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[Série] Biodéchets #3 Fabriquer de la terre avec vos épluchures

Par Avoir ces vers de terre (des lombrics épigés) dans son compost est signe de bonne santé !, le 2 juillet 2020

Journaliste

Plus du tiers de nos poubelles est rempli de biodéchets qui partent en camion à Fos-sur-Mer pour y être incinérés. Cherchez l’erreur ! Ces déchets coûtent cher en CO2, en main d’œuvre et, accessoirement, à notre porte-monnaie. Alors qu’ils sont biodégradables et même valorisables en terre fertile.

 

Trois mois. Il lui a suffi seulement de trois mois pour fabriquer de la terre fertile à partir de déchets naturels. À cette époque, en 2013, Thomas Martin, architecte paysagiste passé par l’École de Versailles (voir sa bio dans bonus), veut transformer une friche en plein cœur de Marseille en jardin vivant. Et fabriquer de la terre pour revitaliser le sol pauvre et gris. Il fait le tour du quartier et récupère marc de café dans les bars, fleurs fanées chez le fleuriste, cheveux chez le coiffeur, papier alimentaire chez le boulanger, fruits et légumes abîmés chez le primeur, restes de cuisine chez un restaurateur. En deux semaines, deux tonnes de biodéchets sont collectées et réparties dans des bacs fabriqués en bois de récupération.

 

Et le compost devient de la terre fertile

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Jardin Savournin en 2013
Ces biodéchets sont rapidement colonisés par des bébêtes en tout genre et en quelques semaines, 50 m2 de bonne terre noire apparaissent. La friche devient un potager en permaculture et un ‘’jardin digesteur’’ expérimental : Thomas teste différentes techniques de compostage pour assimiler tous les déchets organiques – agrumes, carton, serviettes en papier, restes alimentaires, poussière d’aspirateur… Sept ans plus tard, le Jardin Savournin explose en végétaux, légumes, fleurs mellifères, pousses d’arbres. Et abrite une faune abondante dont des abeilles et des oiseaux. Sept familles des immeubles voisins viennent régulièrement déposer leurs déchets de cuisine et jardiner. Chacune possède sa micro-parcelle équipée de son propre système de compostage.

 

L’art du compostage

Quand Thomas me raconte l’histoire de son jardin, à l’ombre du micocoulier, je suis loin d’imaginer qu’il existe une science du compostage. Pour moi, qui pratique le compost depuis des années, je pensais qu’il suffisait de déposer ses biodéchets en tas dans son jardin ou dans un bac sur une terrasse. Et, une fois réduits en terre, de les répandre sur les plantes. Si cette technique est effectivement optimale pour réduire sa poubelle, elle ne l’est pas forcément pour fabriquer de la bonne terre. C’est-à-dire de la terre riche en nutriments et en vie. « S’il est mal fait, le compost peut fermenter, dégager du CO2 et du méthane, monter en très haute température (à plus de 70°) et tuer tout le vivant (champignon, vers de terre…). En plus, la fermentation dégage de mauvaises odeurs. Cela va attirer la mouche soldat qui va pondre et son vers risque de tuer les colonies de vers de terre ».

Matières sèches et humides superposées

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Matières humides et matières sèches
Ce natif de Poitou-Charentes, qui a pris conscience de la nécessité du compostage en travaillant ado dans le maraîchage, m’apprend que pour réussir son compost, il faut ajouter de la matière sèche à mes pelures de fruits et de légumes (voir bonus). Et qu’il est important de les disposer en couches superposées et non de les mélanger (voir bonus). Cette technique ‘’compostage en lasagnes’’, vulgarisée par Thomas, permet au compost de s’aérer et d’absorber tout excès d’humidité. Conditions nécessaires pour que les micro-organismes – champignons, bactéries… – puissent dégrader la matière. Puis que la microfaunecloportes, vers de terre – les transforme en humus. Pour ceux qui vivent en appartement, ils peuvent utiliser un sac en lasagnes : « Il suffit de poser un carton au fond d’un sac recyclable, en socle et paroi, et d’y mettre ses déchets ».

 

9 mois à un an pour un compost mûr

Un compost en tas bien mûr demande de 9 mois à un an, on le reconnaît à sa belle couleur noire et son odeur de sous-bois. Mais avec la technique de Thomas – lasagnes et plantes, le processus se réduit à 3-4 mois, comme pour le Jardin Savournin : « Une fois le compost rempli, on le ferme par une couche de terre dans laquelle on plante des graines ou directement des plantes potagères de la ratatouille qui aiment ces conditions de décomposition. Puis, on recouvre le tout de broyat de bois (voir bonus). Les racines vont apporter de l’air, absorber le surplus d’humidité et, les plantes, donner de l’ombre ».

 

Cinq techniques de compostage au Jardin Savournin

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Bokashi en terre cuite du Jardin Savournin
Parmi la dizaine de techniques de compostage que Thomas a expérimentées, il en a retenu cinq. Le compostage en tas donc. Le Bokashi dont l’avantage est de tout digérer (agrumes, litière de chat, viande, restes de repas, huile de friture…) grâce à un apport en micro-organismes, « c’est le compost idéal pour les particuliers qui n’ont pas d’extérieur ». Le lombricomposteur qui fonctionne avec des vers à compost (voir bonus), idéal dans une pièce fraîche ou une cave.

Ceux du Jardin Savournin sont extérieurs, en terre cuite, à moitié enterrés avec plein de micros-ouvertures. Situés sur chaque micro-parcelle, ils sont alimentés d’un côté par les familles. Et ‘’vidangés’’ rapidement de l’autre grâce aux vers. Ainsi, le terreau se mélange au sol. Il y a également le poulailler (voir bonus) : « Mes dix poules me transforment chaque année trois tonnes de biodéchets. Il me suffit ensuite de décaisser le sol pour récupérer la terre ». À chaque fois, Thomas insiste : il faut toujours une diversité dans les couches. Et une superposition en lasagnes, même dans le poulailler. Enfin, le compostage par déshydratation en paillage avec épluchures et tonte d’herbe.

 

2023, on devra tous s’y mettre

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Terreau vivant répandu au pied d’un olivier
Ce passionné aimerait dupliquer son jardin digesteur à d’autres endroits de la ville – « J’ai comptabilisé une cinquantaine de lieux en friche dans Marseille qui appartiennent à la ville, au Conseil Général… » Mais pour l’instant, aucun n’a répondu favorablement. Autre piste : des modèles sur-mesure pour restaurants et hôtels, comme celui qu’il a réalisé derrière Le FaSiLa Manger dans sa région natale, à Saint-Savin. Les déchets naturels sont une richesse pour tous. « Arrêtons d’ailleurs de les appeler ‘’déchets’’, ce sont des bio-ressources ».

Thomas ne gagne pas sa vie sur le compost pour l’instant. Mais tire la satisfaction de pouvoir en valoriser des tonnes avec peu de moyens. Depuis mon reportage, je n’achète plus de terreau pour mes plantes. Et j’ai réduit ma poubelle à un sac de 50 cl par semaine (pour sept personnes). Je rêve de pouvoir, comme une de mes amies de Chalo-Saint-Mars (Essonne), payer ma taxe ménagère en fonction du poids de ma poubelle. D’autant plus intéressant que les biodéchets sont lourds en raison de leur teneur en eau). En 2023, nous devrons tous trier à la source nos déchets de cuisine. ♦

* Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

Bonus

  • [Série] Biodéchets #3 Fabriquer de la terre avec vos épluchures 10
    Cocon végétal du Corbusier, dit aussi Fad’Arbre ou Unité Végétale.
    Bio express. Après un IUT en génie biologique, « pour appréhender les défis environnementaux », Thomas Martin devient jardinier au Parc de Chaumont-sur-Loire. Puis il entre à l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage qui a une antenne à Marseille spécialisée autour de projets sur les territoires méditerranéennes. Il s’intéresse particulièrement à la place du vivant et du végétal en ville. Avec, comme directeur de thèse Gilles Clément, paysagiste précurseur des jardins en mouvement, tiers-paysages et jardins planétaires. En parallèle de son ‘’jardin digesteur’’, cet expert pour Les amis culteurs, Épluchures et Semouraïs, se lance dans l’articulture, concept entre art, architecture et agriculture. Une trentaine d’œuvres végétales sont en cours en France dont celle de la Cité Radieuse. Il tresse depuis trois ans, avec les habitants, les bras de deux arbres pour fabriquer un cocon végétal, de telle sorte que les habitants pourront s’y lover pour lire ou rêvasser. « Cette œuvre, que j’appelle ‘’unité vivante’’, entre en résonance avec Le Corbusier qui avait une grande sensibilité pour le végétal et l’environnement ». L’articulteur aimerait mettre la ville en cultures, il a d’ailleurs été l’un des premiers signataires du Projet Alimentaire Territorial.

 

  • Matières humides/sèches – Matières fraîches et humides, dites aussi ‘’vertes’’, azotées : Épluchures fruits et légumes, tonte de gazon, marc et filtre de café, sachet de thé…

Matières sèches, dites aussi ‘’brunes’’, carbonées : Coquilles d’œuf broyés, essuie-tout blanc, papier alimentaire, carton brun (sans scotch ni agrafes). Mais aussi boîtes d’œufs découpées en morceaux, rouleaux de PQ, poussière d’aspirateur, feuilles mortes, cheveux, bouchon en liège…

 

 

  • Pour réussir
    [Série] Biodéchets #3 Fabriquer de la terre avec vos épluchures 11
    Compost planté avec aubergines et tomates
    son compost en tas avec Thomas Martin

– Éviter la fermentation : mélangez matières humides avec 50 à 75 % de sec.

– Bien l’aérer : disposez déchets secs et humides en couches superposées. Cette méthode dite de ‘’lasagne’’, mise au point par Thomas Martin, permet aussi d’éviter de devoir retourner régulièrement votre compost.

– Fermer et planter : votre terre est prête au bout de 3-4 mois si vous plantez directement dessus, de préférence des plantes potagères de ratatouille. « Plantez dès qu’il fait trop chaud, l’été donc, ou si le bac est complet ».

 

  • Liste des différentes techniques de compostage et des composteurs collectifs à Marseille avec Zéro Waste Marseille – Le Conseil de Territoire Marseille Provence de la Métropole met à disposition un composteur individuel (hélas en plastique), 10 euros.

 

  • Audrey, commerçante Au grain près, utilisatrice  du lombricomposteur’’- « Avoir des vers à la maison ne me plaisait pas trop au début. Mais en même temps, je n’avais pas le choix : on vit en appartement. Dans cette boîte achetée dans une jardinerie, je mets tous mes déchets organiques : épluchures, marc de café, thé, boîtes d’œufs, carton, papier, rouleaux papier toilette (surtout pas d’oignons, agrumes et ail). Il en ressort un jus d’engrais qu’il faut diluer 10 fois tellement il est concentré. C’est fou comme il a boosté nos plantes qui avaient mauvaise mine ! Je donne le reste aux amis. Avec ce système, j’ai diminué du tiers mes poubelles. Et… je ne crains plus les vers ! Je suis d’ailleurs donneuse via la plateforme plus2vers ».

Vente de vers, lombricompost et lombricomposteur à la ferme lombricole des Pennes-Mirabeau.

 

 

  • Roussette et Mistinguette pour manger vos déchets – Savez-vous qu’une poule peut manger jusqu’à 150 kg de déchets par an ? [Série] Biodéchets #3 Fabriquer de la terre avec vos épluchures 1À Toulon, le SITTOMAT* a vite calculé que si chaque particulier possédait deux poules, cela ferait 300 kg de moins par foyer (en plus d’avoir deux bons œufs tous les matins !). Pour inciter ses habitants à acheter ces gallinacées, le Syndicat leur a donc offert un poulailler. En retour, ils se sont engagés à disposer d’un espace extérieur d’au moins 10 m2, entouré et surmonté d’un grillage (question renards). De ne pas manger les animaux avant trois ans. Enfin, les nourrir avec les restes de repas, riz, pâtes, épluchures, viande…. Un suivi est réalisé dans les foyers concernés. « Nous avons distribué 4 000 poulaillers. Soit une réduction de 1 200 tonnes de déchets », se réjouit Isabelle Troin, responsable de l’opération. Le Syndicat a auparavant distribué 68 000 composteurs individuels gratuitement. Et s’apprête à expérimenter des composteurs partagés. « C’est un fait, nous avons un peu moins d’ordures ménagères chaque année ».

*Syndicat mixte Intercommunal de Transport et de Traitement des Ordures Ménagères de l’Aire Toulonnaise.

 

  • Le paillage avec Isabelle Schirrer, paysagiste écologique 

[Série] Biodéchets #3 Fabriquer de la terre avec vos épluchures 9C’est quoi ? Couvrir son sol avec un broyat de végétaux obtenu quand on passe ses résidus (brindilles, petites branches d’élagage, feuilles mortes…) dans un broyeur. Selon la technique de broyage, à marteaux ou couteaux, ils sont coupés en petits morceaux, plutôt écrasés ou déchiquetés.

Pour quoi ? Empêcher la pousse des mauvaises herbes. Éviter le dessèchement du sol (et donc limiter l’arrosage). Offrir un refuge pour la microfaune du sol. Enrichir la terre par la décomposition du paillage en contact de la terre.

Comment ? Désherber le sol avant de pailler. Disposer en couche épaisse (de 5 à 15 cm selon les plantes à protéger) aux pieds des arbres, arbustes, plantes, potager… Pour les plantes ne supportant pas l’humidité – plantes de la garrigue comme la lavande -, laisser les pourtours des plantations dégagés. Ou mettre du paillage minéral.

Marseille et alentours, conception, réalisation et entretien de jardins, dont broyage sur place. Tél. : 06 98 19 14 11

 

  • Les déchetteries Mon espace vert de Cavaillon et Vaugines broient les déchets de jardins (taille, tonte…). Ce résidu est distribué gratuitement aux résidents de la communauté d’agglomération pour le réutiliser chez vous en paillage et compostage. Quand à la Métropole de Marseille et ailleurs ?