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Dans une brasserie marseillaise, la science coule à flots

Par Maëva Danton, le 16 juin 2022

Journaliste

Pour les porteurs du projet, tout l'enjeu est de toucher un public plus divers, plus jeune. Et susceptible d'apporter des solutions contre les bouleversements environnementaux. @MGP

Une bière fraîche et mousseuse. Des chercheurs avec qui parler de l’avenir des océans. Voilà le programme des bars de science lancés dès le mois d’avril à Marseille sous l’égide de l’Institut Pytheas et de l’ONG Sufrider. Le but : rendre les connaissances scientifiques accessibles au plus grand nombre. Et donner à chacun l’envie d’agir pour l’environnement.

L’air et chaud et moite en ce mardi soir de juin. La brasserie Zoumaï, à deux pas de la place Castellane, est pleine à craquer. Installée autour de tables rondes, la clientèle -dont la moyenne d’âge doit avoisiner les trente ans, discute de tout et de rien. D’une anecdote de la journée. De politique. De la qualité de la bière, qui se décline ici en un large nuancier. « Oh, elle est corsée celle-là ! », s’étonne une dame à l’intention de sa voisine. 

Les appétits s’aiguisent. Et peu à peu, l’ambiance s’imprègne de l’odeur des pizzas brûlantes qui se frayent un chemin jusqu’à certaines tables, aux côtés de cacahuètes aux multiples enrobages.

Dans un coin de la salle, quelques personnes s’affairent. Un projecteur de diapositives est branché. De même qu’un micro. Certaines endossent un T-shirt bleu vif auréolé de la mention Surfrider. Le bar des sciences s’apprête à prendre place. 

 

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En ce mardi soir de juin, la salle est comble malgré la chaleur. @MGP

Démocratiser les connaissances scientifiques


Pression hyperbar. C’est le nom du concept. L’idée : parler de sciences, et plus précisément d’océans, dans le cadre convivial d’une brasserie. 

A l’origine : l’Institut Pytheas, l’un des vingt-cinq Observatoires des sciences de l’univers (ou OSU) du CNRS au niveau national. « L’OSU Pytheas est sous tutelle du CNRS, de l’Institut de Recherche pour le Développement et d’Aix-Marseille Université », explique Thierry Botti, en charge de la communication de l’OSU Pytheas. L’Institut regroupe six unités de recherche (bonus) et se propose d’explorer un large champ, allant « du fonds des océans aux confins de l’univers ». 

Parmi ses missions : de la recherche, de la formation, mais aussi le partage de connaissances avec le plus grand nombre. « Nous nous appuyons sur des partenaires variés, dans l’éducation comme dans la culture. Que ce soit à travers des expositions, la mise en place d’outils pédagogiques ou la réalisation de podcasts ». Diversifier pour toucher le public le plus large possible alors que, regrette Thierry Botti, « on valorise beaucoup la culture, mais pas la culture scientifique qui a tendance à faire peur. Peut-être à cause de la manière dont la science est abordée dans la parcours scolaire …» Alors quoi de mieux qu’une bonne bière pour décomplexer les foules ?

 

Dans une brasserie marseillaise, la science coule à flot
A l’origine de Pression Hyperbar, la rencontre entre l’ONG Surfrider et l’OSU Institut Pytheas. @MGP

Un partenariat pour alerter sur la fragilité des océans

« Nous participons à des bars de sciences à Avignon et à Arles. Mais cela faisait longtemps que nous n’en proposions plus à Marseille ». Il aura finalement fallu une rencontre avec l’ONG Surfrider, engagée pour la protection des océans, pour compenser ce manque. « Nous nous sommes mis d’accord pour proposer un cycle de bars de sciences sur le thème des océans car il y a un enjeu majeur de sensibilisation du grand public ». Des écosystèmes fragiles. Particulièrement sensibles à nos comportements, de l’usage de crèmes solaires peu compatibles avec la préservation de la vie marine à la mauvaise gestion des déchets. 

Un premier cycle de soirées est programmé d’avril à juillet. A chaque fois, deux ou trois scientifiques -appartenant ou non à l’OSU Pytheas- interviennent bénévolement tandis qu’un bénévole de l’ONG tisse le lien entre eux et le public. 

Quant au choix du lieu, la brasserie Zoumaï s’est imposée comme une évidence. « La configuration s’y prête bien. C’est une grande salle qui permet de voir d’où parlent les gens. Et le patron est intéressé sur le sujet. Il s’apprête même à sortir une bière à l’eau de mer ».

 

♦ (re)lire : Étudier la faune aquatique à travers les oeuvres d’art

 

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Thierry Tatoni, professeur d’Aix-Marseille Université et chargé de mission au CNRS pour le Dispositif de Partenariat en Écologie et Environnement (DiPEE) @MGP

La science pour poser les bases d’une discussion constructive

A la carte des deux premiers rendez-vous : la biodiversité en Méditerranée et la restauration des fonds marins. Aujourd’hui, « Urbanisation et littoralisation : quels impacts sur le littoral marseillais et méditerranéen ? » annonce une bénévole de Surfrider. Pour en parler : Thierry Tatoni, professeur d’Aix-Marseille Université et chargé de mission au CNRS pour le Dispositif de Partenariat en Écologie et Environnement (DiPEE) ; et Joël Guiot, directeur de Recherche CNRS au Centre Européen de Recherche et d’Enseignement des Géosciences de l’Environnement (CEREGE).

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Joël Guiot, directeur de Recherche CNRS au Centre Européen de Recherche et d’Enseignement des Géosciences de l’Environnement (CEREGE) @MGP

C’est le second qui commence. Par un constat amer : « Le changement climatique est clair. Et plus personne ne le met en doute ». « Plus que 0,4°C de réchauffement possible si l’on ne veut pas dépasser les 1,5°C fixés par la Cop 21 ». Multiplication des épisodes de sécheresse et de déluges. Hausse du niveau des mers. Acidification et hausse de la température des mers qui menacent la biodiversité. Des canicules devenant la norme … 

« Je remercie Joël d’avoir mis l’ambiance. Rien de tel pour plomber un public ! » le taquine alors son confrère Thierry Tatoni avant d’assurer que cela fait partie du rôle du chercheur. «Notre rôle est de baliser le débat », pense Thierry Tatoni. En rappelant les faits. Et en dénonçant d’éventuelles contre-vérités dans le débat. 

 

♦ (re)lire : Biodiversité marine : il est urgent d’agir !

 

Comme celle, évoquée par un participant dans le cours de la soirée, selon laquelle la Chine serait bien plus pollueuse que la France, et devrait, à ce titre, faire davantage pour le climat. « C’est faux si l’on regarde les émissions par nombre d’habitant », commence Joël Guiot. « Et si au total elle en émet plus, c’est parce que les autres pays y ont délocalisé leurs activités industrielles ».

 

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« A l’inverse d’une conférence descendante, très confortable pour le chercheur mais qui ne sert pas à grand-chose, l’idée est ici d’entendre toutes les choses intéressantes que les gens ont à dire », assure Thierry Tatoni @MGP

Entendre ce que les gens ont à dire

Mais il ne s’agit pas seulement d’énoncer des savoirs. « A l’inverse d’une conférence descendante, très confortable pour le chercheur mais qui ne sert pas à grand-chose, l’idée est ici d’entendre toutes les choses intéressantes que les gens ont à dire », assure Thierry Tatoni. Des propos qui portent en leur germes des actions. Essentielles face aux enjeux écologiques. « Dans les conférences, complète Joël Guiot, les gens ont en moyenne 60 ans. Là, on a une majorité de jeunes ». Et tous d’horizons différents. Parmi ceux qui prennent la parole : une étudiante, un apnéiste, un passionné de mer qui assure « passer beaucoup de temps sur l’eau », une travailleuse de la direction régionale du ministère de la transition écologique … 

De quoi conduire les chercheurs à se pencher sur des questions pas encore abordées. Voire à des pistes de solutions concrètes. Si Thierry Tatoni défend à plusieurs reprises l’impératif de sobriété dans notre consommation, il assure qu’ « au stade où l’on est, il ne faut écarter aucune solution ». Que celle-ci vienne « du grand capital, du gestionnaire ou de l’épicier du coin. Il faut tout écouter, explorer et expérimenter ».

 

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En quatre soirées, l’événement a permis à l’ONG Surfrider de recruter deux bénévoles. Dont l’animatrice de la discussion. @MGP

Susciter l’engagement

Sinon de solutions, la soirée sert aussi à recruter des forces vives au service de la préservation des écosystèmes marins. « Grâce à ces soirées, nous avons recruté deux bénévoles, dont celle qui assure l’animation ce soir », se réjouit Frédérique Chevalier, bénévole de Surfrider. « Cela nous permet aussi de diversifier nos actions en intégrant des profils plus variés ».

L’an prochain, un nouveau cycle de bars des sciences devrait voir le jour. Probablement dans le cadre de la fête de la science et toujours sur l’intarissable thème des océans. Dont les enjeux valent bien quelques pressions de plus. ♦

 

Bonus

  • L’OSU Institut Pythéas – Créé en janvier 2012, l’institut Pytheas fédère six grandes unités mixtes de recherche : CEREGE (Centre Européen de Recherche et d’Enseignement des Géosciences de l’Environnement), IMBE (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale), LAM  (Laboratoire d’Astrophysique de Marseille), LPED (Laboratoire Population Environnement Développement), MIO (Institut Méditerranéen d’Océanologie) et RECOVER (Risques, Écosystèmes, Vulnérabilité, Environnement, Résilience). Plus d’informations sont à retrouver sur le site internet de l’OSU.
  • L’ONG Surfrider – Fondée il y a trente ans, cette ONG a vocation à protèger, sauvegarder et mettre en valeur les océans et toute la population qui en jouit. Elle agit au quotidien pour lutter contre les atteintes à l’environnement littoral et à ses usagers. A travers des actions d’éducation, de sensibilisation, des plaidoyers politiques. Elle met aussi à profit son expertise scientifique et juridique. Elle dispose également d’un site internet. Et est à la recherche de nouveaux bénévoles. 
  • Prochain rendez-vous le 5 juillet, toujours à la brasserie Zoumaï – On y retrouvera Christian Tamburini, directeur de recherche CNRS à l’Institut méditerranéen d’océanologie et Séverine Martini, chargée de recherche au sein du même institut. Ils discuteront des mystères cachés dans les profondeurs des océans. Et notamment de bioluminescence.