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[Série] Autopsie d’une poubelle #1 : « La dernière marotte de maman »

 

Par Guylaine Idoux, journaliste

 

Autopsie d’une poubelle (saison 1)Marcelle lance sa série ! Six épisodes mettant en scène une famille d’aujourd’hui (une mère, un beau-père et leur fils de 11 ans) qui entend sans cesse parler pollution, réchauffement climatique, et même effondrement de civilisation, sans bien savoir quoi faire. Passer en mode survivaliste ? Se rouler en boule en attendant que ça passe (ou pas) ? Avoir confiance dans les industriels pour s’autocontrôler en faisant passer la survie de l’espèce avant l’appât du gain (rions un peu) ? Dans un bel enthousiasme (« T’es pas sérieuse, là ? »), nos héros rejoignent plutôt le « Défi Familles » de « Zero Waste », six mois de formation et d’accompagnement pour faire maigrir leur poubelle. Récemment implantée à Marseille, l’ONG fait de la démarche zéro déchet une première étape -cruciale- vers la nécessaire transition écologique. Youpi, la famille en fait partie (« Comment ça, tu nous as inscrits ? »). Réussira-t-elle son défi ?

 

(Intérieur jour, un salon familial). La télévision est allumée. L’enfant regarde un film en anglais sous-titré français – ben oui, ses parents l’obligent pour qu’il travaille son accent. On aperçoit une poubelle Brabantia dans un coin de la cuisine ouverte sur le salon. La mère est en train de sortir le sac poubelle pour le peser sur une minuscule balance de pâtisserie électronique. On devine du mouvement dans une autre pièce, le beau-père est là aussi.

La mère : « Crotte, ça ne marche pas ».

L’enfant, tournant la tête pour la regarder : « Tu fais quoi là ? »

Autopsie d’une poubelle (saison 1) 2La mère : « J’essaie de peser notre poubelle mais ça fait plus de dix kilos et ça ne marche pas sur cette balance. J’en ai pas d’autre ».

L’enfant roule des yeux, un peu moqueur, mais un peu effrayé quand même. Sa mère a-t-elle viré foldingue ? « … »

La mère : « Je nous ai inscrit à un défi zéro déchet. C’est pour la planète et je vais le chroniquer dans Marcelle, tu sais, le site pour lequel je travaille. Le premier mois, on doit peser tous nos déchets sans rien changer à nos habitudes, pour voir où on en est ».

L’enfant, criant : « Beau-papaaaaaaa, y’a maman qu’a une nouvelle marotte ».

 

(Intérieur nuit, L’Ébénisterie, un bar près de la place Castellane). La mère rencontre Fiona Cosson, bénévole de Zero Waste, fondatrice de l’antenne marseillaise, qui sera sa référente tout au long du défi. C’est une première rencontre, elles savourent une bière. La mère est en mode interview, elle prend des notes sur son ordinateur. Fiona raconte son parcours.

Fiona : « J’ai 27 ans et je suis chargée de production de spectacles. Originaire de Nouvelle-Calédonie, je me suis installée à Marseille en 2014. Depuis deux ans, je suis très impliquée dans l’association Zero Waste ; j’ai eu le déclic quand on m’a découvert d’importantes allergies de peau. Je ne supporte pas les conservateurs des cosmétiques et des produits d’entretien. En cherchant des recettes « nature » sur Internet, je suis très vite tombée sur des sites zéro déchet. C’est devenu une façon de m’engager à mon petit niveau, tout en faisant du bien à mon corps. J’ai commencé par fabriquer mes cosmétiques, puis mes produits d’entretien. Aujourd’hui, c’est devenu un mode de vie à part entière. En début d’année, j’ai porté la création du groupe Zero Waste Marseille avec d’autres bénévoles. Il y a beaucoup d’enthousiasme autour de cette démarche. »

La mère : « Pourquoi avoir rejoint cette association en particulier ? »

Fiona : « L’équipe de cette ONG est super dynamique et ses valeurs me conviennent. Quand on défend ce mode de vie, on se doit d’être bienveillant et ne pas culpabiliser les gens parce qu’ils produisent trop de déchets. On les informe. Tout ne repose pas sur l’individu : il faut un effort convergent du consommateur, de l’État et des industriels. »

La mère : « Quel est le sens de ce Défi familles ? »

Fiona : « C’est à la fois une façon de nous faire connaître et de former des gens de tous âges et de tous milieux, qui feront ensuite eux-mêmes rayonner la démarche. Il y a une attente. En vingt minutes, les inscriptions étaient bouclées, soit 28 familles, du célibataire à la colocation de huit personnes. Sinon, ça te dérange si on sort pour que je fume ? »

La mère, qui ne peut pas s’empêcher : « C’est pas super zéro déchet de fumer, si ? »

Fiona, souriant : « C’est ce que je te disais : on n’est pas là pour juger, on fait tous des efforts, chacun à son niveau. Je ne suis pas parfaite, qui suis-je pour juger les autres ? Ceci dit, je vais arrêter ».

La mère : « Elle était un peu forte la bière, non ? Je suis un peu paf là ».

Fiona : « Moi aussi ». Elles rient et s’enfoncent dans la nuit.

 

(Extérieur jour, la famille devant le Bar à Pain, près des Réformés à Marseille). La mère et le beau-père sont énervés, ils sont -très- en retard à la première réunion. En plus, Ils n’ont pas eu le temps de petit-déjeuner et se sont arrêtés à la boulangerie bio du coin. Du coup, ils ont les bras chargés de sacs en papier en arrivant à 10h30 à la réunion de 10h.

Le beau-père : « Je t’avais dit qu’on aurait du mal à se lever. Voilà. On avait vingt minutes de retard, en plus on s’arrête à la boulangerie. Et là, on va arriver avec plein de déchets. Ça la fout mal, ça la fout mal ».

La mère : « Bah oui mais on avait faim. On sera les boulets, voilà. C’est bien quand il y en a dans un groupe, ça rassure les autres. »

L’enfant : « Je peux avoir ma pizza ? ».

Le beau-père, s’adressant à la mère : « De toute façon, je n’étais pas partant pour le faire. On a trop de trucs sur le feu, ce n’est pas le bon moment ».

La mère : « Je suis sûre que tu seras aussi convaincu que moi après la première réunion. On parie ? Je sais que ça va te plaire. ».

L’enfant : « Je peux avoir ma pizza ? ».

Le beau-père, s’adressant à la mère : « Ouais, faut voir. Et j’espère que ce n’est pas le genre extrémiste qui s’essuie les fesses à la mousse d’arbre et qui garde l’eau du bain pour la chasse d’eau. En plus on arrive avec plein de déchets. Ça la fout mal, ça la fout mal ».

Ils tentent d’ouvrir la porte discrètement, elle couine bruyamment. Une cinquantaine d’yeux se tournent vers eux.  Ils s’asseyent et l’enfant prend sa pizza. Le papier kraft fait un bruit d’enfer. Une cinquantaine d’yeux se tournent vers eux.

Le beau-père, chuchotant : « Ça la fout mal, ça la fout mal ».

Il mange quand même sa brioche (et elle est bonne).

 

Autopsie d’une poubelle (saison 1) 3(Intérieur jour, la famille est dans la salle de réunion). Une cinquantaine d’autres personnes sont là, tous des participants au Défi Familles ; outre Fiona, quatre bénévoles les encadrent. Chacun se présente, explique ce qui l’a poussé à rejoindre le défi (nous y reviendrons en détail dans un prochain épisode, où nous présenterons les autres personnages). L’esprit est effectivement bienveillant. Personne ne semble s’essuyer les fesses à la mousse d’arbre (concernant l’eau du bain pour la chasse d’eau, c’est moins clair). Partage des bonnes pratiques à mettre en place, présentation des adresses marseillaises pour les courses en vrac, présentation des différents types de composteurs (voir nos prochains épisodes)… L’échange est franchement passionnant. Arrive le bilan des pesées. Certains affichent déjà des chiffres de pro du zéro déchets (genre 880 g pour un mois). Nos héros pas vraiment, ils  arrivent bons derniers avec… 33 kg de déchets pour le mois.

Le beau-père : « Voilà, c’est officiel, on est les boulets du groupe ».

La mère : « Ce qu’il y a de bien, c’est qu’on a de la marge. Il nous reste six mois… Et je t’ai vu écouter. Ça t’a plu, non ? »

Le beau-père, un sourire en coin : « Bon, tu avais raison, c’est vrai que ça donne la pêche, comme l’impression de retrouver un tout petit rôle dans le grand bordel ambiant. En groupe, ça motive en plus. Allez, je m’occupe de trouver le composteur le plus adapté pour nous. » ♦

(À suivre…)

 

Bonus

 

  • Zéro Waste France : fondée voilà plus de vingt ans (ex-CNIID), cette Organisation Non Gouvernementale (ONG) milite pour la réduction des déchets et leur gestion plus responsable. Plus de 2500 personnes en sont aujourd’hui adhérentes à travers une cinquantaine d’associations et collectifs locaux en France, dont Zero Waste Marseille, créée en 2018.

 

  • En France, depuis 1960, la consommation générale a été multipliée par quatre et la production de déchets a fait un bond de 82%. Chacun de nous « produit » plus de 590kg par an : 288kg d’ordures ménagères résiduelles (en gros, nos poubelles de cuisine), 77kg de recyclables (emballage, papier et verre), 19kg de biodéchets (pour ceux qui compostent) et 206kg d’encombrants. A travers le pays, 236 décharges et 126 incinérateurs font « disparaître » ces déchets mais ces solutions sont polluantes et nous coûtent 17 milliards d’euros chaque année.

 

  • Selon Zero Waste, nous pouvons éliminer 95% des déchets de notre quotidien en changeant nos habitudes d’achat tout en améliorant notre qualité de vie. Une première règle : le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas. Première astuce, toute simple : l’autocollant « Stop Pub » sur la boîte aux lettres peut faire économiser jusqu’à 35kg de papier par an. Et si cela ne suffit pas à décourager ceux qui les distribuent : un petit signalement de l’entreprise responsable à Zero Waste Marseille fera avancer les choses (la pratique est illégale, donc sujette à amende). Merci qui ?

 

  • Composter permet de « gagner » 30% de déchets. Nous sommes en train de mettre au point la solution la plus adaptée à notre famille (nous vivons en appartement, sans extérieur, dans le quartier de Noailles où il n’existe, à notre connaissance, aucun composteur collectif). Affaire à suivre, donc.

 

  • Pour en savoir plus :

-« Famille (presque) Zéro Déchet » de Jérémie Pinchon et Bénédicte Moret – la « Bible » du zéro déchet, traité sur un mode plein d’humour par ses auteurs, qui se mettent en scène avec leurs deux enfants à travers des petits dessins.

-« Zéro Déchet » de Béa Johnson. Une Avignonnaise installée aux Etats-Unis, qui a fait de la démarche un art de vivre, et même une esthétique de vie (jusqu’à l’excès ?). En tous cas, une mine de pistes aussi.