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Laisser de la place aux papas dans l’éducation des enfants

Par Agathe Perrier, le 21 mars 2022

Journaliste

L'association « et les pères ! » agit depuis huit ans en faveur d'une meilleure inclusion des pères dans la vie familiale et citoyenne © Photo d'illustration, Pixabay

Les questions d’éducation et de gestion des familles ne sont et ne doivent pas être l’apanage des mères. Un discours qui sonne comme une évidence mais qui n’est pas forcément appliqué dans la réalité. Car la société ne donne pas toujours la possibilité aux figures paternelles de jouer leur rôle. L’association « Et les pères ! » œuvre justement à faire évoluer les mentalités et le regard pour qu’ils puissent prendre leur place.

 

À la Halte des parents de Marseille, structure d’accueil des familles pour parler parentalité (notre reportage ici), le constat est sans appel : les principales personnes à franchir sa porte sont des mamans. Les papas ne viennent pas, ou très peu, comme dans toutes les structures du social d’ailleurs. « Ce n’est pas parce qu’ils n’y sont pas qu’ils ne sont pas actifs dans la vie de famille », expose d’entrée de jeu Jean-Luc Folliot. Avec son association « et les pères ! », il a pris l’habitude depuis huit ans de casser les préjugés sur la paternité. Et s’est intéressé à cette question : pourquoi les papas ne se rendent pas dans de tels lieux ?

La réponse est en réalité multiple. « Cela s’explique déjà par un volet historique : les centres sociaux se sont d’abord adressés aux femmes puisque les hommes étaient au travail. Aujourd’hui encore, beaucoup de pères pensent qu’ils ne leur sont pas destinés ». Une pensée erronée mais nourrie, souvent inconsciemment, par les structures et leur personnel. « Il arrive que les travailleurs sociaux fassent passer un message à la maman via le papa pour parler de leur enfant. Ça donne l’impression que le père n’est pas responsable de l’éducation », glisse Jean-Luc Folliot. Sans jamais jeter la pierre aux agents. « Les acteurs du social ne doivent pas se culpabiliser, c’est la société qui fait qu’on oublie les pères ! ». Rien n’est figé, heureusement, et c’est bien là le combat de son association.

 

 

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L’association « et les pères ! » accompagne les structures sociales à changer leur regard sur la paternité © Photo d’illustration, Pixabay

Accompagner pour changer le regard de la société

Concrètement, « et les pères ! » accompagne les structures sociales à changer leur regard sur la paternité. Moins facile à faire qu’à dire. Moins rapide surtout. « On n’arrive pas avec une notice ou un mode d’emploi tout prêt. On parle là de faire évoluer les mentalités donc c’est très long », reconnaît Mima Debache, l’une des 30 adhérents de la structure. Ils sont une poignée, comme elle, à intervenir sur le terrain, notamment à la Halte des parents. Lorsque sa directrice, Sylvie Davieau, s’est rendu compte du peu de présence des papas, elle s’est rapprochée de l’association pour changer la donne. « On en est à l’étape du diagnostic afin de savoir ce qu’attendent réellement les pères. On les a rencontrés pour inventer avec eux une nouvelle manière de faire », confie la bénévole.

Le centre social de Vitrolles en est, lui, à l’étape des actions concrètes. Il a par exemple été instauré un moment d’échange entre pères une fois par mois. Il arrive aussi que ces derniers organisent eux-mêmes des sorties en famille. Des idées qui n’ont pas été imaginées par « et les pères ! » mais bien par l’équipe du centre social et ses bénéficiaires. « Notre rôle a été de les aider à se sentir légitimes à mener ce type d’initiatives. On est là pour amorcer la pompe, faire ce travail qui change le regard et qui va entraîner une dynamique », souligne Jean-Luc Folliot. Encore faut-il avoir les moyens de la nourrir. Le turn-over dans les centres sociaux est si fréquent que les personnes sensibilisées par le travail de l’association ne restent pas forcément en poste. Leur départ signe souvent le déclin des actions.

 

 

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Parmi les signes que la société évolue sur le sujet de la paternité : l’allongement du congé paternité © Photo d’illustration, Pixabay

Les choses changent dans les paroles, pas forcément dans les actes

L’association est la seule du genre dans toute la France à sa connaissance. « Il existe plusieurs structures de défense du droit des pères, mais aucune n’a notre positionnement d’accompagnement et de travail de fond », glisse Jean-Luc Folliot. En huit ans d’existence, le président estime que la société a tout de même évolué sur la question de la place des pères. En témoignent l’allongement du congé paternité – et surtout cette (petite) période de quatre jours obligatoire –, la multiplication des livres dédiés à la paternité ou le fait que de plus en plus de structures font appel aux services de « et les pères ! ».

Un avis partagé par Mima Debache, qui regrette cependant que les discours enjolivent quelque peu la réalité. « Les pères sont davantage présents dans les débats et donc dans les esprits, ce qui donne l’impression qu’ils sont l’égal des mères. Or, lorsqu’on les interroge, ils continuent à dire qu’ils se sentent dévalorisés et qu’on ne leur laisse pas de place. Et les mamans qu’elles se sentent seules », souligne-t-elle, consciente que le chemin est encore long. Sans pour autant être défaitiste ou désespérée. Tout comme Rome ne s’est pas bâtie en un jour, déconstruire des décennies de stéréotypes ne se fait pas en un claquement de doigts. ♦

 

Bonus

  • Une expérience pilote à l’origine de l’association – Tout est parti d’un projet pilote initié entre 2009 et 2011 par le centre social Jacques Brel de Port-de-Bouc, avec le soutien du bailleur social Domicil. Autour d’un groupe de paroles de papas du quartier, accompagné par un psychiatre, il a été démontré l’importance d’ouvrir pour les pères des espaces d’échanges, d’entraide, de confiance et d’initiatives. De là a germé le projet de créer une association dédiée à promouvoir ce type de démarches. C’est ainsi que « et les pères ! » a été fondée en 2014 par Pascal Cremer, Abobikrine Diop et Jean-Luc Folliot.
  • Les financements : un décalage entre la reconnaissance de l’utilité et les moyens donnés – « et les pères ! » bénéficie de subventions, notamment de la Caf, et d’aide des bailleurs sociaux. Mais son président regrette aujourd’hui ne pas être plus soutenu par les collectivités alors qu’elles « reconnaissent l’utilité de notre action ». Il espère pouvoir embaucher bientôt un salarié afin de multiplier les accompagnements. L’association monte actuellement des dossiers pour solliciter des fonds européens.