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Arles : Faire monter les quartiers à bord du train de la photo

Par Nathania Cahen, le 24 mai 2022

Journaliste

C’est une exposition particulière qu’Arlésiens et visiteurs ont pu découvrir au printemps. Sur les murs de la sélecte Galerie Huit, des photos amateurs exploraient trois quartiers populaires de la ville, Griffeuille, Barriol et Trébon. Des angles insolites, des détails énigmatiques, des prises de vue poétiques. Les photographes ? Madeleine, Karima, Christian, Ilhamme, Céline, Mirane et Inès, alias Les Zoomers. Jeunes et moins jeunes, ils habitent là, tout près mais si loin du beau monde de la photo.

 

Nous nous retrouvons dans la principale salle d’exposition de la Galerie Huit, une vieille et élégante demeure proche des arènes. Carrelage granité, moulures aux plafonds et lourds rideaux damassés. En plein centre d’Arles, une galerie d’art renommée. Où passe ce public international de connaisseurs et d’amateurs qui désormais converge vers Arles en toutes saisons, pour ses expos, musées et fondations. Aux murs, des photos bien sûr, cinquante-deux. Regroupées par îlots autour d’une teinte, d’une impression, d’un motif. Des pastilles indiquent qu’un certain nombre d’entre elles ont déjà trouvé acquéreur.

 

« Quand j’ai vu l’accrochage, j’ai failli pleurer »

Tous les Zoomers disponibles sont là. Sauf les deux plus jeunes, au collège, et une jeune femme retenue par son travail. Madeleine, la doyenne de 84 ans n’aurait pour rien au monde manquer ce rendez-vous. Assis en cercle, ils avalent tranquillement un café et, pour la énième fois, ils observent leurs œuvres. Les commentent encore. Car la stupéfaction est restée intacte. « On n’aurait pas pu faire mieux », souffle Ilhamme. « Quand j’ai vu l’accrochage, j’ai failli pleurer », confie même la photographe professionnelle Olivia Moura, qui a encadré le groupe.

Le décrochage est pour la semaine suivante. Il a été reporté à plusieurs reprises car l’expo a rencontré un sacré succès. Tout le monde fait du sentiment, à commencer par Julia de Bierre, la directrice et fondatrice de la galerie.

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Une photo-affiche collée fédère les autres photos ©Zoomers

 

Pour l’artiste Philippe Fenwick, une démarche nécessaire

Mais rembobinons un peu. À l’initiative de cette formidable aventure humaine, il y a le comédien et auteur Philippe Fenwick. Sa mère habite Fontvieille, non loin d’Arles. Et il a déjà expérimenté un tel concept à Saint-Denis et à Marseille. « Je trouve important que ces gens aient l’occasion de regarder différemment leur quartier et s’en réapproprient l’image, argumente-t-il. Je constate que très souvent, ils y sont très attachés. Qu’ils ont envie d’en garder quelque chose. Et qu’ils sont souvent partisans de le restaurer plutôt que voir du neuf tout remplacer ».

À Arles, il a repéré le travail de la photographe Olivia Moura. La jeune femme a bourlingué, fait des reportages sur les populations marginalisées, déplacées et elle se débat pour que les quartiers de la cité camarguaise soient vraiment associés aux Rencontres de la photo. Ils vont faire la paire et créer le collectif « Les Zoomers » avec des habitants de trois quartiers. Le but est clairement identifié : monter une exposition avec leurs photos, pour mettre en valeur l’image qu’ils souhaitent donner de leur univers quotidien. Ils resteront à leurs côtés, pour les assister dans le choix, l’écriture et la lecture des travaux.

 

(re)lire : Des artistes pour réenchanter les murs des écoles

 

Un mode opératoire et des appareils jetables

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Céline et Madeleine en repérage ©Zoomers

Une fois l’équipe constituée, les principes sont posés. D’abord ne pas photographier d’individus car l’exercice a été fait, refait, surfait. Ensuite, regarder autrement son quartier pour déceler ce que l’on n’a jamais vu sur le trajet quotidien. « Ce que l’on ne voit plus à force de le voir ». S’appesantir plutôt sur des lieux et des symboles évocateurs de cet environnement. Repérer, réfléchir, travailler « un point de vue singulier ».

Pour éviter les dérives du numérique et une débauche de prises de vue, chaque participant se voit d’abord remettre un appareil jetable de 36 poses, pour tirage argentique. Une contrainte qui implique de la rigueur dans les choix et les angles de prise de vue. Pour garantir la qualité des clichés, à chaque fois qu’une photo jetable est prise, elle est doublée en numérique, par un second photographe qui se met dans les pas et épouse la posture du premier.

Le Covid décale d’une année le projet. Mais en 2021, l’équipe est constituée – « Madeleine que je connaissais, des mamans devant l’école, la copine de ma fille… », énumère Olivia. Quatre étudiants de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles rejoignent l’équipée, pour doubler les photos. Une semaine sera consacrée à chaque quartier.

 

Et la fée Julia est apparue

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Première présentation des photos prises par Les Zoomers © DR

En mai de la même année, le travail est édité en petit format au centre social Le Mas Clairanne, au Trébon, le quartier le plus excentré. Sur les tables, des dizaines et des dizaines de petites photos en format 10×15 sont étalées. Par le truchement de connaissances communes, Julia de Bierre, propriétaire de la Galerie Huit, a été invitée. « Cela m’intéressait. Depuis des années je me sentais très déconnectée du Arles qui n’est pas le centre historique, confie celle-ci. Je savais qu’il y avait d’autres visages ». Non seulement elle vient, mais elle est conquise. « Elle a bouleversé notre projet, confirme Olivia. Elle nous a d’abord apporté sa confiance, puis de la visibilité. Du coup, les regards des autres ont changé sur les Zoomers, sur moi, sur notre travail ». Elle ajoute : « D’autres avaient été conviés. Mais Julia est la seule qui a répondu puis nous a ouvert sa galerie ».

De beaux échanges s’ensuivent. Des mises au point aussi. Les Zoomers se souviennent ainsi de leur raidissement quand Julia les a prévenus : « C’est la galeriste qui réalise la sélection et la scénographie ». Tous en sourient aujourd’hui et conviennent que c’était la meilleure option possible.

 

Un vernissage incroyablement fédérateur

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Autour d’Olivia Moura, des scolaires découvrent l’exposition ©Zoomers

En février, il y a eu le vernissage. Insensé pour celles et ceux qui pensaient « c’est pas pour nous » de tous ces apéros mondains qui émaillent la vie arlésienne. Le maire, Patrick de Carolis, est venu. L’ancien maire Michel Vauzelle aussi. Le slameur Aïssa Mallouk qui avait même écrit un texte pour l’occasion, également. Et toutes les femmes, qui avaient préparé des spécialités de la Méditerranée. Mixité des gens, des genres et des saveurs. « Un vernissage incroyable », soufflent-ils à l’unisson.

Le temps des visites a succédé : de nombreuses écoles, des centres sociaux et maisons de quartier. Mais aussi des touristes et des habitués de la galerie qui ont nourri de leurs louanges le Livre d’or de l’expo.

L’aventure s’est alors poursuivie hors les murs de la Galerie Huit. Mi-mai, toute la bande des Zoomers a ainsi pris le train pour Paris (les photos vendues ont financé les billets et la nuit d’hôtel). Inespéré, leur expo bénéficiait en effet d’un mur du salon Photo Doc ! Elle s’installera ensuite pour l’été dans un espace vacant de la Biocoop Arelate, non loin de la fondation Luma. En plein dans le cœur palpitant des Rencontres. Puis… rien ne sera fini. Un autre épisode s’annonce en effet, avec Philippe et Olivia à la manœuvre, Julia à la mise en scène, une équipe de Zoomers partiellement renouvelée et un nouvel environnement : aux portes d’Arles, la campagne camarguaise… ♦

 

* Le La Villa Médicis de Cassis accompagne la rubrique « Culture » et vous offre la lecture de cet article *
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Toutes l’équipe des Zoomers à Paris avec, à droite, Charlotte, organisatrice de Photo Doc ©DR

 

Bonus
  • La Galerie Huit. Créée en 2007, elle bénéficie d’une solide réputation dans sa sélection d’artistes aussi bien reconnus qu’émergents. Ainsi que pour la qualité et l’originalité de ses accrochages et installations. Les expositions sont des créations indépendantes ou des partenariats avec, notamment, le Victoria & Albert Museum à Londres, Factum Arte Madrid, The British Journal of Photography, City Hall de Kuala Lumpur, l’Alliance Française et la Galerie SIT DOWN de Paris…

Cet été, les cimaises de la galerie accueilleront une exposition de la photographe Julia Gat.