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Alain Baraton, sentinelle de l’environnement

Par Frédérique Hermine, le 2 décembre 2022

Journaliste

Alain Baraton avait 19 ans quand il a trouvé un petit job de caissier à l'entrée du parc de Versailles © Frédérique Hermine

Alain Baraton, la soixantaine fringante, est un écrivain du jardin et surtout le jardinier en chef du domaine national de Trianon et du parc du Château de Versailles depuis 1982. Nous avons parlé forêts et jardins bien sûr, mais aussi histoire et réchauffement climatique.

 

Il évoque ses engagements et ses combats avec fougue, passion et surtout sans langue de bois. J’ai rencontré Alain Baraton dans son bureau niché au cœur du parc de Versailles pour qu’il raconte son parcours et l’amour de « ce métier de liberté qui rend heureux ».

 

Jardinier, était-ce une vocation ?

Pas du tout. Je ne pensais pas un jour faire ce métier, car je n’avais aucune attirance pour le jardinage. Mon rêve était d’être journaliste, photographe ou avocat, mais mes résultats scolaires ne le permettaient pas. Mes seules relations avec le jardinage quand j’étais jeune étaient de tondre la pelouse en échange d’un petit billet.

En 1973, mes parents m’ont inscrit dans une école horticole pour que j’aie un métier. En juin 1976, je voulais trouver un petit boulot pour me payer mes vacances. J’ai trouvé par hasard une place de caissier à l’entrée du parc… et, en septembre, le jardinier en chef m’a proposé un poste. Je n’étais pas très enthousiaste, mais l’offre était accompagnée d’un logement. Or, quand on a 19 ans, en venant d’une famille de cinq enfants, ça n’est pas refusable.

Cinq ans plus tard, marié et déjà papa, je me suis présenté à un concours de jardinier en chef comme on attaque une grille de sudoku. Si on la remplit tant mieux, on est content, sinon on passe à autre chose… J’ai été reçu premier, donc avec la possibilité de choisir mon affectation… Et je suis resté à Versailles !

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Une allée de Versailles © Frédérique Hermine

 

De quelles décisions prises à ce poste êtes-vous le plus fier ?

J’ai été le premier à recruter des femmes, qui apportent leur technicité, leur compétence, leur subtilité. Mais aussi des personnes condamnées à des travaux d’intérêt général, d’autres souffrant de handicaps, ou en échec scolaire… Pour que le monde du jardin ressemble à la société civile. Ce qui m’a créé quelques vicissitudes administratives, d’autant que j’ai la fâcheuse habitude de contester l’autorité et de dire ce que je pense. J’ai toujours un peu ce côté révolté. D’abord pour que les jardiniers soient fiers de ce métier merveilleux qui a eu trop longtemps l’image d’un métier pour ratés.

C’est un métier extraordinaire et utile. Mais il n’y a qu’un ou deux jardiniers connus et d’ailleurs quand ils acquièrent une certaine notoriété, ils se font appeler paysagistes ; ça fait moins cul-terreux. Il faudrait accorder davantage de considération et de reconnaissance au métier de jardinier, comme peuvent le faire Julie Andrieux ou Stéphane Marie dans leurs émissions. Le général de Gaulle commençait chaque matinée en faisant un tour de l’Élysée avec son jardinier dont il appréciait la compagnie. Peut-être ne parlaient-ils pas que des roses.

 

Le parc doit-il être figé dans le temps pour toujours rester la photographie paysagère d’avant Révolution ?

Nous ne sommes pas un conservatoire ; le jardin doit plutôt s’adapter au changement climatique, aux nouvelles technologies, à l’électrification, à la mise en sécurité avec une surveillance vidéo et un système d’alarme comme au Hameau de la Reine… Sans que les avancées technologiques ne soient une nuisance visuelle.

Le jardinier travaille en permanence dans la nature, il est le plus à même d’observer les effets du changement climatique. Quand il déplore une surmortalité des conifères, des hêtres et des bouleaux, c’est une observation incontestable. On ne plante donc plus ces espèces ces dernières années. Ainsi, les ormes, victimes de la graphiose, sont déjà depuis un siècle remplacés par des tilleuls ou d’autres essences.

 

 ♦ (re)lire l’article  : Le label Arbres Remarquables protège le patrimoine vivant

 

Un savoir empirique

Le jardinier ne sait peut-être pas expliquer la prolifération de chenilles de la pyrale dans les buis, mais il peut établir un diagnostic et rapidement faire remonter l’information. Nous avons par exemple constaté qu’en passant la souffleuse, les chenilles s’envolaient dans l’allée et les oiseaux se précipitaient pour les manger.

Par ailleurs, nous sommes en train de créer un Jardin du Parfumeur au cœur du domaine de Trianon. Avec des essences utilisées dans le monde du parfum, en partenariat avec la maison Francis Kurkdjian, en remplacement du potager créé pour Alain Ducasse. Il s’étendra sur 3 ou 4 hectares en cours d’aménagement, certaines plantes fragiles et frileuses étant rentrées dans l’orangerie en hiver. On en profitera pleinement au printemps prochain quand il ouvrira au public.

 

 

Les plus beaux arbres font-ils l’objet d’attentions particulières ?

Le jardinier est la sentinelle de tout son environnement. Au total, Versailles représente 350 000 arbres sur 850 hectares et 43 km d’allées. Il a reçu en 2005 le label « Jardin remarquable », reconduit en 2022. Nous avons un parcours d’une trentaine d’arbres admirables, les plus beaux et les plus vieux, la majorité ayant deux ou trois siècles et juste un ‘gamin’ de 100 ans. Certains pourraient être classés monuments historiques. Notamment deux arbres identifiés comme remarquables par l’association Arbres, qui fait l’inventaire des plus beaux arbres de France : un chêne contemporain de Louis XIV planté en 1668 et un sophora du Japon planté en 1778, sous Marie-Antoinette.

 

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Une vue des jardins de Versailles ©T.Garnier

 

Comment avez-vous vécu la catastrophe de la tempête de 1999 ?

Ça a été l’un des plus gros traumatismes de Versailles avec l’autre tempête de 1991, les sécheresses de 1976 et 2003, et l’hiver de 1986 pendant lequel le poids de la glace cassait les branches des arbres. Ces aléas montrent encore une fois l’importance des jardiniers qui pansent les plaies et interviennent le plus vite possible.

Pendant la tempête de 1999, nous avons perdu 19 500 arbres et on a dû en abattre 33 000 supplémentaires. Cette catastrophe a généré un grand élan de solidarité et une souscription internationale alimentée par des entreprises, des collectivités, mais aussi des associations et de personnes privées qui ont envoyé des petits chèques. Cela a aidé à replanter beaucoup d’arbres. Nous bénéficions aussi de l’aide de mécènes comme Dior au Hameau de la Reine, Astrazeneca, la fondation Bru, Rémy Martin…

 

Aimez-vous d’autres jardins que « le vôtre » ?

Les jardins sont à la fois des musées à ciel ouvert, une source de nature et d’oxygène, un outil pédagogique pour les écoles, et des milieux de grande liberté où l’on peut courir et crier comme au Luxembourg à Paris ou au parc de la Tête d’or à Lyon. Mais ce sont aussi des endroits magiques où l’on retrouve l’âme des rois et des reines – je soupçonne à ce titre les Français d’être restés toujours un peu royalistes.

Il faut visiter par exemple le Chateau Colbert à Maulevrier près d’Angers où Jean-Louis et Dominique Popin ont su recréer en quelques années un magnifique jardin potager – j’en suis le parrain. On ne parle pas assez des jardins de Courances en Île-de-France avec son parc à la française entouré de plans d’eau, de grandes allées en herbe et de charmilles. Des jardins suspendus de Marqueyssac dans la vallée de la Dordogne ou de ceux d’Eyrignac dans le Périgord. Ils sont beaux pour l’esthétique, l’historique, la botanique… et vous transportent ailleurs.

 

Avez-vous des regrets ?

Pas vraiment. Je suis arrivé à Versailles en gamin maladroit et je suis toujours émerveillé de ce qui m’arrive. J’aurais aimé parfois être davantage écouté, et plus tôt, comme pour l’abandon des produits toxiques (les jardins sont travaillés en bio depuis 2000). J’aimerais qu’un jour Versailles devienne un refuge LPO ; je parle régulièrement avec son président Alain Bougrain Dubourg avec lequel nous avons réfléchi il y a peu sur le problème de surnombre d’oies sauvages et la façon de les déplacer en douceur. Nous avons déjà fait l’inventaire des oiseaux du parc, mais également de tous les autres animaux avec les scientifiques du Muséum d’histoire naturelle.

J’aurais aussi aimé donner mon avis sur mon successeur puisque je dois faire valoir mes droits à la retraite d’ici deux ans, car je travaille avec des jardiniers très compétents, de jeunes gens ayant la fibre Versailles comme Ivan, Elena, Giovanni… Mais si on devait désigner son successeur, il faut reconnaître que je ne serais jamais arrivé à ce poste ; j’espère juste que ce sera un vrai jardinier, qui vient du jardin. ♦

 

Bonus
  • Quelques livres d’Alain Baraton

« Quand ça va, quand ça va pas, leur jardin expliqué aux enfants (et aux parents) », éditions Glénat Jeunesse

Le dictionnaire amoureux des arbres et Dictionnaire amoureux des jardins chez Plon

Mon tour de France des bois et forêts chez Stock

 

  • Le rôle de jardinier en chef. Cela consiste à coordonner une petite armée de 80 jardiniers, vacataires, apprentis, sous-traitants qui peuvent être jusqu’à 150 en période de grande activité comme la taille, les plantations d’arbres… Le domaine de Versailles est un établissement public qui relève du ministère de la Culture, sous la présidence de Catherine Pégard.

Le chantier des jardins créés à partir de 1664 par André Le Nôtre (Alain Baraton rêve de voir ce jardinier entrer au Panthéon) a duré une quarantaine d’années.

Le parc représente 800 hectares dont :

– 432 hectares pour le Grand Parc

– 96 hectares pour le domaine de Trianon

– 77 hectares pour le Jardin et ses bosquets

– 350 000 arbres dans le domaine

– 700 topiaires (buissons taillés) de 67 formes différentes

– 300 000 fleurs plantées chaque année par les jardiniers, dont 260 000 produites dans les serres du domaine.

– 1500 arbres en caisse à l’Orangerie, dont 900 orangers