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Soins palliatifs : à Gardanne, une Maison modèle

Par Marie Le Marois, le 21 mars 2023

Journaliste

Tout le monde peut jouer au piano qui trône dans l'entrée. D'ailleurs l'ostéopathe, avant ses séances du mardi, partage sa musique avec les résidents. @La Maison

Le débat sur la fin de vie rappelle l’urgence de mailler le territoire d’unités de soins palliatifs, car 23 départements n’en disposent toujours pas. Cet accompagnement est essentiel pour maintenir une qualité de vie aux malades incurables en phase terminale. Mais aussi en amont, pour un moment de répit. Reportage à La Maison de Gardanne, près d’Aix-en-Provence. Un lieu précurseur et « vivant » qui accueille 350 personnes par an depuis 1994.

 

Il était hors de question qu’elle intègre les soins palliatifs. Pour Florence, ces deux mots évoquaient la mort. Elle endure certes une maladie incurable – un cancer, mais elle se sent encore en vie. D’ailleurs, cette Cassidaine se bat, elle continue la chimiothérapie. Alors, quand son oncologue lui a suggéré La Maison, elle a refusé net. Trop peur. Pourtant, l’établissement accueille aussi temporairement les malades – pour trois semaines en moyenne. Offrir ainsi un moment de répit à leurs souffrances physiques, psychiques, existentielles incommensurables.

Une demi-heure de discussion au téléphone a fini par convaincre cette femme poids plume de rejoindre les 37 résidents de La Maison, âgés de 18 à 103 ans, parfois moins, avec une moyenne de 50 ans. Les trois pathologies les plus fréquentes sont le cancer, puis les maladies neurodégénératives dont Charcot et enfin, le sida.

 

♦ La Maison compte 120 salariés et 50 bénévoles qui se relaient pour couvrir les trois unités (38 lits) 7j/7, 24/24. Ainsi que les soins palliatifs à domicile.

 

Un établissement vivant

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Les enfants et petits-enfants des résidents peuvent venir jouer dans l’entrée quand ils veulent, et même faire du bruit. @Marcelle

Depuis son arrivée, le 3 mars, Florence affiche un large sourire. Tout ici l’émerveille, à commencer par la gaité du centre – « murs colorés et plantes à profusion ». Ni médecins, ni infirmiers (personne en fait) ne portent la blouse – « c’est moins anxiogène ». Cette résidente de 62 ans apprécie se faire appeler par son prénom – « on n’est plus des numéros de chambre », et vice-versa. Les repas pris tous ensemble dans la salle à manger – malades et soignants mélangés. Les ateliers artistiques (peinture, poterie, collage…) – son préféré est ‘’conte’’ – « je suis captivée ». La grande bibliothèque et le salon avec feu de cheminée tous les soirs.

Le piano à l’entrée, sur lequel jouent l’ostéopathe (le mardi avant les séances) « et aussi une petite fille de 10 ans qui me subjugue ». Le chien Neda et le chat Brooklyn « qui se baladent en toute liberté et se laissent caresser ». Le coin jouets pour les enfants – « j’adore lire les BD ». Les bénévoles extraordinaires – « ce matin quand la bénévole est venue, je ne voulais pas du tout parler. Et puis, elle est restée. On a parlé de tout et de rien, ça fait un bien fou ! ». Florence sent une vraie différence avec l’hôpital, « c’est un lieu qui vit vraiment ». Nous sommes à La Maison.

 

 

Des repas extraordinaires

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Florence savoure dans la salle à manger chou-fleur curry et poisson frais. Et ne culpabilise pas d’en laisser dans son assiette. @Marcelle

Et la nourriture ! Florence, qui a des difficultés pour s’alimenter ne tarit pas d’éloges sur les plats alléchants, odorants, goûteux. Les produits sont locaux, de saison et frais : essentiel pour garder tous les nutriments dont les résidents ont besoin. Elle les voit, les cuisiniers, éplucher le matin les légumes. Ils pensent leur menu pour que tout le monde puisse manger, y compris ceux qui ne peuvent plus mâcher. Et si les résidents préfèrent un autre met, prendre leur plat dans leur chambre ou rien du tout, pas de problème. Ici, tout est proposé – un goûter, une toilette, un soin… – mais « rien n’est obligatoire ».

Elle est loin d’avoir terminé son assiette, mais ne culpabilise pas. Contrairement à ses nombreux séjours traumatisants à l’hôpital où on la forçait à se nourrir, pour reprendre du poids. « C’était dur à entendre car on ne fait pas exprès. Le peu d’appétit que j’avais, je le perdais ! ».

 

♦ Fin 2021, la France comptait 171 unités de soins palliatifs et 420 équipes mobiles de soins palliatifs. Les patients sont pris en charge à 100% par la sécurité sociale ; le forfait journalier et d’éventuels frais hôteliers par les mutuelles.

 

Au service des résidents

Jean-Marc La Piana
Jean-Marc La Piana entouré des trois infirmières de l’Unité 1 @Marcelle

Le nom du centre n’est pas usurpé. Appeler les malades ‘’les résidents’’ et non ‘’les patients’’ n’est pas un coup de marketing. C’est ensemble, main dans la main, qu’ils traversent la maladie et souvent la fin de vie. Les soignants sont au service des malades pour soulager au mieux leurs douleurs physiques et psychiques. Vomissements, respiration et la déglutition altérées, insomnies, angoisses, dépression, doutes… Les questions qui reviennent le plus souvent ? « Combien de temps il me reste. Est-ce que suivre les traitements a du sens. Ne sont-ils pas pires que la maladie. Comment ne pas mourir en souffrant », égrène le Docteur Jean-Marc La Piana, directeur de l’établissement, dans son bureau ouvert sur l’entrée.

Les malades qui viennent ici veulent juste finir leur vie le plus paisiblement possible. Certains sont encore en traitement thérapeutique, d’autres ont arrêté. Mais tous désirent bénéficier de traitements de confort : la bonne posologie contre les nausées, le bon médicament pour la détente ou la douleur.

 

Quand le ‘’long mourir’’ devient un mal de vivre

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Le salon cosy, avec feu de cheminée, si cher à Florence @Marcelle

Avec les progrès de la médecine, les traitements sont de plus en plus efficaces. Mais le revers est que « le ‘’long mourir’’ devient un mal de vivre », observe celui qu’on appelle Jean-Marc. Le seul cofondateur encore actif de l’établissement (bonus) s’explique : « les malades bénéficient de traitements qui prolongent la vie quelques années, mais qui amènent une dégradation physique et psychique importante », Il ajoute que parfois s’y ajoutent des problèmes sociaux et économiques. L’isolement peut toucher le malade, même celui qui est bien entouré. « La maladie peut induire des tensions avec les proches et avoir quelqu’un à domicile H24 a un coût ». Raison pour laquelle La Maison propose à des résidents, comme Florence, des temps de répit. Pour souffler, parfois même augmenter la survie (bonus) 

Pas de règle cependant. La maladie ayant des hauts et des bas, « il y a des malades en fin de vie qui récupèrent. Et d’autres qui viennent pour un temps de répit, mais ne récupèrent pas », résume le directeur, tout en regardant par la fenêtre une résidente partir avec des bénévoles. Son état s’étant stabilisé, elle va visiter un appartement thérapeutique de l’association Handitoit pour éventuellement y vivre.

 

Ajustement permanent

Patio Gardanne
Tout est coloré ici @Marcelle

Prodiguer des soins de confort n’est pas toujours si simple, « il faut tout le temps les réajuster : le résident par exemple qui veut se détendre, mais pas au point de dormir toute la journée. Ou celui qui veut calmer ses douleurs, mais les sentir quand même sinon il a le sentiment de ne plus exister ». L’avantage de l’unité de soins palliatifs est de prodiguer du sur-mesure. 

Tous les jours, après le déjeuner, les équipes de chaque unité se retrouvent pour une ‘’réunion de transmission’’. Elle sert à faire le point sur les patients : réajuster un soin de confort, envisager un retour à domicile, parfois basculer vers un accompagnement de fin de vie. Tout est passé en revue : sommeil, toilette, alimentation, humeur. Les infirmiers, aide-soignant, psychologue et médecin échangent sur chacun, parfois aussi les bénévoles et le cuisinier « car on parle du résident dans sa globalité et la nutrition en fait partie ». 

Pierre*, par exemple, a besoin d’un ajustement pour son hypersalivation, d’un anxiolytique et d’un couvert ergonomique pour manger seul. Anaïs, qui ne peut plus s’alimenter, hormis jus et compote, est d’accord pour les compléments alimentaires.

 

Accompagnement fin de vie

maison
Pas d’indications de soins palliatifs sur la rue, juste le sigle. @Marcelle

Un possible retour à domicile est envisagé pour ceux qui le peuvent et le veulent. Annie, une résidente de retour à La Maison, a annoncé clairement : « ce qui me ferait plaisir, c’est de mourir ici », rapporte l’une des trois infirmières présentes à la réunion. Et d’ajouter : « lors de son précédent séjour à l’hôpital, on ne lui laissait aucun choix, elle subissait ». Le médecin, Cyril, pense que, peut-être, en lui redonnant la maîtrise, elle retrouvera confiance dans les soins et repartira « dans une dynamique de vie »

Pour Pierre, il faut sans doute envisager des soins palliatifs de fin de vie. Cela signifie « un changement de dynamique dans la prise en charge », nous explique l’infirmière coordinatrice après la réunion. Arrêter de stimuler le malade, ne plus chercher de solutions, mais l’aider à travailler sur le deuil, à garder au maximum sa dignité. À partir le plus paisiblement possible. Éventuellement via une sédation profonde et continue (bonus).

 

Les proches aussi

Associer les soins palliatifs à la vie
Cette oeuvre d’art a été réalisé par les résidents de La Maison avec une artiste bénévole. @Marcelle

La mission des soins palliatifs est également d’accompagner les proches du malade. De les aider à cheminer, à accepter de laisser partir l’être aimé. Cet être aimé qui, parfois, s’accroche à la vie parce qu’il les sent trop angoissés. Et pourtant il n’est que supplice. Les proches peuvent venir librement à La Maison, sans horaires de visite. Partager un repas. Dormir dans la même chambre (c’est le cas pour Pierre et sa femme, ainsi que Julie et sa maman) ou dans une des trois chambres dévolues aux proches. C’est aussi les intégrer, quand c’est possible, dans la recherche de solutions de confort pour le malade. C’est enfin écouter l’épuisement, l’impuissance, le désespoir, leur violence parfois. Mais également lever le non-dit. Cyril propose ainsi que Julie et sa maman voient Margaux, la psychologue. « Tout le monde sait qu’elle va mourir, mais personne n’en parle. Sa mère protège Julie qui la protège aussi ». 

Cet après-midi, Florence aura une séance de relaxation, « rien que d’y penser, je suis déjà relaxée ! ». Une de ses peurs était de ne pas avoir le droit de sortir. Grâce aux bénévoles, elle déambulera dimanche au marché de Gardanne. Ses douleurs physiques et psychiques s’atténuent peu à peu. Peut-être qu’elle retournera prochainement chez elle, à Cassis. Elle ne veut pas y penser, « ici on vit au jour le jour et ça fait du bien ».♦

*les prénoms ont été changés par souci d’anonymat

 

*La Fondation de France – Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article*

 

Bonus

[pour les abonnés]– La Maison, précurseur des soins palliatifs – Maladies incurables et insurmontables : plusieurs possibilités- La sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD)-

  • La Maison a vu le jour dans le contexte de l’épidémie du VIH grâce à Jean-Marc La Piana, Chantal Bertheloot et Jean-Louis Guigues. C’était il y a presque 30 ans. Après le refus de plusieurs communes d’accueillir ce centre par peur du Sida, une maladie alors mal connue, La Maison a été inaugurée à Gardanne le 7 octobre 1994 avec 10 malades, dont 8 atteints du Sida. Grâce au progrès de la médecine et à l’arrivée de la trithérapie, l’établissement a ensuite accueilli des résidents atteints d’autres pathologies (cancers, maladies neurologiques…) En 1998, une équipe mobile a vu le jour dans le but d’aider le maintien à domicile des malades.

La Maison a contribué à l’émergence et la structuration des soins palliatifs en France, notamment grâce au soutien financier de La Fondation de France.

 

  • Sur les 40 malades en liste d’attente, une vingtaine sont justifiés, « les autres ne savent pas où aller car il n’y a de place nulle part », souligne Jean-Marc La Piana. Qui rentre en priorité ? « C’est très compliqué. Les malades déjà suivis, qui se sont absentés, sont prioritaires, puis les situations les plus graves sur le plan, aussi bien médical que social ». Évidemment pas sur le restant à vivre, car nul ne sait.

 

  • Mis en œuvre précoce. L’administration de soins palliatifs peut augmenter les chances de survie. Entre 30 et 365 jours après le diagnostic de cancer du poumon à un stade avancé, elle est associée à une meilleure survie, de 53%, par rapport à ceux qui n’en reçoivent pas. Sources Ministère de la Santé.

 

♦ (Re)lire : Infirmier en soins palliatifs, il se raconte en BD

 

  • Maladies incurables et insurmontables, plusieurs possibilités. Outre les 38 lits en hospitalisation, La Maison dispose de cinq places en hôpital de jour. Les malades peuvent venir, une journée ou plus par semaine, profiter des ateliers d’art et culture. Dès mai, il y aura quatre places en plus, ainsi que la possibilité de bénéficier soins infirmiers et transfusions, « ce qui évitera l’hospitalisation ».

L’équipe mobile de soins palliatifs (EMSP) intervient à domicile pour une prise en charge temporaire ou de fin de vie. Celle de La Maison est l’une des cinq équipes du RéSP 13 (Réseau de soins palliatifs des Bouches-du-Rhône). 

Il existe enfin des lits identifiés de soins palliatifs (LISP) dans des hôpitaux. Annuaire des structures de soins palliatifs et des associations de bénévoles ici. Et l’actuel plan national  »développement des soins palliatifs et accompagnement de la fin de vie » qui vise à mailler le territoire » ici

 

  • La sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD), c’est quoi ? Elle consiste à endormir profondément une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, dont la souffrance est insupportable (malgré les traitements de confort), et le décès imminent et inévitable. Elle est associée à une analgésie et à l’arrêt des traitements de maintien en vie. Détails ici« L’objectif est que le malade puisse partir paisiblement. Mais, précise Le Docteur Jean-Marc La Piana, c’est bien la maladie qui le fait partir. Pas la sédation ».