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Baluchon fait de la transition alimentaire un outil d’insertion

Par Virginie Menvielle, le 7 février 2023

Depuis 2014, l’association Baluchon ouvre l’univers de la restauration grâce à une formation traiteur, en insertion, et un incubateur de projets. En octobre 2021, l’association s’est également installée à Lille, dans l’un des quartiers prioritaires de la ville. 

 

Un éco-quartier étendu sur 14 hectares, 2000 m2 de bâtiments désaffectés, plus de 20 000 habitants qui gravitent autour : la friche Fives-Cail à Lille est un peu une ville dans la ville. Un territoire en déshérence depuis la fermeture de la principale usine du groupe Fives-Babcock, auquel la mairie de Lille a décidé de rendre sa superbe en y réalisant un temple de la gastronomie baptisé Chaud Bouillon. Dans ce lieu hybride, on trouve pêle-mêle une ferme urbaine, un lycée hôtelier, un food court (des stands de restaurants différents installés dans une halle, NDLR), une cuisine commune pour les habitants du quartier… et Baluchon. L’association lancée en 2014 en Seine-Saint-Denis, s’est posée dans le quartier en octobre 2021.

 

On remplit son baluchon

Baluchon a emmené à Lille, dans ses bagages, son projet déjà rodé dans la région parisienne : celui de révolutionner la cuisine française. Rien que ça ! « On cuisine encore comme il y a 50 ans », lâche Gaëlle Werkling, la secrétaire générale de l’association. « Il faut voir l’opulence, la profusion, s’emporte Gaëlle. On jette des chapons, foie gras, truffe… »

Impensable pour les responsables de Baluchon qui promeuvent une autre manière de cuisiner : plus vertueuse, plus locale, plus responsable. Ici, on n’achète pas de produits qui font des milliers de kilomètres pour arriver jusqu’à nous.

« Il y a toute une révolution à entreprendre », lance Gaëlle Werkling, la secrétaire générale de l’association

Les 12 Incubé.es de la promo 2022 de Lille dans les locaux de Chaud Bouillon.
Les 12 Incubé.es de la promo 2022 de Lille dans
les locaux de Chaud Bouillon.©Baluchon

Tous proviennent de l’agriculture locale, durable et le plus souvent bio. On pousse aussi le bouchon jusqu’à livrer les fameux plateaux en vélo cargo. Baluchon a d’ailleurs obtenu son premier macaron « écotable », une reconnaissance de leur engagement en faveur de l’environnement. 

 

 

Une nouvelle génération de cuisiniers

L’association souhaite faire émerger une nouvelle génération de cuisiniers grâce à son entreprise de traiteurs et à son incubateur. « Il y a toute une révolution à entreprendre. Le monde change, la cuisine aussi. Notre but, c’est de leur donner suffisamment de technique pour pouvoir s’affranchir des recettes et ainsi s’adapter aux produits qu’ils ont devant eux ». En clair : ne pas se retrouver à ne pas pouvoir cuisiner parce qu’il y a une pénurie de moutarde.

« La réalité, c’est des cagettes de carottes à nettoyer », Gaëlle

Ici, pas de cours théorique, on apprend uniquement en travaillant. Les trois salariés en insertion recrutés cette année se forment sous la houlette de Madeleine, la cheffe cuisinière du traiteur. Elle leur apprend toutes les ficelles du métier et surtout sa réalité. « Aujourd’hui, il y a beaucoup de fantasmes autour de Top Chef. On s’imagine que faire de la cuisine, c’est manipuler des petites pinces, mettre des fleurs partout, faire de jolis bouillons thaïs, mais la réalité, ce n’est pas ça. », tonne Gaëlle.

La secrétaire générale de l’association poursuit dans la même veine : « La réalité, c’est des cagettes de carottes à nettoyer, la plonge, le mal de dos permanent… ». Autant dire qu’il y a des déconvenues ; d’autant que parmi les recrues, aucune n’a d’expérience dans le domaine. C’est même le contraire. Mathilde Brique, directrice du traiteur explique : « On recrute des personnes très éloignées de l’emploi, qui sont au RSA (revenu de solidarité active) et n’arrivent pas rentrer sur le marché du travail ».

 

On vient avec « ses casseroles »

Leur profil reste néanmoins varié : des jeunes (l’une des recrues de 2022 a 19 ans), des allophones, des mamans célibataires aux CV jonchés de trous… Les salariés ont des contrats de six mois, renouvelables quatre fois, avec comme objectif à la clé, un emploi durable : en restauration collective, dans un restaurant, ou une reprise de formation. De plus, pendant toute la durée de leur salariat chez Baluchon, ils sont aussi accompagnés par une conseillère en insertion professionnelle qui les guide sur leurs problèmes connexes : familiaux, sociaux, liés au logement ou encore à la santé. « Ils viennent avec leurs galères qu’ils mettent dans un baluchon pour changer de vie », s’enthousiasme Gaëlle.

Ils apprennent à confectionner des plateaux-repas qui seront ensuite livrés dans les entreprises clientes de Baluchon. Mais aussi à cuisiner pour des banquets, des cocktails, où il y a jusque 300 convives. Impressionnant pour des apprentis cuisiniers. Mathilde confirme et sourit : « Lors de ces gros évènements, on peut compter sur des extras, on fait alors appel à notre réseau et en particulier à nos incubés, qui viennent donner un coup de main ».

 

 

A Baluchon, les salariés en insertion et les incubés bénéficient d'installations professionnelles.
A Baluchon, les salariés en insertion et les incubés bénéficient d’installations professionnelles. ©LaurinePollavini

Un incubateur pour entrepreneurs en devenir

Les fameux incubé.es sont des jeunes et moins jeunes qui ont un projet en lien avec la restauration. « Il y a beaucoup de pâtissières, mais d’autres veulent ouvrir des conserveries, épiceries fines, cafés-cantines, restaurants, traiteurs… Je dis elles parce que 80% de nos incubés sont des femmes », précise Gaëlle, la secrétaire générale de l’association. La promotion précédente a su transformer l’essai. Il y a Pomme Belle Hélène, ouvert par une ancienne de Baluchon qui a désormais son propre laboratoire à Lille. Ou encore Tranquille Émile, un café-cantine autour de la parentalité, à Hem (une commune voisine de Lille). 

Les douze incubés bénéficient via Baluchon d’un accès gratuit à une cuisine professionnelle – fours à basse température, éplucheuse géante, chambres froides… En clair, ils bossent dans les conditions de vrais pros, et en échange doivent donner de leur temps à Baluchon.

Ils font des extras quand le traiteur gère de très grosses commandes. Donnent des conseils, partagent leurs connaissances avec les trois salariés en insertion. Ainsi, le baluchon de chacun grossit. Le concept visiblement séduit, Gaëlle a refait le sien pour ouvrir un nouveau concept… à Bordeaux cette fois.