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Aider les enfants placés à réussir leur vie d’adulte

Par Maëva Danton, le 4 mai 2021

Journaliste

L'échange entre jeunes issus de l'aide sociale à l'enfance est primordial au sein de l'Adepape 13. Pour se sentir compris et moins seul. @Adepape13

Le Covid a projeté de nombreux jeunes sans famille dans la rue. L’Adepape 13 dont la mission est de créer du lien entre jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance mais aussi de les aider à mener à bien leurs projets s’est retrouvée en première ligne. De dix accompagnements en 2018, l’association est passée à 290 aujourd’hui.

 

La Corniche John Fitzgerald Kennedy est trempée ce matin. La mer a mis au placard son habit saphir pour un gris bleu plus en phase avec la météo du moment. Les voitures roulent à vive allure tandis que les coureurs habituellement si nombreux sont aux abonnés absents.

L’Adepape (Association départementale d’entraide des personnes accueillies en Protection de l’enfance) occupe le numéro 303. Pour y accéder, il faut passer un imposant portail en fer forgé décoré de volutes, puis emprunter un escalier longeant un décor de pierre. À mi-chemin, une porte s’ouvre. Un jeune homme en sort. Il est brun, cheveux courts, barbe de trois jours et porte un pullover bleu marine.

Hamza Bensatem a 23 ans, et déjà un emploi du temps de ministre. En parallèle de ses études, il est président de l’Adepape 13 à laquelle il consacre ses soirées, ses week-ends, et plus encore. Il accueille dans une pièce d’où l’on profite d’une imprenable vue sur la mer. « Double, le café ? ». Dans un coin, une chaise haute pliée. Sur la table, une coupelle en porcelaine garnie d’œufs de Pâques multicolores. Comme à la maison.

Ici défilent des jeunes aux histoires diverses et variées, parfois plutôt tranquilles, parfois difficilement soutenables. Avec un point commun : un passage plus ou moins long par l’aide sociale à l’enfance (ASE).

L’Adepape 13, maillon entre l’aide sociale à l’enfance et la vie d’adulte 1
A l’Adepape 13 défilent des jeunes aux histoires variées. Avec un point commun : un passage par l’aide sociale à l’enfance. Hamza Bensatem se trouve au milieu, avec le pull gris foncé @Adepape 13
« En moins d’une semaine, les choses ont beaucoup avancé »

Rudy fait partie des derniers arrivés ici. Il aura 21 ans dans quelques jours. « J’ai été placé à l’ASE du Gard quand j’avais 13 ans suite au décès de ma mère. La juge estimait que mon père était néfaste », raconte-t-il avec la distance de ceux qui, à trop devoir raconter leur histoire, finissent par s’en détacher.
À 17 ans, sa prise en charge par l’ASE prend fin. Il doit retourner auprès de son père qui refuse de l’accueillir. « Ce devait être une émancipation, ça a été tout le contraire », souffle-t-il.

L’année qui suit est « catastrophique ». Jeté à la rue, il doit se débrouiller comme il peut. La prostitution pour manger. La drogue pour oublier.
À 18 ans, il parvient néanmoins à enrayer ce cercle vicieux. Mais il est toujours sans domicile fixe jusqu’en 2020, où il se retrouve confiné avec son père. Jusqu’à l’inceste.
Il fuit et vadrouille pendant trois jours à Arles avant d’appeler le 115. « Ils n’avaient pas de place alors ils m’ont donné le numéro de l’Adepape 13 ».
Un bénévole le récupère. Il est hébergé à l’hôtel le jour-même. « J’ai rencontré Anabella, une bénévole qui est aussi une ancienne de l’ASE. J’ai accroché immédiatement ».

Très vite, il a accès à des aides alimentaires et obtient un rendez-vous à la Mission locale. « Ils ont beaucoup de partenaires ici, c’est très pratique. En moins d’une semaine, les choses ont beaucoup avancé. C’est rare de rencontrer des gens aussi bien ».

 

Lien humain entre pairs

Au-delà d’un rôle de représentant des usagers auprès du Département et de l’État, l’association a pour mission de « proposer son aide et de créer du lien social entre pairs », explique Hamza Bensatem. Une manière de combler les lacunes d’un système social qui considère qu’un jeune a toujours quelqu’un sur qui s’appuyer. Ce qui est évidemment rarement le cas lorsqu’on sort de l’ASE.
Il existe bien des contrats jeunes majeurs qui permettent de subvenir aux besoins jusqu’à 21 ans. Mais ils ne sont en rien une obligation et dépendent du bon vouloir des Départements.

Pour combler ces carences, l’association propose des aides financières, la distribution de tablettes ou de colis alimentaires, mais aussi un soutien moral et psychologique. « Il y a quelque chose de très présent chez tous les jeunes de l’ASE, c’est la présence de carences affectives ».

Des carences sur lesquelles il est possible d’échanger à l’occasion de groupes de parole entre pairs. Pour se sentir compris. Et moins seul.

Dans ces groupes, on trouve des jeunes comme Rudy pour qui tout est à construire. Et d’autres qui ont déjà tracé un bout de chemin. Qui prouvent que tout reste possible, même quand on est enfant de l’ASE.

 

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Melissa (à droite) écoute et conseille une jeune actuellement confiée à l’ASE @Adepape13
Melissa, de l’ASE au Barreau

Bouille de poupée, cheveux bruns et caractère bien trempé, Melissa Aabaid, 23 ans a grandi en famille d’accueil de ses 9 mois à ses 21 ans. « La même famille d’accueil, la même assistante sociale. Ça donne une stabilité », dit-elle d’un ton assuré. Elle effectue actuellement sa cinquième année de droit. « Un Master contentieux publics à Aix-en-Provence. Je vais passer le concours du barreau en septembre à Paris ».

Compétitive dans l’âme, elle a plusieurs fois été championne de France de danse et s’investit dans de nombreux concours d’éloquence. « Je suis passionnée d’art oratoire. Je suis très bavarde depuis toute petite. J’aime être libre de m’exprimer. Et quand je vois qu’on peut gagner quelque chose rien qu’en parlant, je trouve ça génial ».
Elle a découvert l’Adepape 13 alors qu’elle cherchait un complément de revenus pour financer ses coûteuses études. Puis elle en est devenue la porte-parole. La voix de l’association dans les congrès, assemblées générales, colloques, et dans les médias.

Lire aussi : Coronathon dans un foyer d’aide sociale à l’enfance

 

Le capital humain comme moteur de l’association

Des bénévoles actifs comme Melissa, l’association en compte une cinquantaine. Beaucoup viennent de l’ASE. Mais pas tous. Fatima travaille comme assistante sociale pour le Département. Elle vient ici le samedi et aussi le lundi, lorsqu’elle a des RTT. « J’accompagne les jeunes et je suis responsable de la commission sociale qui attribue les aides financières ».

L’association peut également s’appuyer sur une centaine de personnes ressources issues de secteurs variés, en mesure d’apporter un soutien et des conseils au gré des besoins. « Par exemple, on a un gendarme qui peut aider les jeunes qui voudraient aller dans cette voie, ou une sociologue qui relit des mémoires … ».
Un réseau qui s’est fortement étoffé depuis l’arrivée de Hamza Bensatem en 2018. De même que le nombre de jeunes accompagnés. « Quand je suis arrivé, on suivait 10 jeunes par an. En 2019, on est passé à 50. En 2020, c’était 290 », assure-t-il.

 

Explosion des besoins sociaux en temps de pandémie

Une croissance qui s’explique par d’importants efforts de communication auprès des professionnels de l’ASE, de l’action sociale, et une activité redynamisée, avec notamment la mise en place d’une ligne d’écoute.
Il faut y ajouter un facteur moins réjouissant, le covid-19 et son lot de drames sociaux.

« On a accueilli énormément de filles qui ont été contraintes de se prostituer. Il y a aussi un garçon de 18 ans qui a été séquestré un mois dans un garage sans que personne ne réponde à ses alertes. On a dû aller le chercher nous-mêmes, ce qui était très dangereux, s’agace Hamza. Avant, je n’avais pas écho de situations comme celles-ci. Mais pendant le premier confinement, beaucoup d’associations ont fermé. Et comme on était plus connu, on faisait plus souvent appel à nous ».

 

L’Adepape 13, maillon entre l’aide sociale à l’enfance et la vie d’adulte
En plus de son rôle de soutien et d’accompagnement, l’Adepape 13 représente les usagers de l’ASE auprès des institutions locales et nationales. @Adepape 13
Sur le fil

Un surcroît de demande qui n’a pas toujours été facile à suivre. Au niveau humain d’abord, les bénévoles étant sursollicités. « Il nous arrivait de faire des journées de 6h à minuit. Et nous ne sommes pas travailleurs sociaux. Entendre des histoires aussi dures, ce n’est pas toujours facile ».
Au niveau financier ensuite. « On a dû faire beaucoup de dépenses : des airbnb quand les hôtels ne voulaient pas prendre nos jeunes, des machines à laver, l’achat de vêtements… On n’était pas loin de la faillite ».

L’argent. Une source d’angoisse pour bien des associations. Même si les subventions perçues par l’association ont considérablement augmenté depuis deux ans (bonus), elles demeurent insuffisantes selon Hamza Bensatem.

C’est pour cette raison qu’il a déposé une demande de 40 000 euros dans le cadre du plan pauvreté. « Cela nous permettrait d’embaucher trois personnes : un secrétaire, un assistant social, et un chargé de mission ». Essentiel pour stabiliser la structure qui ne compte pour l’heure aucun salarié.
L’association s’appuie aussi beaucoup sur les dons privés et l’enrichissement de son équipe avec l’arrivée de nouveaux bénévoles et de personnes ressources.

 

Un guide maison pour donner des outils et perspectives

Avec ces moyens supplémentaires, l’Adepape 13 pourrait accompagner davantage de jeunes et mener au mieux ses projets. Parmi eux, un guide baptisé « 13 autonome », sorte de bible de la sortie de l’ASE, qui a vocation à être distribué à tous les usagers de la protection de l’enfance. « On y trouve des outils et des témoignages de jeunes qui racontent comment ils s’en sont sortis ».
Parmi ces témoignages, on peut lire celui de Melissa qui s’implique par ailleurs dans l’organisation d’un concours d’éloquence pour les jeunes de l’ASE. « Cela leur permettrait de se libérer de leur vécu pesant, de mieux se trouver, devant un jury prestigieux », imagine-t-elle.

Des actions qui devront être menées dans le cadre d’un travail de structuration de l’association. « Il faut en assurer la pérennité et lui donner le rôle qu’elle doit avoir », ambitionne Hamza Bensatem tout en joignant ses mains. Un rôle de maillon entre l’ASE et la vie d’adulte, avec le pair-à-pair comme force.

Juste avant que la rencontre ne s’achève, Hamza Bensatem tient à m’offrir un tote-bag aux couleurs de l’association. « Entre nous, l’entraide c’est essentiel », y est-il écrit dans un style art de rue.
Ça lui fait plaisir. C’est aussi un moyen de diffuser dans la ville le message qu’il existe un lieu refuge pour des jeunes à l’histoire familiale bousculée. Un lieu où ils peuvent trouver une écoute, des clés pour s’en sortir et des personnes pour les inspirer. Un lieu perché quelque part sur la Corniche Kennedy, avec une imprenable vue sur la mer. ♦

 

*Tempo One, parrain de la rubrique « Solidarité », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité *

Bonus
  • Hamza Bensatem – main tendue, main rendue. Originaire du quartier de Consolat, dans le Nord de Marseille, il est lui même un enfant de l’aide sociale à l’enfance. Il a quatre frères et sœurs et grandit essentiellement en foyer. Il en sort à 21 ans, fin avril 2018, au terme d’un contrat jeune majeur. Deux semaines plus tard, il devient président de l’Adepape. « L’association m’aidait quand j’étais jeune majeur, j’avais envie de lui rendre la pareille ».
    En parallèle de ce mandat de quatre ans renouvelable, il poursuit des études en management de projet. Il est en dernière année de licence professionnelle.

 

  • Le budget de l’association. De 12 000 euros en 2018, l’association est passée à un budget de 150 000 euros annuels, dont 85 000 euros en provenance du Département des Bouches du Rhône. Le reste provient de l’État et de donateurs privés parmi lesquels la Fondation de France et la Fondation Orange.
    En plus de la demande de subventions (40 000 euros) dans le cadre du plan pauvreté évoquée précédemment, l’association envisage de se tourner vers la Ville de Marseille.

 

  • À la recherche de soutiens humains. Pour accompagner les trop nombreux jeunes qui toquent à sa porte, l’Adepape 13 a besoin de bénévoles. « On cherche tous types de profils, issus ou pas de l’ASE. Des personnes qui ont envie de se sentir utiles et d’être acteurs, en fonction de leurs compétences. Ce peut être pour faire du tutorat, du parrainage, du soutien scolaire, de l’accompagnement de projet, des déplacements… C’est très large ».

 

  • Quelles perspectives pour Rudy ? Après les difficultés traversées ces dernières années, Rudy envisage un suivi psychologique et des traitements médicamenteux pour se stabiliser. Il prend ses marques à Marseille qu’il ne connaissait pas, et découvre les différents partenaires de l’association. Il cherche un logement.
    Une fois ses blessures pansées et un cadre de vie plus serein installé, il pourra songer à son insertion professionnelle, dit-il. Il a déjà travaillé dans la restauration, mais pense se lancer dans l’animation et les métiers de l’enfance.