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Aider le bâtiment à organiser sa transition écologique

Par Marie Le Marois, le 25 novembre 2021

Journaliste

The People Hostel @Will Architecture

Le secteur du bâtiment demeure encore trop conservateur dans ses pratiques. Et les modes constructifs vertueux peinent à émerger. Will Architecture, parce qu’il ne s’affiche pas écolo, parvient à amener ses clients vers cette transition. Certains de ses projets sont reconnus Bâtiments Durables Méditerranéens (BDM), une démarche collaborative et locale partie de PACA et qui s’étend à d’autres régions.

 

Rien d’écoresponsable n’apparaît sur leur site Internet. Le cabinet marseillais semble ressembler aux autres. Will Architecture construit principalement des logements collectifs mais aussi individuels, des bureaux et des hôtels. De l’esquisse du projet à la livraison. Alors pourquoi en parler ? Parce que son équipe fait bouger les lignes vertes depuis deux ans. Le co-fondateur, Guillaume Marcel, jean made in France et sourire sincère, estime qu’il est urgent de « faire autrement ». Et croit à la théorie des petits pas. « Les grands pas, ça ne marche pas, ça bouscule un peu trop. Il faut entrer en douceur pour faire adhérer les gens aux idées nouvelles ». C’est ce qu’il entreprend pour tous les projets, neufs comme réhabilités.

Il nous reçoit sur l’une des dernières réalisations de l’agence : The People Hostel, une auberge de jeunesse haut de gamme, autrefois Pompes Funèbres Générales de Marseille. Cette réhabilitation a reçu la médaille d’argent Bâtiments Durables Méditerranéens en 2020 pour la conception et la réalisation (voir bonus). Guillaume Marcel évoque les avancées et les freins du projet.

 

  • La démarche Bâtiments Durables est déclinée en Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Ile-de-France et Bourgogne-Franche-Comté. Les différentes régions se sont réunies en Collectif Des Démarches.

 

Chantier propre…

Equipe Will architecture
Les deux cofondateurs de Will Architecture. Guillaume Berard et Guillaume Marcel, avec Romain Dillemann au centre.

Rester vigilant à la tenue d’un chantier est la base pour Guillaume Marcel, qui déplore que la réglementation ne soit pas assez sévère ou, au moins, appliquée. En effet, les chantiers ressemblent davantage à une décharge qu’à une carte postale. Sacs éventrés, pots de peinture dégoulinants, mégots de cigarettes à gogo et canettes jonchent le sol. Ces déchets terminent bien souvent sur le domaine public, souvent à côté des containers ménagers.

Comme ils ne sont pas ramassés par les services de la ville – dont ce n’est pas la mission -, ils deviennent une pollution. Quand ils ne finissent pas dans la mer par temps de grosse pluie, à l’image du polystyrène qu’on observe parfois dévalant les rues marseillaises. Bien sûr, il y a plus grave. Certaines personnes du bâtiment les déversent dans la nature, à l’abri des regards. L’Huveaune et les Aygalades à Marseille offrent le triste exemple de fleuves-poubelle.

 

…et réduction des déchets

Pendle Project
Intérieur du The People Hostel avec le mobilier mural Pendle Project. @Will Architecture.

Un chantier propre signifie ranger, nettoyer et trier les déchets dans des bennes idoines (placo, bois, métal…). Un service payant – « environ 300 euros la benne de 14 m3 » – mais incontournable pour le secteur du BTP qui génère plus de 255 millions de tonnes de déchets chaque année en France.

Le co-fondateur de Will Architecture commence à valoriser ses déchets avec R.aedificare, une association qui a mis sur pieds une filière de réemploi des matériaux. Par exemple, sur un chantier de bureaux, faux plafonds, portes, sanitaires, câbles électriques et même câbles Ethernet ont été ainsi réemployés sur un projet de bureaux pour une grande banque nationale.

 

 

Matériaux réemployés sur site…

Pompes Funèbres Générales de Marseille
Cour intérieure avant réhabilitation

Autant que faire se peut, le quadra réemploie « les matériaux sur site ». Ainsi, pour The People Hostel, il a utilisé une partie de la charpente pour la transformer en mobilier extérieur. Et les gravats de démolition ont servi à combler la cour qui était 30 centimètres plus bas que les pièces à vivre. Ils ont servi de couche de fondation pour la chape. En grattant d’ailleurs cette cour inutilisée depuis 30 ans, couverte d’immondices, le terrassier a découvert de magnifiques pavés. Ré-utilisés, ils ornent à présent l’entrée.

Cette opération a engendré des frais qui n’étaient pas prévus au budget initial. Guillaume Marcel s’est « bagarré » pour convaincre le nouveau propriétaire, un groupe étranger, aujourd’hui ravi du résultat.

 

…ou donnés gracieusement

The People Hostel
Cour intérieure après réhabilitation, The People Hostel. En haut à droite, la charpente transformée en mobilier.

Idem pour les poutres, magnifiques, six mètres de long et « 150 ans, au moins ». Leur destin classique aurait été « d’être découpées et jetées ». Il a réussi à les conserver non pas pour l’hôtel mais pour un négociant de matériaux anciens qui « a bien voulu nous les prendre gracieusement », ironise cet économiste de la construction, passé par une maîtrise de droit orientée urbanisme. Une grue spécifique a dû être acheminée par l’entreprise pour les évacuer proprement.

Ce professionnel aurait voulu réutiliser les tuiles anciennes, en vain. « Comme elles n’étaient pas neuves, l’entreprise de couverture ne pouvait pas présenter la garantie décennale qui est obligatoire ». Pour info, la garantie décennale est une garantie légale à laquelle l’entrepreneur est tenu, pendant un délai de dix ans à compter de la réception du chantier.

 

 

Bâtiment plus sobre

Will Architecture
Porche de l’ancien bâtiment des Pompes Funèbres Générales de Marseille. @Will Architecture

Guillaume Marcel aimerait construire des bâtiments ‘’positifs’’. Autrement dit, des bâtiments produisant plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Avec notamment des énergies renouvelables. Mais pour l’instant, il patiente avec des bâtiments plus sobres et vertueux, « les moins énergivores possibles ».

La sobriété est le chemin que devront désormais emprunter les constructeurs dès 2022 avec la nouvelle réglementation environnementale RE 2020. Il ne s’agit plus de mieux isoler un bâtiment mais ‘’d’utiliser des matériaux biosourcés et peu émissifs comme le bois, de consommer moins d’énergie et de l’énergie décarbonée. Enfin de garantir la fraîcheur en cas de forte chaleur’’. L’objectif final est de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour répondre aux attentes de l’Accord de Paris.

 

  • Le secteur du bâtiment représente 43% des consommations énergétiques annuelles françaises. Et génère 23% des émissions de gaz à effet de serre (GES) français (Ministère de la transition écologique), devant les transports.

 

Matériaux bas carbone

People Hostel
Porche du People Hostel en train d’être pavé.

Le bâtiment des anciennes Pompes Funèbres Générales de Marseille a été surélevé à l’aide de parpaings avec une isolation par l’extérieur. Will Architecture aurait souhaité une ossature bois. Car « c’est une ressource renouvelable et également un chantier dit ‘’sec’’, c’est-à-dire qui utilise très peu d’eau, contrairement au parpaing et au béton. Et la quantité grise pour bâtir en bois est inférieure ».

Mais cet éco-matériau n‘a pas été retenu, du fait de sa trop faible ‘’inertie thermique’’. « Sa masse n’était pas assez forte pour assurer un bon confort d’été et diminuer les consommations d’énergie de l’hôtel. Tout l’enjeu est de consommer le moins de clim possible ». Car, hélas, il n’a pas été possible d’échapper à la climatisation, très énergivore. « L’exploitant est effrayé par la canicule à Marseille et la clientèle anglo-saxonne ne jure que par la clim », précise Guillaume Marcel, qui comptait installer un système de rafraîchissement d’air, plus écologique.

Sur un autre chantier – des logements collectifs à Cagnes-sur-Mer, ce père de deux enfants, soucieux du monde qu’il leur laissera, a tenté d’intégrer des matériaux biosourcés, comme il l’a fait pour sa maison (voir bonus). Sans plus de succès, pour des raisons techniques. Le chantier a cependant reçu la médaille bronze BDM (voir bonus).

 

  • ‘’L’inertie thermique d’un mur est sa capacité à emmagasiner puis à restituer la chaleur. Plus elle est forte, plus le bâtiment se réchauffe et se refroidit lentement. Elle varie en fonction de la masse des matériaux qui sont à l’intérieur (murs, cloisons, planchers…)’’, Energie tout compris.

 

Naturels ou recyclés

Algo peinture
Peinture à base d’algues Algo

Les peintures synthétiques sont de moins en moins polluantes. Néanmoins, elles contiennent des produits toxiques qui sont libérés pendant et après l’application. Chez Will Architecture Intérieure, Romain Dillemann, architecte d’intérieur et co-gérant propose systématiquement à ses clients des peintures naturelles, notamment une peinture à base d’algues. Elles sont récoltées et transformées en Bretagne par l’entreprise Algo. Les colorants privilégiés au maximum sont les pigments naturels des ocres du Roussillon. Pour les autres teintes, ils utilisent des colorants synthétiques qui ne contiennent cependant pas de COV (composés organiques volatils).

Pour des crédences, douches, plans de travail…, l’architecte utilise les panneaux en plastique recyclé de l’Atelier Melt – entreprise installée dans la manufacture partagée ICI Marseille. Enfin, il projette de travailler avec la FabBrick, société parisienne qui transforme les déchets textiles en briques de couleurs et formats différents. « Parfaite pour du mobilier ou bien encore, des solutions acoustiques », ajoute Romain Dillemann qui collabore au maximum avec des artisans locaux. Pour l’hôtel, il a réussi à convaincre son client de travailler avec Fabien Pendle qui réalise du mobilier sur-mesure et écoresponsable.

 

Et adapté aux intempéries

jean recyclé Le Relais
Isolant en jean recyclé Métisse – Le Relais

Face aux intempéries et aux déluges de plus en plus fréquents, à cause du dérèglement climatique, il faut « éviter tout ce qui se fait depuis 40 ans », c’est-à-dire construire des sols artificiels imperméables qui provoquent des inondations.

Il est urgent de désimperméabiliser les sols urbains et repenser le bitume. Guillaume Marcel utilise un revêtement poreux – système Aqua-Lib – pour favoriser l’infiltration de l’eau et limiter son ruissellement. Cela concerne ses chantiers de logements collectifs et, pour l’instant, uniquement sur les parties piétonnes (trottoirs et cheminements piétons).

Il aimerait ‘’renaturer’’ la ville, planter des arbres, pour végétaliser et créer des îlots de fraîcheur, mais patiente avec des jardinières. Mieux que rien.

 

 

Prise de conscience

FabBrick
Briques en textile recyclé de FabBrick

Même s’il est « un môme des années 80, période de consommation à outrance », Guillaume Marcel est depuis longtemps soucieux de l’environnement. Depuis qu’il a compris que la terre était une sphère et donc que nous vivons dans un monde limité, loin du mythe des ressources infinies. Il ne jette rien, trie tout et « a toujours été sidéré par la consommation de matière et le gaspillage » (voir son interrogatoire écolo en bonus).

Sa prise de conscience concernant les chantiers, elle, est tardive. Elle date d’il y a 2-3 ans, « quand j’ai réalisé tout ce qu’on jetait sans valoriser », lâche le quadra, dont le père est à la tête de France Nature Environnement Paca. Cela nécessite de prendre du temps pour trouver des filières de valorisation et des matériaux biosourcés. Du temps également pour convaincre les clients frileux car un chantier écoresponsable est plus coûteux. « Mais plus vertueux et durable », tempère ce flegmatique.

Will Architecture souhaite se consacrer davantage à la réhabilitation de bâtiments existants, dans l’idée de « construire la ville sur la ville » et de contribuer ainsi à la  »ville du quart heure », concept urbain en vogue. Il espère que la théorie des petits pas portera ses fruits. Guillaume Marcel a bon espoir. Pas plus tard que la semaine dernière, un de ses clients – un promoteur – lui a commandé pour la première fois un projet de logements collectifs écoconçus. ♦

 

Bonus

Les médailles Bâtiments Durables Méditerranéens (BDM). La maison bas carbone de Guillaume Marcel à Gémenos. Pourquoi le projet de Cagnes a reçu le BDM bronze. Interrogatoire écolo de Guillaume Marcel. La rénovation énergétique des particuliers avec FAIRE.

  • Les médailles Bâtiments Durables Méditerranéens (BDM) sont délivrées par EnvirobatBDM. Cette association loi 1901 rassemble les professionnels de la construction et de l’aménagement durables. Elle œuvre pour ‘’la généralisation du développement durable dans l’acte de construire, de réhabiliter et d’aménager’’ en région PACA.

Guillaume Marcel apprécie cette démarche « dynamique, vertueuse et globale » qui récompense trois phases – conception, réalisation et usage. Et délivre trois types de trophées – bronze, argent et or. Il projette d’adhérer à BDM en 2022, notamment pour avoir accès aux différentes formations (choix des matériaux, réemploi…) et au partage d’expériences entre professionnels. Mais aussi « pour qu’il y ait davantage de bâtiments durables ». Depuis la création de cette démarche en 2009, 600 bâtiments ont été labellisés, une soixantaine chaque année depuis 2016.

 

  • La maison bas carbone de Guillaume Marcel à Gémenos : « J’ai une maison avec ossature bois et une toiture végétale. En isolant au mur et au plafond, j’ai utilisé la laine de jeans recyclés Métisse, une gamme fabriquée en France par l’entreprise de réinsertion Le Relais. Elle n’est pas du tout irritante par rapport aux laines minérales (verre ou roche). Et a une très bonne tenue dans le temps. Je me chauffe grâce à une pompe à chaleur qui fait aussi le froid mais je ne l’utilise pas. C’est énergivore et pas nécessaire car j’ai des arbres qui font office de masques solaires. Ma maison est bioclimatique, c’est-à-dire qu’elle s’adapte à l’environnement ».
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  • Pourquoi le projet de Cagnes a reçu le BDM bronze, en complément du label Biodivercity. « L’idée du projet était d’assurer l’insertion du programme au sein de la trame verte urbaine existante. Nous avons particulièrement privilégié la préservation de la flore, des végétaux existants, les plantations et de nouveaux arbres. Ainsi que la création de zones de protection de la faune (oiseaux, hérissons, reptiles…) ».

 

L’interrogatoire écolo de Guillaume Marcel

Un compost ? Bien sûr ! J’ai même eu un lombricomposteur en appartement. Je trie tout, j’achète les produits d’une AMAP et je me déplace au maximum à vélo.

Un collecteur d’eau de pluie ? Oui, d’une contenance de 3000 litres qui me permettent d’arroser mon jardin.

L’avion ? J’ai honte de prendre l’avion car l’impact carbone est catastrophique. Donc, je le prends moins, voire presque pas du tout. Je privilégie le train pour mes déplacements. Il est certain qu’il reste compliqué d’explorer le monde sans prendre l’avion. Mais l’heure est-elle encore à explorer le monde ? Je ne suis pas au point de plus envoyer de mails mais eux aussi sont très énergivores.

Déconsommation ? Oui, je consomme beaucoup moins et mieux. J’achète mes jeans 1083 et mes chaussettes Missegle, fabriqués en France et très solides.

Shampoing sec ? Oui ! J’achète en vrac, zéro emballage.

Pas de Nutella ? Non, Nocciolatta, sans lait.

Végétarien ? Plutôt flexitarien, je suis sensible au vivant et à la condition animale. Je ne mange quasiment plus de bœuf et jamais de jambon – trop de nitrite (d’où son aspect rose). S’il est gris, pourquoi pas.

Vous cochez donc toutes les cases ? Non, pas les peintures ni le mobilier. Pas eu le temps de m’y pencher entre la construction de la maison et la réhabilitation de l’agence réalisées en même temps.

 

  • La rénovation énergétique des particuliers avec FAIRE. FAIRE est le service public qui vous guide gratuitement dans vos travaux de rénovation énergétique. Un des conseillers vous aidera à effectuer les travaux les plus adaptés ou estimer le budget nécessaire et les aides financières dont vous pouvez bénéficier (elles sont nombreuses si vous respectez les directives). L’objectif du gouvernement est de rénover tout son parc d’ici 2050 (environ 19 millions de logements). Il y a urgence : l’idée était de tabler sur 500 000 par an. Pour l’instant, on n’est même pas à 10% des objectifs.