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Le métal et le bois, de bons matériaux pour restaurer la confiance de jeunes abîmés par la vie

Par Agathe Perrier, le 12 avril 2022

Journaliste

Precious, l'un des 8 jeunes actuellement accompagnés par l'association Appel d'Aire © Agathe Perrier

L’association Appel d’Aire s’emploie à reconstruire des jeunes gens complètement déboussolés. Installée à Marseille, elle aide des 16-25 ans à retrouver confiance. Voire même à bâtir un projet professionnel en les formant à la métallerie et la menuiserie. Malgré une méthode porteuse de résultats, son avenir était jusqu’à récemment menacé. 

 

C’est une toute petite structure qui abat un travail de titan. L’association Appel d’Aire compte seulement trois salariés mais accompagne chaque année entre 20 et 30 jeunes. Ils sont âgés de 16 à 25 ans, déscolarisés et, pour certains, placés sous main de justice. « On les forme aux métiers du bois et du métal, en qualité de stagiaires de la formation professionnelle. C’est en réalité un prétexte car maximum 20% d’entre eux vont s’orienter dans ces domaines. Mais ça permet de les mettre en activité sur un travail valorisant, puisque le manuel fait fonctionner les mains et aussi le cerveau », expose Julien Acquaviva, le directeur de la structure.

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Les stagiaires réalisent des commandes pour de vrais clients. Des plus classiques aux plus insolites, comme la fabrication d’un ULM biplace par exemple © AP

« C’est pas possible, c’est pas moi ! »

Du lundi au jeudi, les stagiaires s’initient à la métallerie et à la menuiserie, chapeautés par les deux formateurs, Jean-Luc et Yannick, artisans de formation. Ils réalisent des projets pour de vrais clients, des plus classiques – tables, portails, grilles – aux plus atypiques comme la fabrication d’un ULM biplace ou de cuiseurs solaires. Ils bénéficient même d’une journée hebdomadaire dédiée à la remédiation cognitive pour améliorer certaines capacités, la concentration par exemple. « Les jeunes se découvrent des talents et des compétences alors qu’ils pensaient n’en avoir aucune », glisse Julien Acquaviva.

C’est exactement le cas de Carlos*. À 25 ans et un CAP menuiserie PVC en poche, il est entré chez Appel d’Aire il y a six mois. « Je me suis beaucoup amélioré grâce au formateur. Je suis pas du genre à baisser les bras, mais je doute de mes capacités. Quand je vois la progression, je me dis « C’est pas possible, c’est pas moi » ! J’ai l’impression qu’être ici m’a transformé ». Le jeune homme ne sait pas encore ce qu’il aimerait faire ensuite. S’il cherche sa voie professionnellement parlant, sur le plan personnel, il semble avoir grandi, mûri. « Je pense partir en juillet pour laisser la place à d’autres car c’est un très bon endroit pour les personnes en difficulté. Ici, les gens font attention à nous », apprécie-t-il.

Un sentiment partagé par Anass, 21 ans. Le jeune homme, au visage poupon et souriant, est ici en attendant de trouver une alternance pour commencer un bac pro métallerie. Il a gagné en compétences et sait maintenant mieux travailler en équipe. « Si je vois quelqu’un galérer, je vais l’aider, j’attends pas qu’il vienne me demander », confie-t-il. Une qualité indispensable à tout bon professionnel.

 

 

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Les jeunes sont formés au travail du métal et du bois, un prétexte pour les remettre en activité sur un travail valorisant © AP

Cocoonés pour gagner leur confiance

En termes de progression, celle de Kamel est également fulgurante. Le jeune homme de 21 ans, presque mutique à son arrivée, s’exprime désormais. « Je parlais pas avant, je répondais par « oui » ou « ok ». Aujourd’hui j’ai pris confiance en moi », expose-t-il. S’il n’est toujours pas un grand bavard, il échange néanmoins aussi bien avec l’équipe encadrante que ses collègues, et accepte même de répondre aux questions d’une journaliste inconnue. Surtout, il ose dire son désaccord, chose qui n’arrivait jamais. « Et qui se révèle problématique dans un atelier, par exemple quand on demande si tout est compris sur les opérations ou tâches confiées… », souligne le directeur.

Le déclic ne s’est évidemment pas fait en un jour. Pour arriver à installer de la confiance, Appel d’Aire prend soin de ses stagiaires. Les « cocoone », reconnaît Julien Acquaviva. « Parce qu’ils en ont besoin. Ils ont été malmenés, parfois violentés, souvent trahis, par leur famille et les personnes censées les aider. Ils ont du mal à créer des relations avec les autres, surtout les adultes. Cette confiance est un vrai travail à nourrir et à entretenir constamment ». Alors l’équipe prend des pincettes, pour que les jeunes reviennent d’un jour sur l’autre. Sans pour autant tout laisser couler. Une main de fer dans un gant de velours. « De l’exigence bienveillante », préfère le directeur. « On est très exigeants avec eux, mais on prend aussi en compte le contexte ».

 

 

Une porte toujours ouverte

Julien Acquaviva n’aime pas tout réduire à des chiffres. Il en concède toutefois quelques-uns : 700 jeunes accompagnés depuis la délocalisation à Marseille en 2002 de l’association créée à Tourcoing cinq ans plus tôt (bonus). Ils restent en moyenne quatre mois avant de partir avec un emploi direct en poche, un job en intérim, une place en CFA ou dans un chantier d’insertion, notamment chez Acta Vista, qui favorise la réinsertion des chercheurs d’emploi en leur confiant la rénovation de monuments prestigieux.

« D’autres abandonnent ou se font renvoyer. Lorsqu’on leur demande de partir, on ne leur dit pas « Tu es renvoyé parce que tu es une merde » mais « Tu es renvoyé parce que tu as fait de la merde, mais ça ne veut pas dire que tu en feras tout le temps ». Beaucoup reviennent d’ailleurs par la suite », indique le directeur. Malgré tous les efforts de l’équipe, les difficultés sont parfois telles qu’il n’est pas possible, à ce moment-là, d’aider le jeune à s’en sortir. La porte lui restera néanmoins toujours ouverte.

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Depuis sa création en 1997, Appel d’Aire a accompagné 700 jeunes, dont Assani © AP

Déménagement forcé…

Si Appel d’Aire fête cette année ses 25 ans, l’association a failli ne jamais célébrer cet anniversaire. L’équipe sort à peine la tête de trois années compliquées, et pas seulement à cause de l’épidémie de Covid-19. Elle a d’abord dû, contre son gré, trouver de nouveaux locaux à Marseille. Non sans peine puisqu’elle a passé trois mois sans toit fixe, hébergée par des structures qui ont fait preuve d’une grande solidarité (notamment le coworking pour artisans Share-Wood). Elle occupe aujourd’hui 110 m² au Comptoir de la Victorine (bonus). C’est cependant nettement moins que ses 400 m² précédents, dans des ateliers mis à disposition par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ce qui la contraint à n’accueillir que huit jeunes en même temps actuellement.

 

… et manque de moyens financiers

Le nerf de la guerre est également financier. Son principal financeur, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, a drastiquement revu à la baisse ses subventions depuis quelques années, après avoir supprimé fin 2016 un dispositif d’aide à la réinsertion des jeunes. « On a failli fermer, mais on a fait du bruit et on est encore là », souffle, doux-amer, Julien Acquaviva. Une récente campagne de financement participatif a permis à Appel d’Aire de récolter 25 000 euros grâce à 80 donateurs. Les collectivités locales (ville, département, métropole, politique de la ville) devraient désormais aussi abonder son budget, en plus des historiques financeurs (ministère de la Justice, préfecture de police et fondations privées).

L’association est toujours à la recherche d’aide pécuniaire. D’autant plus qu’elle a pour projet de créer dans ses locaux une vraie cuisine/salle à manger, l’espace actuel ne permettant que de réchauffer des repas. Tout le monde se retrouve d’ailleurs ensemble à midi et c’est Appel d’Aire qui prend en charge les déjeuners des stagiaires, afin de leur assurer au moins un vrai et bon repas par jour. « On aimerait à terme que des personnes du quartier viennent une ou plusieurs fois par mois cuisiner le repas avec les jeunes et que l’on mange ensuite tous ensemble », glisse le directeur. Les projets et idées ne manquent pas. Malgré les difficultés, le jeu en vaut la chandelle pour que ces jeunes retrouvent foi en eux et l’envie d’avancer. ♦

Pour aider Appel d’Aire et faire un don : contact@appeldaire.net

 

* le prénom a été changé

Bonus

  • Une association née à Tourcoing – Appel d’Aire a vu le jour en 1997 à Tourcoing dans une maison d’arrêt. L’objectif était de créer un atelier de métallerie pour les détenus afin qu’ils réalisent divers travaux dans l’établissement. Puis même en dehors puisqu’ils ont notamment aménagé un jardin d’enfants. Au début des années 2000, l’association est délocalisée à Marseille par son fondateur, Yannick Le Guiner. L’idée était alors de dupliquer le concept au sein de la prison des Baumettes. Un projet qui n’a pas pu voir le jour mais qui a été récupéré par la PJJ. Le dispositif a été adapté avec, comme conditions notamment, d’accompagner des jeunes de 16 à 25 ans, en entrée et sortie permanente, dont au moins la moitié est sous mandat judiciaire.
  • Résidente du Comptoir de la Victorine, lieu pluridisciplinaire emblématique de Saint-Mauront – Appel d’Aire est installée depuis début 2021 au Comptoir de la Victorine aux côtés d’artisans, d’équipes artistiques et de structures socio-culturelles. Les bâtiments ont anciennement accueilli une usine d’allumettes puis un comptoir d’épices et d’herboristeries. Ils appartiennent depuis 2008 à la ville de Marseille. L’un d’entre eux a été grandement endommagé par un incendie en 2018.