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À Marseille, l’archéologie en profondeurs

Par Rémi Baldy, le 22 octobre 2019

Journaliste

Les fonds marins sont du ressort du mystère et du fantasme : plus de 200 000 épaves de navires, trésors et objets sont immergés dans les eaux françaises. Et c’est la mission du Département de recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines de plonger pour retrouver, étudier, puis valoriser ces trésors. Un travail titanesque, réalisé depuis le port marseillais de l’Estaque.

 

Aussi fascinants qu’obscurs, les fonds marins recèlent « le plus grand musée du monde ». Il ne s’agit pas d’un mythe né dans l’imaginaire, mais une affirmation de l’Unesco. Sauf qu’à l’inverse d’un musée, où tout est soigneusement répertorié, la mer abrite de nombreuses carcasses de bateaux ou d’objets historiques engloutis, et pas encore retrouvés à ce jour. Pour les dénicher, la France possède une section dédiée : le département de recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm). Un service fondé en 1966 par André Malraux et chapeauté par le Ministère de la Culture. C’est à Marseille, dans un bâtiment orange au bord du port de l’Estaque, que les 40 agents du Drassm s’affairent pour préserver, sauvegarder et valoriser ce patrimoine immergé. Et il y a de quoi faire puisque, avec 11 millions de km², la France possède le deuxième espace maritime le plus grand du monde.

«Nous nous occupons des épaves au sens large, pas forcément des navires entiers, cela peut être aussi des objets isolés comme des ancres ou des canons», précise Xavier Trautmann, secrétaire général du Drassm. Les missions se divisent en deux grandes familles : l’archéologie programmée ou préventive. La première relève de la fouille pure ou de la quête de trésors enfouis, comme dans les romans ou les films. « Soit nous recherchons précisément des épaves, soit ce sont des signalements de plongeurs ou pêcheurs. D’après la loi toute personne qui fait une découverte est tenue de le déclarer à notre service », poursuit-il.

 

Près de 300 000 objets déjà remontés

Actuellement, les équipes du Drassm pistent « La Cordelière », ex-navire amiral de la duchesse Anne de Bretagne, coulé en 1512 lors d’une bataille navale. Jusqu’à présent, il n’a jamais été localisé. Les recherches ont commencé il y a deux ans au rythme d’une sortie annuelle. Chacune dure un mois et mobilise jusqu’à 35 personnes, des archéologues aux cuisines, en passant par les marins. Des expéditions sporadiques par manque de temps et de moyens.

 

Chaque sortie a un coût, et sa réalisation dépend donc pleinement de son intérêt archéologique. Ce critère vaut aussi pour les objets à sortir de l’eau. Sachant que les pièces immergées sont généralement fragilisées par le sel et que les en débarrasser peut s’avérer être assez complexe (on recourt au courant électrique). Et pour les objets subaquatiques trop gros, l’étude se déroule bien souvent au fond de l’eau.

Relevés sur l’épave de la Jeanne-Elisabeth, 1755, Hérault. Fouille P. Grandjean et M. Jaouen/Drassm, cliché P. Grandjean/Drassm.

« Nous avons à notre charge entre 200 000 et 300 000 objets culturels maritimes, c’est énorme. Nous essayons de limiter les remontées à ce qui est nouveau ou ce qui nous permet de dater une épave par exemple », expose Xavier Trautmann. Il faut ensuite trouver une place aux pièces exhumées. Cela peut être un musée, comme l’Ephèbe à Agde, mais aussi un rond-point ou une gendarmerie. Quelques vases décorent les couloirs du Drassm. Les objets qui ne trouvent pas preneurs sont stockés dans un hangar situé aux Milles.

 

Un budget (trop) restreint
L'archéologie sous-marine, c'est à Marseille ça se passe 6
Vue de l’exposition « Mémoire à la Mer » au musée d’Histoire de Marseille en 2016. Cliché C. Baudu

Le Drassm estime à 200 000 le nombre d’épaves ou objets maritimes présents dans les eaux françaises. Encore faut-il les localiser. « Parfois, nous retrouvons des pièces dans les filets de pêche », raconte Xavier Trautmann. Et dans ces cas-là, il est déjà trop tard. Car le patrimoine sous-marin souffre. Que cela soit à cause du chalutage de plus en plus profonds ou des chasseurs de trésor. Les aménagements maritimes, de plus en plus nombreux à l’image du développement de l’éolien offshore, complexifient encore la chose. Une activité qui impacte directement le Drassm puisqu’elle nécessite de recourir à l’archéologie préventive.

Il s’agit d’étudier la présence ou pas de risques archéologiques là où sont prévus des aménagements maritimes. Ces prestations facturées rapportent 1,5 million d’euros. C’est plus que les subventions directes du ministère, qui se montent seulement à un million d’euros. Trop peu pour mener à bien la mission estime-t-on dans les couloirs du Drassm. Autre symbole du peu de moyens, le service ne compte qu’un seul bateau, l’André Malraux « Avec les études pour les aménageurs qui augmentent, nous en avons obtenu un deuxième, qui devrait nous être livré en 2021 », positive Xavier Trautmann.

 

Un manque de notoriété
Le robot humanoïde « Ocean One », développé avec l’université de Stanford. Crédits : Stanford

Pourtant, l’expertise française sur le sujet est connue à l’échelle mondiale. En témoignent les nombreux partenariats avec des pays comme la Chine, la Corée du Sud, la Tunisie ou le Sénégal. Un master d’archéologie maritime a également été monté à l’Estaque. Le Drassm participe par ailleurs au développement de la robotique sous-marine. Le robot humanoïde « Ocean One », développé avec l’université de Stanford, va être testé début 2020. Le Drassm travaille aussi avec Vincent Creuze du Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier pour développer des robots adaptés. Le dernier en date, « Basile », permet d’aspirer les sédiments pour dégager un site avant observation. « Nous travaillons de plus en plus pour leur confier des missions d’archéologie et plus seulement des photos et des vidéos », détaille Xavier Trautmann.

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L’André Malraux sortant du port de l’Estaque. Cliché E. Berry/Drassm

Des atouts qui ne suffisent à convaincre le ministère de la Culture de revoir ses subventions à la hausse. Pour le Drassm, il est difficile de se faire entendre par manque de notoriété. Le patrimoine qu’il protège est invisible et n’émeut guère l’opinion publique. Et par conséquence le gouvernement.

« Ce constat, nous l’avons fait lors de la conférence que nous avons organisée avec l’Unesco en juin à Brest sur le patrimoine culturel immergé…», regrette Xavier Trautmann. Un événement auquel Franck Riester, le ministre de la Culture, a brillé par son absence. Il a toutefois promis de descendre à Marseille pour visiter les locaux. Ce sera peut-être le début de la prise de conscience. ♦