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Au Cloître, la foi dans le social

Par Nathania Cahen, le 8 janvier 2020

Journaliste

Si les quartiers nord de Marseille tiennent encore beaucoup de l’épouvantail, leurs atouts tendent pourtant à se multiplier. Bonne pioche que cet ancien couvent devenu un village d’entrepreneurs sociaux qui fait rimer business avec insertion. La preuve ? Cinq ministres s’y sont déjà invités !

 

Au Cloître, la foi dans le social 8On n’arrive pas au Cloître par hasard. D’abord, si vous avez l’habitude d’utiliser Waze comme GPS, vous atterrirez à quelques mètres à vol d’oiseau mais au mauvais endroit, dans un cul de sac au pied d’une cité. Un coup de fil ou une bascule sur Google map vous remettront dans les bons rails. Mais vous êtes peut-être adepte du bus… et vous avez bien raison.

Cette nouvelle place to be des quartiers nord de Marseille est un lieu improbable : un ancien couvent de bonnes dimensions (6 000 m² dont 4 000 rénovés) devenu un village d’entreprises à vocation sociale. Le tout prolongé par un terrain de six hectares en partie exploité par Le Paysan Urbain (entreprise agricole qui cultive les micro pousses tout en favorisant l’inclusion de personnes en difficulté – relire notre article).

On doit ce projet à un homme qui pourrait tenir du père supérieur. Pourtant, ni soutane ni chapelet en sautoir pour Arnaud Castagnède. Juste la foi dans l’insertion chevillée au corps. Et de l’énergie à revendre.

 

Une vocation d’entrepreneur social

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Arnaud Castagnède ©DR

Ingénieur-cartographe de formation, il fait ses premières armes entre Guyane, Brésil et Surinam. Imaginant sur place d’édifier des bâtiments selon les règles de construction ancestrales des Amérindiens, créant à cet effet des chantiers-écoles avec les Compagnons du Devoir. Arrivé à Marseille en 1997, Arnaud Castagnède y crée Acta Vista, entreprise de l’ESS qui favorise la réinsertion des chercheurs d’emploi en les formant à la rénovation de monuments historiques (lire notre article sur le sujet), qu’il cède en 2015, d’autres idées en tête. Membre du réseau Ashoka (bonus), l’homme envisage de réunir des entreprises à dimension sociale positionnées sur des filières porteuses, soucieuses d’intégrer dans leurs équipes des jeunes à former. Ce sera au cloître Saint-Jérôme : le lieu, qui appartient à la fondation des Apprentis d’Auteuil (lire notre article), réunit toutes les qualités nécessaires. Entre 2015 et 2017 s’effectuent le montage du projet et la recherche des résidents. S’ensuivent 14 mois de rénovation.

Au Cloître, la foi dans le social 7Douze structures (bonus) de formats divers forment aujourd’hui l’ossature de ce cloître vibrionnant comme une ruche, dont l’entreprise de compost Les Alchimistes, le Paysan Urbain évoqué plus haut, le spécialiste du tri sélectif Lemon Tri… Cinq ans après le début de l’aventure, voilà les bureaux tous occupés, des effectifs au grand complet quand le nouvel institut thérapeutique éducatif et pédagogique de l’Association régionale pour l’intégration des personnes en situation de handicap ou en difficulté (ARI) accueillera sa première promo, cet été. « Il est important d’intégrer la différence, insiste Arnaud Castagnède, chaque entreprise pourra proposer des séquences découverte ou formation à ce public ». Mais aussi un restaurant ouvert sous la houlette du chef Michel Portos, « un chef engagé, dont la cuisine repose sur des produits locaux et bio et qui fonctionne avec du personnel du territoire nord de Marseille qu’il forme et qualifie, qu’il sensibilise aussi à l’éthique et aux gestes écoresponsables ».

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En avril 2019, visite de Muriel Pénicaud, ministre du Travail.

Dédiée aux publics fragilisés (demandeurs d’emploi, réfugiés, handicapés, femmes…), l’école de codage Simplon qui n’avait pas encore de locaux dans la région, a été la première à investir l’espace – sur les 600 m² loués, la moitié a été aménagée à ce jour. « Nous établir dans un lieu pareil m’a semblé vraiment emblématique, témoigne sa directrice, Laurence Bricteux. D’autres entreprises hébergées font aussi de la formation, avec les mêmes valeurs, les mêmes problématiques. Nous sommes complémentaires, nous échangeons et profitons de l’émulation ambiante. » Son équipe de 17 salariés accueille au quotidien de 70 à 90 personnes en formation. « Nos salles se situent à côté du restaurant, les clients nous découvrent, posent des questions », se réjouit-elle encore.

 

Façon écosystème

Les locataires du Cloître bénéficient par ailleurs des dispositifs développés par Apprentis d’Auteuil, qu’il s’agisse d’identifier les publics, de former, de lever des aides… Les projections portaient sur 200 personnes intégrant un parcours professionnel la première année. Objectif dépassé avec 250 contrats en cours, majoritairement signés avec des 17-30 ans.

Comme le rappelle une plaque fixée à l’extérieur du bâtiment, la rénovation de l’ensemble a coûté 3,5 millions d’euros, abondés par la fondation Apprentis d’Auteuil (2,15 millions d’euros) et l’Union Européenne via son Fonds Régional de Développement Économique (FEDER Région Sud) à hauteur de 1,35 million d’euros. Mais le recours à de l’argent public s’arrête là. Désormais les ressources sont essentiellement locatives – loyers des résidents, location d’espaces événementiels, de salles de réunion, organisation d’événements. « Le moteur de ce projet social doit être l’économie des entreprises impliquées. Afin de prouver qu’intégrer des jeunes en formation tout en développant du business, c’est possible ! » ♦

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

 

* RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *

 

Bonus [Pour les abonnés] La colline Saint Bruno – Les locataires du Cloître – Darwin à Bordeaux – le réseau Ashoka –

 

  • Au Cloître, la foi dans le social 6La colline Saint Bruno – Parce qu’elle est excentrée, c’est un lieu de refuge idéal qui en 1720, accueille les rescapés de la grande peste de Marseille. En 1862, commence la construction de la chapelle St Bruno par le chanoine Rain, neveu du propriétaire de la colline, Joseph Bruno Péchier. Les sœurs de la Visitation s’installent sur la colline en 1932 et y fondent le couvent Madeleine Rémusat, du nom d’une religieuse visitandine qui fit consacrer le diocèse et la ville de Marseille au Cœur Sacré de Jésus par Mgr de Belsunce, à la suite de la grande peste de 1720. Elles y fondent également un hôpital militaire et plus tard transforment une partie du couvent en dispensaire. C’est en 1988-1989 que la Fondation d’Auteuil s’installe sur ces 6,5 hectares et donne le nom « Saint François de Sales » au cloître, y instaurant des sections d’apprentissage qui perdureront jusqu’en 2016.

 

  • Les locataires – Ces « faiseurs d’avenir engagés » sont : le restaurant Les jardins du cloître, le traiteur MinaKouk, la ferme urbaine Le Paysan Urbain, La conciergerie Solidaire, la société Totem Mobi, les Apprentis d’Auteuil et leurs dispositifs d’accompagnement à la création d’entreprise Skola et L’ouvre-boîte, l’association de tri et recyclage des déchets Lemon Tri, le centre d’appel L2Phone, le parcours d’acrobranche EcoPark (qui forme au métier d’opérateur de parcours acrobatique en hauteur).

 

  • Ça marche ailleurs – Le lieu alternatif Darwin à Bordeaux : une ancienne caserne militaire de près de 20 000 m², installée rive droite, convertie en cité idéale tournée vers l’économie verte avec la création d’une ferme urbaine, d’un skate-park XXL, d’espaces d’expression libre pour les grapheurs, d’une épicerie bio, d’un restaurant Le Magasin général, d’espaces de coworking et même d’un terrain de bike-polo. Initié par le groupe Evolution, Darwin a réalisé l’éco-rénovation de bâtiments qui datent de 1850 pour y installer un écosystème d’entreprises et associations désireuses de minorer leur impact environnemental tout en améliorant leurs conditions de travail. En 2016, ce qui sous la houlette de Philippe Barre est devenu un lieu emblématique de l’entrepreneuriat à Bordeaux, rassemble sur 5 500 m² pas moins de 190 sociétés, 500 emplois (dont 200 créés) et génère 70 millions d’euros de chiffre d’affaires cumulé. 20 millions d’euros ont été investis dans Darwin, avec le soutien de partenaires privés tels que le Crédit Agricole. 5% seulement provenait d’aides publiques.

 

  • Ashoka – Ce réseau international propose un soutien aux entrepreneurs sociaux innovants dans le but d’augmenter leur impact sur la société et dans des domaines comme l’éducation, la formation, la santé, la lutte contre les discriminations, la défense de l’environnement, le développement durable, les Droits de l’homme, etc. Ashoka est financée en totalité par des fonds privés, provenant notamment d’entrepreneurs du monde des affaires. « Le réseau Ashoka m’a permis de développer les entreprises sociales que j’ai pu créer – Acta Vista et BAO. Il accompagne et promeut les projets d’entrepreneurs qui peuvent contribuer au changement par l’innovation », glisse Arnaud Castagnède.

Pour identifier les entrepreneurs sociaux, Ashoka utilise une approche de capital-risque philanthropique : processus de sélection rigoureux (permettant de s’assurer de la nouveauté de l’idée mise œuvre et de la qualité entrepreneuriale du candidat) ; soutien financier et professionnel actif pendant 3 ans ; accueil à vie au sein du réseau international Ashoka. En 2015, l’organisation était présente dans 86 pays et a déjà soutenu près de 3 000 entrepreneurs appelés aussi « Ashoka Fellows ».

En 2018, Ashoka a été classée 5ème ONG la plus influente au monde par NGO advisor. Ashoka a été lancée en France en 2006. Depuis, 68 entrepreneurs sociaux ont été sélectionnés et bénéficient d’un accompagnement personnalisé. En Provence, outre Arnaud Castagnède, citons Claire Grolleau (Label Vie), Nicolas Detrie (Yes We Camp) ou Jean-Loup Mouysset (centres Ressource).