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Défendre les plus fragiles, ADN des Apprentis d’Auteuil

Par Agathe Perrier, le 18 juin 2019

Journaliste

Des boutiques-écoles Skola à Impact Jeunes, qui agit auprès des 13-30 ans des cités, en passant par Le Cloître, un pôle d’entreprenariat dédié à l’inclusion sociale, Bruno Galy, directeur régional des Apprentis d’Auteuil détaille comment Marseille est devenue une fabrique à ciel ouvert de dispositifs uniques, à même de proposer des solutions d’avenir aux plus fragiles, et aux jeunes en tout premier lieu.

 

Apprentis d’Auteuil : la défense des publics fragilisés pour ADN 1
Bruno Galy, directeur régional adjoint d’Apprentis d’Auteuil en Provence-Alpes-Côte d’Azur © AP

Marcelle – Comment est née la fondation Apprentis d’Auteuil ?  

Bruno Galy – D’un combat qui est notre ADN aujourd’hui et qui concerne tout ce qui peut toucher à la dignité humaine. La fondation est née il y a plus de 150 ans à l’initiative d’un prêtre, l’abbé Roussel, qui se baladait dans la rue à Paris et qui a vu des enfants se nourrir dans une poubelle. Il les a accueillis chez lui et s’est dit : « C’est bien beau de les loger, mais il faut aussi leur donner un métier ». Il y a ensuite eu un deuxième personnage clé dans notre histoire, le père Daniel Brottier, dans les années 1920-1930. La structure n’allait pas bien à son arrivée et c’est lui qui a donné cette impulsion de mener des actions constamment adaptées aux besoins de la société.

Accueillir des enfants fait toujours partie de vos actions aujourd’hui, mais pas seulement…

Les derniers chiffres dans la région PACA montrent que l’on accueille aujourd’hui près de 1 500 jeunes, mais que l’on accompagne aussi 400 familles, dans 19 établissements (ndlr : voir les chiffres nationaux en bonus en fin de l’article). Notre spectre d’activités est très large et couvre tout le début de la vie : on a des crèches Apprentis d’Auteuil, des écoles, des collèges, des formations continues et initiales, de l’apprentissage. Mais aussi du logement social, des résidences sociales où on accueille généralement des mamans seules avec enfant(s), des maisons des familles…

Apprentis d’Auteuil : la défense des publics fragilisés pour ADN
Les établissements Apprentis d’Auteuil en région PACA.

Quel est le but final de cet accompagnement, qu’il s’agisse d’un jeune ou d’une famille ?

Le premier objectif, pour toute personne que nous accompagnons, est qu’on ne l’accompagne plus. Pas parce qu’on ne veut plus, mais parce qu’elle aura laissé émerger son talent. On découvre vraiment des pépites extraordinaires. Dans notre société un peu morose, dans les quartiers dont on parle mal, il y a des belles personnes. Il faut juste leur donner le petit coup de pouce pour qu’elles osent se lancer. Un exemple me vient en tête : une maman accueillie dans une Maison des familles est en train de monter une association dans son pays d’origine pour s’occuper des personnes seules. Une personne accompagnée qui devient ensuite une accompagnante, c’est une jolie histoire.

Dans la région PACA, vous intervenez dans l’enseignement, l’accueil, l’éducation, le soutien aux familles, l’insertion et l’accompagnement social. Des champs d’action tous représentés à Marseille. Une raison particulière ?

On a en effet quasiment toutes les activités d’Apprentis d’Auteuil à Marseille. Cette ville est un vrai bassin d’innovation et c’est sa spécificité. Elle a une force extraordinaire pour arriver à travailler ensemble et à innover. C’est un constat que l’on fait au sein de la fondation par rapport à d’autres territoires.

Je crois que cette ville est tellement stigmatisée que les gens qui l’aiment ont envie de faire quelque chose. Quand on a cette ville dans les tripes comme c’est mon cas, et pourtant je ne suis pas Marseillais, on a envie de changer cette image. Tous les ingrédients pour innover sont là. Il faut juste les pousser un peu et prendre des risques. Mais la prise de risque, lorsque c’est pour aider l’autre, n’est pas importante finalement.

Est-ce uniquement une question de volonté ?

Il y a en effet un deuxième facteur qui joue : le fait que la moitié du financement d’Apprentis d’Auteuil soit privée. Cela nous permet d’amorcer des projets par nous-même et de les monter. Ce qui demande aussi de faire des choix. Le Cloître est un très bon exemple (ndlr : pôle d’innovation et d’entrepreneuriat social situé à Saint-Jérôme (13e arrondissement) et ouvert depuis début 2019). Il est né sur une histoire dramatique : la fermeture d’un établissement (ndlr : l’école de production Saint-François de Sales, école de la fondation Apprentis d’Auteuil a fermé ses portes en juillet 2016 pour des raisons financières. Elle formait des jeunes en rupture avec le système scolaire ou des mineurs isolés aux métiers de la restauration et de la maintenance de bâtiments). On avait le choix entre laisser le lieu à des promoteurs ou faire un projet. On a choisi la deuxième option. Évidemment, ce projet, on ne l’a pas fait tout seul.

Vous avez l’habitude justement de vous entourer pour mener à bien vos projets…

Oui, nos projets d’innovation sont toujours pensés de façon partenariale. La difficulté de beaucoup de petites associations est qu’elles ne travaillent pas trop avec les autres, souvent pour des raisons financières. Nous, c’est l’inverse. On considère que plus on travaille avec les autres,  plus on arrive à des objectifs efficients. À plusieurs on peut soulever des montagnes.

Je m’autorise même à changer le mot de « partenariat ». Nous, on cherche à faire des alliances. Pas juste trouver des partenaires parce qu’il nous manque quelque chose pour monter un projet, mais pour démarrer quelque chose et le construire avec eux. C’est pourquoi la place de l’entreprise dans nos dispositifs d’insertion est centrale. Si on veut avoir une action sur le chômage et réussir à changer le fait que les entreprises ont du mal à recruter, il faut créer des passerelles entre les entreprises et les personnes à la recherche d’un emploi. Cette passerelle, on ne peut la créer qu’à partir du moment où on a bien compris les besoins des deux parties et qu’on les a rassuré. C’est là qu’on a un rôle à jouer. Pour autant, je n’ai pas la prétention de dire qu’on réussit à sauver le monde et qu’on fait tout bien. On a aussi notre lot de difficultés pour avancer.

Plusieurs projets de la fondation déployés aujourd’hui au niveau national sont partis de Marseille. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur chacun ?

  • Il y a Impact Jeunes, qui est un programme d’insertion inédit en faveur de l’emploi de jeunes des quartiers prioritaires des Bouches-du-Rhône (Félix-Pyat et la cité des Lauriers à Marseille et les Ferrages à Tarascon). Il a pour but d’expérimenter et de modéliser une méthodologie innovante d’intervention, qui se concentre sur tous les jeunes d’une même cité, de la remobilisation à l’emploi (lire notre reportage sur ce sujet en cliquant ici).
  • Skola, qui permet à des jeunes âgés de 18 à 26 ans, en difficultés d’insertion, de bénéficier d’une formation courte, concrète et professionnalisante en conditions réelles sur des métiers d’avenir ou en tension. La mobilisation des entreprises tout au long du programme assure la construction d’un cursus de formation au plus près des attentes et besoins du secteur.
  • L’Ouvre-Boîte, programme d’accompagnement à la création d’entreprise. Il permet à de jeunes talents de 18-30 ans de lancer et de consolider leur activité.

Du sur-mesure vers l’emploi pour les jeunes de trois cités sinistrées

Quels sont les résultats de ces dispositifs ?

Skola Marseille a permis d’accompagner depuis 2017 plus de 170 jeunes vers l’accès à la certification et à l’emploi. Le dispositif s’est ensuite déployé à Paris et Nantes. Du côté de l’Ouvre-Boîte c’est 50 jeunes et le programme s’est aussi dupliqué dans ces deux villes ainsi que sur la Côte d’Azur et Lyon. Quant à Impact Jeunes, 500 bénéficiaires ont été suivis lors de la première année dans les trois quartiers. Le programme va maintenant être développé à plus grande échelle.

Ce n’est pas rien…

Mon rêve serait de pouvoir mesurer dans 20 ans ce que ces jeunes sont devenus et faire la preuve que plus on investit sur eux jeunes, plus ils ne coûteront rien à la société, et plus ils seront une richesse. C’est pourquoi tous nos dispositifs sont évalués dès leur démarrage. C’est une obligation pour les financeurs, mais c’est aussi une façon de renvoyer aux équipes qu’elles font du super boulot. Nos collègues sont la clé de notre travail.

J’imagine que vous devez avoir d’autres projets dans les cartons. Pouvez-vous nous dévoiler le prochain ?

Il s’appelle « +2 » et il est prévu pour septembre. On n’en a pas encore parlé publiquement d’ailleurs. On est parti d’un constat : on a des jeunes qui font un bac professionnel et qui n’arrivent pas à aller au-delà en raison de freins financiers, de mobilité, du peu de places qui leur sont attribuées dans les études supérieures, etc. On va donc monter une promo pour permettre à des jeunes issus de bac pro de se former aux métiers de la relation client et du numérique et d’obtenir un BTS. Notre objectif est que sur l’année et demi qui arrive, on forme 150 jeunes, dont la majorité vient des territoires nord. On va aussi essayer d’avoir un fort pourcentage de filles dans cette promo, de l’ordre de 70%. C’est un projet qui là encore pourra être essaimé rapidement en France. On ne le monte pas seul, mais en partenariat avec le rectorat d’Aix-Marseille et des structures déjà existantes à savoir l’EMD (école de management) et La plateforme (école du numérique).

 

Bonus :

  • Au niveau national, Apprentis d’Auteuil accueille 27 000 enfants et jeunes gens, âgés de trois mois à 26 ans, et accompagne chaque année 5 500 familles. La France compte 250 établissements de la fondation.
  • À lire aussi : notre reportage sur la classe prépa du lycée Artaud de Marseille, spécialement dédiée aux élèves issus de bac pro, en cliquant ici.