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Un bout de chemin avec un migrant mineur

Par Maëva Danton, le 27 juillet 2021

Journaliste

Institutrice auprès d'enfants en situation de handicap, Christel est aussi bénévole au sein du réseau Ramina au sein duquel elle héberge et accompagne des mineurs non accompagnés. @MGP

[bénévoleS] On pourrait dire de Christel qu’elle est imperméable à la différence. Petite, elle ne s’aperçoit pas que son voisin de palier du même âge est porteur de trisomie. Adulte, devenue enseignante, elle accueille de jeunes migrants isolés, pour leur éviter la rue et les aider à se reconstruire, balayant les inquiétudes de son entourage et les regards réprobateurs de certains. Avec sa femme, elle mène sa vie comme elle l’entend. Tant pis si ça dérange, tant mieux si ça inspire.

Elle était presque gênée lorsque je lui ai proposé de réaliser son portrait en tant que bénévole pour l’association Ramina. « Vous êtes sûre ? Il y a des tas de personnes qui sont bien plus impliquées que moi au sein de ce réseau ». Cela dit quelque chose du personnage. Christel a beau être animée par des convictions humanistes, elle n’est pas une militante. Elle ne joue pas les héroïnes, pas plus qu’elle ne cherche la lumière. Non qu’elle soit timide, juste que la quête de reconnaissance n’est pas ce qui l’anime.

Marseillaise, elle grandit dans le quartier de Saint-Loup auprès de parents soucieux de ne pas pointer du doigt la différence. « On habitait dans un HLM et la voisine en face avait un garçon d’un an de plus que moi et une fille d’un an de moins. On n’était pas pareils, mais comme personne n’est pareil. On a grandi comme ça. Chacun est allé dans une école différente, ça ne posait pas de souci ». Un jour néanmoins, alors qu’elle a douze ans, elle entend dans la rue un enfant se faire traiter de « mongolien ». « Et là je me dis qu’il ressemblait drôlement à mon copain d’enfance. En fait, j’ai grandi sans le savoir avec un enfant atteint de trisomie ».

 

Soif d’égalité des chances

Cette aptitude à passer outre les différences, combinée à une soif d’égalité, la conduit à devenir institutrice auprès de jeunes handicapés. Handicap moteur d’abord. Et depuis neuf ans, auprès d’enfants sourds avec qui elle communique en langue des signes. « Mon travail, c’est d’adapter les choses pour que des enfants différents aient les mêmes chances et les mêmes objectifs que n’importe quel autre enfant ».

Ramina : un réseau citoyen pour entourer les migrants mineurs isolés
Très régulièrement, l’association fait appel à son réseau sur les réseaux sociaux et par sms. C’est grâce à cette communication que Christel est devenue hébergeuse.

Est-ce la même logique qui sous-tend son engagement auprès des jeunes migrants ? Peut-être. « Mais il y a aussi beaucoup de hasard là-dedans ». Une opportunité émanant du Diocèse d’abord. « Et à force de voir, d’entendre ce qu’il se passait pour ces jeunes, je ne pouvais pas rester dans mon petit confort ». Avec sa femme, elle accueille alors un premier jeune, hors réseau Ramina. Il a 19 ans. D’abord très bonnes, les relations se compliquent et l’association à laquelle est lié l’hébergement est peu disponible pour aider Christel face à ce jeune qui ne veut plus aller à l’école. « On lui a demandé de partir. Et en fait, il en avait besoin pour démarrer sa vie ». Il prépare actuellement un projet d’apprentissage.

 

 

Abdoulaye

Deux ans plus tard, en plein confinement automnal, sa compagne lui souffle l’idée de retenter l’aventure avec un autre jeune. Puis le lendemain, à sa grande surprise, Christel reçoit un texto de Ramina. « Je ne sais pas du tout comment ils ont eu mon numéro », s’étonne-t-elle. « Alors moi qui suis croyante, j’ai regardé le ciel en disant : ce n’est pas beau d’écouter aux portes ». Signe divin ou pas, elle accepte d’héberger un adolescent qui trouve finalement un toit ailleurs. « Puis le mercredi suivant, alors qu’on était vautrées dans le canapé prêtes à aller se coucher, on nous demande d’accueillir Abdoulaye ». Il vient de Côte d’Ivoire. Il a 16 ans. Et un parcours très lourd. Christel prévoit de l’accueillir quelques semaines. Huit mois après, il est toujours chez elle.

« Au printemps, il aurait dû être mis à l’abri à l’hôtel par l’aide sociale à l’enfance ». Mais elle craint alors qu’il soit livré à lui-même et à d’éventuelles personnes mal intentionnées. Et puis, elle s’y est attachée à ce garçon. « Il a un passé chargé mais il est plein de joie de vivre, de curiosité. Il nous permet de nous réveiller dans nos vies ». Finalement, elle trouve la parade grâce à une Maison d’enfants à caractère social (MECS). Christel et sa compagne se chargent d’héberger Abdoulaye et de gérer son quotidien tandis que l’Aide sociale à l’enfance est censée s’occuper du reste. Et ce jusqu’à la majorité de l’adolescent.

La force du réseau

Si elle s’engage ainsi sur la durée, c’est aussi parce que, grâce au réseau Ramina, elle ne se sent jamais seule. « On a un groupe Whatsapp et dès qu’on a besoin de quelque chose, il y a toujours quelqu’un qui répond. C’est assez magique en fait ! »
Si magique qu’elle a également accepté d’être référente pour deux autres jeunes, l’un hébergé en foyer, l’autre en appartement autonome. Ils s’appellent Abdou et Sayon, ont 17 et 18 ans. « Au début, je les voyais deux fois par semaine car il y avait beaucoup de démarches à effectuer et il fallait leur apporter à manger. Maintenant, ce n’est plus qu’une fois par semaine ».

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« Le Vieux Port et Notre Dame à Marseille ». Un dessin de Madi, un autre adolescent de 17 ans, accompagné par le réseau Ramina @Madi
Dépasser les peurs

Beaucoup trouvent louable d’accueillir ces jeunes migrants chez soi. Certains hésitent. Peu parviennent à franchir le pas, de peur d’ouvrir leur porte à un inconnu. « Ma femme et moi, on est beaucoup dans la confiance », assure Christel. « J’avoue que le premier jour, quand j’ai dû laisser mes clés pour aller travailler, j’ai eu une petite appréhension. Mais l’inquiétude venait plus de l’entourage. Quand je suis arrivée au travail en disant qu’on hébergeait un migrant, on m’a dit qu’on était folles, qu’il allait nous dévaliser. Mais dévaliser quoi ? Au pire il prend la télé, mais ce n’est pas dans son intérêt ».

Au début, elle craint que les gens se montrent frileux, voire agressifs avec Abdoulaye. « Finalement, ils ont été plutôt bienveillants. Même dans notre famille, alors qu’habituellement certains tiennent des discours anti-migrants, tout le monde l’a accueilli à bras ouverts ». Pas de quoi éteindre leurs opinions initiales ; la fameuse « exception qui confirme la règle ». « Mais c’est toujours ça », relativise Christel.

L’exemple plutôt que la force

Pour changer les mentalités, elle en est convaincue, « il ne faut rien faire en force. On fait notre bonhomme de chemin, on essaie d’être le plus vrai possible, puis les gens se font leur idée. Et peut-être qu’ils évolueront un peu ».

En attendant, après des années de rue, de dur labeur, d’exil et d’enfer libyen, Abdoulaye découvre les plaisirs de la pétanque et de la pêche avec Christel et son épouse. L’adolescent apprend à lire et à écrire, et se confie parfois. Il est scolarisé dans une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants. Il se reconstruit. ♦

 

Bonus
  • Envie de s’engager ? – Pour devenir hébergeur ou référent, ou tout simplement donner un coup de main au réseau Ramina, il est possible de contacter l’association par mail ou par téléphone – 07 71 17 92 12 ou contact.ramina@gmail.com