Fermer

L’amande de Provence à la relance

Par Hervé Vaudoit, le 17 mars 2021

Journaliste

Encouragés par une demande locale soutenue, des entrepreneurs replantent des amandiers aux quatre coins de la région. Parmi eux, on trouve l’ancien ministre Arnaud Montebourg, le calissonnier aixois Léonard Parli et une myriade de petits propriétaires qui y croient à nouveau. Retour aux sources.

 

Longtemps, c’est au Café de la Bourse, dans le bas du cours Sextius, à Aix-en-Provence, que le cours de l’amande s’est négocié. Il servait alors de référence partout dans le monde. La Provence caracolait alors au premier rang des producteurs d’amandes de la planète. Nous étions alors au début du XXe siècle.
Malgré cet ancrage séculaire, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le verger provençal a peu à peu sombré dans l’oubli. Pour de multiples raisons : la sensibilité de l’amande au gel et aux ravageurs, qui rendait la récolte annuelle aléatoire. La concurrence de plus en plus forte des États-Unis et des autres pays méditerranéens. La productivité plus faible des vergers non irrigués. Les coûts élevés d’une récolte entièrement manuelle… Ces difficultés cumulées ont donc eu raison de la persévérance des producteurs locaux.

 
Elle a bon goût l’amande française !

L'amande de Provence à la relance
La logique économique et la volonté de relancer des productions où la France a jadis excellé @DR

À partir des années 1920, la plupart ont abandonné leurs arbres au profit de produits plus rentables et plus simples à cultiver. Seuls quelques-uns ont poursuivi, afin de servir le marché français, essentiellement pour la confiserie et la pâtisserie.
Aujourd’hui, la France importe 90% des amandes qu’elle consomme, la plupart en provenance de Californie, où la culture de l’amandier a été industrialisée, au détriment de ses ressources en eau. Il sort de ces immenses vergers une amande sans beaucoup de qualités aromatiques, mais si peu chère qu’aucun producteur provençal ne peut s’aligner. Y compris en adoptant les méthodes culturales américaines, qui gonflent les rendements et atténuent les arômes.
C’est donc sur le respect des méthodes traditionnelles et, au bout du compte sur le goût, que les amandes de Provence continuent de se démarquer. Ça tombe bien : c’est précisément ce que cherchent les plus fidèles clients de ce produit d’exception. À commencer par les artisans du calisson d’Aix, qui ont besoin de ces amandes authentiques pour maintenir les qualités gustatives de leur confiserie ancestrale.

 

Les calissonniers, premiers clients de l’amande de Provence

Miser sur une production 100% locale, c’est le pari que prend Pierre Gignoux, patron des calissons Léonard Parli, une maison née à Aix en 1874. À l’époque où ce confiseur suisse s’est installé en Provence, la campagne aixoise était encore constellée de vergers d’amandiers. Et ce sont leurs fruits qui entraient alors dans la composition de la petite douceur en forme… d’amande.
Aujourd’hui, faute de pouvoir trouver les quantités suffisantes sur le marché local, ce sont des amandes espagnoles qui complètent les achats de la maison Parli. Mais l’ambition, c’est d’inverser le mouvement et de produire soi-même les fruits que l’on transforme.

L'amande de Provence à la relance 2Un verger « Léonard Parli » est donc en cours d’installation sur 12 hectares de plaine, entre Eguilles et Ventabren, à quelques kilomètres à l’ouest d’Aix. Léopold, le fils de Pierre Gignoux, agriculteur de métier, exploitera la nouvelle amanderaie. « Nous commençons à planter cette année, explique le calissonnier, sur 4 à 5 hectares pour l’instant. L’objectif est de faire notre première récolte en 2025. »

Dans l’intervalle, une petite casserie aura été installée en bordure de verger. « On y cassera nos amandes, mais on y accueillera aussi volontiers les autres producteurs de la région », promet Pierre Gignoux. Qui revendique « une démarche traditionnelle, locale, avec un ancrage fort à Aix et dans le Pays d’Aix. »

Il veut aussi rester un artisan, qui maîtrise l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement et de production. « Léonard Parli a été le premier confiseur aixois à confire lui-même les melons, les oranges et les citrons dont il avait besoin pour ses calissons, dès 1874 », raconte son lointain successeur. « Aujourd’hui, nous continuons dans cette voie, pour des questions d’exigence, mais aussi parce qu’elle répond à une logique économique. »

 

Identité provençale sans faille

La maison Parli n’est d’ailleurs pas la seule à jouer cette carte de l’authenticité et de la proximité. Les Calissons du Roy René, premier fabricant aixois – et seul industriel – se sont en effet lancés dans la même démarche en 2016, avec la plantation d’un nouveau verger de 300 arbres sur 8 hectares en Pays d’Aix. Rachetée fin 2014 par Olivier Baussan, le fondateur de l’Occitane, la vénérable maison – qui a fêté ses 100 ans en 2020 -, s’efforce elle aussi de trouver tous ses ingrédients à moins de 100 km. Histoire de pouvoir revendiquer cette identité provençale sans faille.

 

 

L’ancien ministre Arnaud Montebourg investit dans la filière

L’exigence, la logique économique et la volonté de relancer des productions où la France a jadis excellé, c’est aussi ce qui anime François Moulias et l’ancien ministre de l’Économie et du Redressement productif, Arnaud Montebourg. Ils sont devenus en quelques mois des figures du monde de l’amande en France. Ensemble, ils ont créé la Compagnie Des Amandes (CDA), afin de relancer la production hexagonale à une échelle bien plus vaste que celle engagée par Pierre Gignoux et Olivier Baussan.

L'amande de Provence à la relance 3
François Moulias et Arnaud Montebourg, cofondateurs de la Compagnie des Amandes.

Une relance qui repose sur un modèle économique innovant, puisque la CDA se propose de financer elle-même la plantation de 2000 hectares d’amandiers sur le pourtour méditerranéen d’ici 2024. Mais elle promet également de soutenir les 100 à 150 arboriculteurs qui exploiteront ces vergers jusqu’à ce qu’ils soient productifs – au bout de 3 à 5 ans minimum. Sans compter l’assistance technique qu’elle apportera à ses affiliés jusqu’à la récolte. Ni la commercialisation des amandes qu’elle assurera pour eux en fin de parcours, via le circuit que la CDA est en train de mettre en place. 

 

Trois freins à lever pour développer la production

Pour monter leur projet, les deux associés ne sont pas partis bille en tête, sur une simple intuition. « Quand nous nous sommes lancés avec Arnaud Montebourg, nous avons identifié trois freins au redéveloppement de l’amande en France », explique François Moulias.

« Le premier, c’est qu’il faut investir 25 à 30 000 euros par hectare d’amandiers et attendre 5 à 6 ans avant les premiers retours sur investissement. Le deuxième, c’est la difficulté à trouver des débouchés, dans la mesure où les grossistes exigent de la régularité dans les apports et dans la qualité du produit. Le troisième, c’est la quasi-impossibilité de produire en bio, puisque l’amande a un ravageur, l’Erytoma amygdali, appelée aussi guêpe de l’amandier. Il n’existe aucune arme, en dehors des insecticides chimiques. »

 

Un soutien financier les premières années

Pour lever le premier frein, la CDA propose d’abord à ses producteurs affiliés de financer la plantation de leurs amandiers sur ses fonds propres – constitués de subventions publiques, notamment de la Région Sud, et de l’argent investi par des citoyens rassemblés via une opération de crowdfunding lancée sur LITA.co, la plateforme de la finance durable. Ensuite, la CDA leur assure un revenu les 5 ou 6 premières années, histoire que les producteurs puissent vivre le temps que leur verger parvienne à maturité et génère du chiffre d’affaires.

Pour ce qui est du deuxième frein, la CDA prévoit donc de construire dans le Vaucluse une casserie moderne de 7500 m², aux normes internationales. Elle collectera et cassera les amandes de tous les producteurs affiliés. L’objectif est de peser ainsi d’un poids significatif face aux grossistes. L’investissement prévu s’élève à environ 12 millions d’euros, sur les 60 budgétés pour l’ensemble du projet dans la durée.

 

La recherche mobilisée contre un ravageur

Quant au troisième frein, ce sont les scientifiques qui y travaillent. En l’occurrence une doctorante du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) de Montpellier, recrutée par la CDA pour mettre au point une solution de bio contrôle sans pesticide.

L'amande de Provence à la relance 4« Elle explore actuellement deux pistes, confie François Moulias. La première, c’est de déterminer la composition chimique des kairomones (bonus) de la fleur d’amandier, pour les synthétiser et les placer dans un piège, où l’insecte sera irrémédiablement attiré sans pouvoir en sortir. La seconde, c’est de mimer la trace olfactive que la guêpe laisse sur l’amande une fois qu’elle a pondu ses oeufs, pour indiquer à ses congénères que cette amande-là est déjà occupée. »

Si la chercheuse de la CDA parvient à imiter cette odeur et à en asperger les amandiers, les guêpes passeront simplement leur chemin. Sans chercher à piquer des fruits qu’elles croiront déjà remplis des œufs d’une autre.

 

Satisfaire la demande nationale de la confiserie haut de gamme

En attendant, c’est sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, Corse comprise, que la CDA envisage de déployer ses vergers. « Schématiquement, indique François Moulias, nos producteurs seront tous à l’intérieur d’un grand quadrilatère dont les quatre extrémités seraient Valence, Draguignan, Bonifacio et Montauban. »

L'amande de Provence à la relance 5
Photo @ Parli

Mais l’entreprise ne joue pas pour autant les matamores. « Le marché français, c’est 42 000 tonnes par an, rappelle-t-il. Et nous, à terme, ce sera 1000, 1500 ou 2000 tonnes chaque année, pour une production française totale de 3000 à 3500 tonnes d’ici quelques années. »

C’est moins de 1000 tonnes aujourd’hui, même si la courbe est déjà en nette progression. Pas de quoi aller titiller les champions de l’amande, mais assez pour entretenir une filière rentable dans l’hexagone.

 

Un marché mondial en forte croissance

Il faut dire que le marché est porteur partout dans le monde. Comme d’autres pays, la France a quasiment doublé sa consommation en dix ans. Il s’en produit et s’en consomme désormais près de 1,5 million de tonnes par an sur la planète.

Et la demande ne cesse de grimper.

Plus de 50% de ces amandes sont produites aux États-Unis. En Europe, c’est l’Espagne (avec 60 000 tonnes), l’Italie (avec 40 000) et la Grèce (avec 16 000) qui tiennent le haut du pavé.

La France n’a ni le potentiel, ni l’ambition de jouer dans la cour des grands, mais si elle pouvait déjà satisfaire les besoins de sa confiserie haut de gamme mieux qu’elle ne le fait aujourd’hui, ce serait un grand pas. ♦



Bonus
  • Les kairomones – ce sont des substances volatiles que des êtres vivants – animaux, végétaux, champignons, parasites, bactéries…- émettent pour communiquer avec d’autres espèces. On connaît mieux les phéromones, qui servent aux êtres vivants à communiquer par messager chimique avec d’autres individus de leur propre espèce.
  • Une IGP pour quoi faire ? Afin de tirer le meilleur parti possible de leur démarche, l’interprofession des amandiculteurs prépare actuellement un dossier à l’intention de l’Institut national des appellations d’origine (INAO), avec l’ambition d’obtenir une Indication géographique protégée (IGP) « Amandes de Provence » reconnue dans le monde entier. Les IGP sont la version européenne des anciennes appellations d’origine contrôlée (AOC) françaises, inventées au début du XXe siècle par les producteurs de l’Hexagone, pour défendre leurs productions, la spécificité de leurs terroirs et empêcher le pillage des noms prestigieux qui ont fait la gloire de notre agriculture aux quatre coins du monde.