pas : Sabrina Zerdani et son binôme Louisa Boudjadja.

 

L’Accélérateur citoyen : quand l’entrepreneuriat réenchante l’école
Sabrina Zerdani, Louisa Boudjadja et Caroline Cohen @MGP

Quand le professeur se mue en accompagnateur de projets

« À ce moment-là, je m’ennuyais un peu dans ma pratique de l’enseignement, se souvient Sabrina Zerdani. Mes élèves étaient nickel. En classe, on n’entendait pas une mouche voler. Mais les cours devenaient répétitifs, chronophages. À tel point que je me suis dit : Mon dieu ! Je vais faire ça toute ma vie ? ». Le projet de sa consœur du lycée Saint Exupéry tombe à point nommé. « Voir mes élèves monter leurs propres projets d’entreprise ou d’association m’a redynamisée. J’ai vu que je pouvais innover dans mon métier. Et cela a renforcé mon lien avec mes élèves ».

Car il ne s’agit plus de transmettre en bloc des éléments de cours. Le professeur devient un accompagnateur au travers d’un programme construit sur un an.

Au départ, les élèves sont invités à faire leur introspection. Identifier leurs savoir-faire, leurs qualités humaines, leurs goûts, leurs motivations. Dès lors, ils s’appuient sur ce qu’ils sont pour imaginer des projets entrepreneuriaux qui leur ressemblent.

Ensuite, les professeurs et des partenaires professionnels se penchent sur leur berceau pour les aider à mener à bien leur projet. Conseil financier par-ci. Montage de vidéo par-là. Mises en relations utiles …

Mais pas d’obligation de résultat. Certains élèves s’arrêtent à l’état de projet. D’autres atteignent le premier prototype, voire la commercialisation. Quoiqu’il en soit, ils sont invités, en cours d’année, à participer à un grand concours de pitch. Sous les projecteurs de l’hémicycle du Conseil régional.

 

♦ Lire aussi : D’un bac pro jusqu’aux portes de Polytechnique

 

L’Accélérateur citoyen : quand l’entrepreneuriat réenchante l’école 2

Mille et un projets

Le concours, c’est justement ce que préparent les élèves de Sabrina Zerdani aujourd’hui. Il aura lieu dans moins d’une semaine. Avant de présenter leur projet devant les quelques centaines de personnes présentes, ils s’exercent sous le regard aussi franc que bienveillant de leurs camarades et de leur professeure.

Maria, Manal et Carina ont imaginé « un site internet où on trouverait toutes les adresses pour des stages en lycée pro ». Un projet qui les motive d’autant plus que sa mise en œuvre leur serait personnellement très utile.

Utile : un terme qui définit tout aussi bien le projet d’Amine, un garçon « timide », qui appréhende quelque peu le pitch à venir. « Mon projet s’appelle Style graphique. C’est un stylo pour les dysgraphiques. Il y en a un dans le groupe. Et c’est moi », confie-t-il amusé.

Puis c’est au tour d’Arzad de passer, pour présenter son projet de semelle protectrice de crampons. Bien qu’emballé par le projet, il peine à partager son enthousiasme lorsqu’il fait face à la classe. Le ton bas. Quelque peu monocorde. Ce qui lui vaut les encouragements de sa camarade Imene. « Il faut montrer que ça te tient à cœur. Tu peux faire mieux tu sais ? Refais-le ! »

 

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L’équipe d’Autism Power, lauréate du prix Coup de cœur du concours régional d’Entreprendre pour apprendre. Accompagnée de Louisa Boudjadja @Sabrina Zerdani, logos : avec l’autorisation de l’ayant-droit SAS Animate

« Ça fait du bien quand on a une idée et qu’on arrive à la partager avec les autres »

Car Imene s’y connaît en pitch. Avec son projet Autism power, un kit de cartes illustrées pour faciliter la communication des enfants autistes, ses camarades et elle ont remporté le concours régional d’Entreprendre pour apprendre. Prix coup de cœur du jury. Elles doivent prochainement s’envoler pour le concours national. À Paris.

Arrivée en France il y a trois ans seulement, Imène est fière du chemin que ce projet l’a aidée à parcourir. « Je prends plus facilement la parole. Ça fait du bien quand on a une idée et qu’on arrive à la partager avec les autres », dit-elle.

L’Accélérateur citoyen semble lui avoir ouvert le champ des possibles, elle qui aimerait, une fois son BTS terminé, créer une marque de vêtements pour personnes de petite taille.

« C’est une ouverture au monde, observe Sabrina Zerdani. Quel que soit le lieu d’où ils viennent,  leur niveau de base, ils ont le droit de rêver et de construire des projets qui leur plaisent ». Et ce, tout en acquérant les notions du programme scolaire par la pratique. Arzad, lui, apprécie « le fait d’échanger des idées en groupe. D’imaginer. On est actifs, on apprend mieux ».

 

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Le but : ouvrir l’esprit des élèves. Afin de les aider à trouver leur place dans le monde de demain. Ce qui passe par diverses sorties. Comme ici en 2019, à thecamp. @MGP

Réussites paradoxales

Parmi les élèves déjà passés par le dispositif, Sabrina Zerdani se réjouit d’un certain nombre de « réussites paradoxales ». Un terme qui définit des élèves ayant déjoué la malédiction du déterminisme social. Elle cite l’exemple de Badice, dont l’énergie entrepreneuriale lui a valu les encouragements du Président de la République (voir le portrait que lui a consacré Marcelle). Ou encore Ahlane, une jeune fille passée du lycée le Chatelier à l’école de commerce Kedge Business School – découverte dans le cadre de l’Accélérateur citoyen- pour aujourd’hui piloter le développement de l’entreprise de mode Sessùn au Maghreb et dans les pays du Golfe.

Néanmoins, il est « difficile de mesurer l’impact réel du programme sur les élèves », admet Caroline Cohen. Les facteurs qui agissent sur la vie de chacun sont trop nombreux. Et l’énergie des professeurs, même si elle parvient à réaliser quelques miracles, ne peut pas tout contre des inégalités sociales criantes. Dans des quartiers où le taux de pauvreté avoisine voire dépasse les 50%.

Il n’empêche que la démarche convainc de plus en plus de professeurs. L’Accélérateur citoyen – labellisé Cordée de la réussite (bonus)- regroupe à ce jour quinze collèges et lycées marseillais. À tel point qu’il est devenu trop lourd à porter pour ses démiurges. Trop de lourdeurs administratives. D’énergie à dépenser. Et, souvent, de bâtons dans les roues.

L’an prochain, ce sera donc l’Université d’Aix-Marseille qui reprendra la main, déchargeant les professeures de la gestion du programme. Celles-ci pourront alors se consacrer pleinement à ce qu’elles font le mieux : faire briller les yeux de leurs élèves. ♦

 

Bonus

[pour les abonnés] – Les cordées de la réussite – L’Accélérateur citoyen rentre à l’école primaire – Les partenaires du projet –

  • Cordée de la réussite – C’est en 2018 que l’Accélérateur citoyen obtient le label Cordée de la réussite, assorti de moyens financiers qui lui permettent de payer des sorties et des intervenants professionnels. Ce programme national a pour objectif de « lutter contre l’autocensure des élèves par un accompagnement continu dès la classe de 4ème jusqu’au baccalauréat et au-delà ». La cordée se construit autour d’une tête de cordée (le lycée Saint-Exupéry puis, à partir de l’année prochaine, l’Université d’Aix Marseille), à laquelle sont rattachés des établissements « encordés ». Plus d’informations à retrouver sur le site du Ministère de l’Éducation nationale.
  • L’Accélérateur citoyen rentre en primaire – Initialement conçu pour des lycéens, le programme a été adapté pour les collégiens et vient de l’être pour des élèves d’école primaire. À Allauch d’abord. « Le programme s’appelle « Plus tard je serai … », explique Caroline Cohen. On les fait travailler sur la connaissance de soi puis sur la mise en œuvre de petits projets. On s’éclate ! ». Elle est à la recherche d’autres professeurs des écoles intéressés.

 

  • Des partenaires – Au cours de son développement, l’Accélérateur citoyen a été rejoint par une grande diversité de partenaires qui ont mis à disposition locaux et/ou compétences. Sabrina Zerdani tient à en citer quelques-uns : la BNP Paribas qui a formé les élèves au financement de l’entreprise. La Région Sud, qui les accueille chaque année dans son hémicycle à l’occasion du concours d’idées. Entreprendre pour apprendre. Le dispositif d’entrepreneuriat étudiant Pépite. Le Carburateur. L’Épopée. La startup Devi-id dont le dirigeant a gracieusement proposé aux élèves du Chatelier une master class de codage. Ou encore la Fondation de l’Olympique de Marseille, qui offre des cadeaux pour récompenser les élèves lors du concours d’idées… Une liste loin d’être exhaustive.