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Déchets : des corbeaux pour donner le bon exemple !

Par Maëva Danton, le 10 mai 2022

Journaliste

Considérés comme nuisibles voire de mauvais augure, les corvidés sont massivement tués. En créant Birds for change, Thibault Cour ( à gauche) et Jules Mollaret (à droite) veulent changer l'image de ces oiseaux doté d'une remarquable intelligence. Et montrer qu'ils ont beaucoup à nous apprendre. @DR

Une poubelle intelligente qui apprend aux corvidés à jeter nos déchets. Voilà le concept quelque peu surprenant développé par la startup aixoise Birds for Change. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : l’enjeu n’est pas de former une armée d’éboueurs ailés. Il s’agit plutôt de sensibiliser quant au devenir de nos déchets, encore trop souvent jetés dans la nature. Et de rappeler combien la faune urbaine, parfois considérée comme nuisible, peut être source d’émerveillement.

 

Technopôle de l’Arbois. Le printemps bat son plein. Ce n’est pas la météo – légèrement pluvieuse- qui l’indique. Mais les chants d’oiseaux, particulièrement vifs et variés. Les paons, emblèmes du lieu, crient à corps perdu, se répondant d’un bout à l’autre du parc. Les tourterelles roucoulent en bombant le torse. Tandis que fauvettes et rossignols s’abandonnent suavement à leurs mélodieux chants. Un cadre parfait pour la startup Birds for Change, qui a élu domicile au sein de la pépinière d’entreprises du Technopôle, Cleantech.

Elle y occupe un modeste bureau. Quatre murs tapissés de photos ainsi que d’une panoplie de post-its multicolores. Des outils en tous genres. Une imprimante 3D. Et, pour agrémenter le tout, quelques figurines d’oiseaux. De même qu’une plume de paon accrochée à un mur rouge.

À la tête de la startup, deux jeunes entrepreneurs : Jules Mollaret et Thibault Cour. C’est du premier que naît l’idée – « un peu folle » de son propre aveu – de la poubelle pour corvidés : la « birds box ».

 

Des oiseaux pour nous sensibiliser à la préservation de l’environnement 2
Jules Mollaret dans son bureau aixois, où les réflexions vont bon train. @MGP

Barcelone, des déchets, des pigeons… et le déclic

Alors qu’il travaille pour le spécialiste de la lutte contre le gaspillage Too Good to Go, cet ancien étudiant d’école de commerce a envie d’entreprendre tout en agissant pour la préservation de l’environnement. Reste à trouver la bonne idée. Qui finit par arriver.

« J’étais tout bêtement sur un banc avec mon père, raconte-t-il. On était à Barcelone et on voyait des gens qui jetaient leurs déchets par terre. Il y avait aussi énormément de pigeons autour de nous. Je me suis demandé pourquoi ils étaient aussi nombreux et quel pouvait bien être leur rôle dans l’écosystème ». Jusqu’à finir par associer ces deux observations. « J’ai pensé que si les pigeons se mettaient à ramasser ces déchets, cela nous donnerait une bonne leçon. Ce serait marrant et efficace ».

L’idée aurait pu s’évaporer aussitôt née. Mais elle demeure dans son esprit. Si bien que le soir venu, il interroge son moteur de recherche. Rien sur de potentiels pigeons ramasseurs de déchets. Mais il découvre néanmoins que de telles expériences ont été menées avec des corvidés. Famille d’oiseaux regroupant notamment les corbeaux, les corneilles ou les pies. Des expériences de petite envergure, en particulier dans le cadre de recherches scientifiques.

Pendant le confinement du printemps 2020, les deux co-fondateurs parviennent à échanger avec des chercheurs spécialistes du sujet. De quoi imaginer plus précisément la technologie à mettre en œuvre. À travers la création d’une entreprise, Birds for Change, en septembre 2020.

 

 

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Un modèle de la birds box @DR
Une poubelle dresseuse de corvidés

« La machine que nous avons mise au point est une poubelle intelligente qui délivre aux oiseaux de la nourriture en échange de déchets », explique Jules Mollaret tout en montrant un prototype installé dans le bureau de l’équipe. « Dans la partie haute, on a le réceptacle à nourriture », en l’occurrence un mélange de graines. « Dessous, se trouve une plateforme sur laquelle l’oiseau peut se poser. Et encore plus bas : le réceptacle à déchets avec une ouverture par laquelle l’oiseau peut déposer ce qu’il ramasse ». Un algorithme d’intelligence artificielle est alors utilisé pour identifier la nature du déchet et accorder ou non une récompense.

Une fois formé (bonus), un oiseau parvient à collecter entre 5 et 30 déchets par jour. Pas de quoi nettoyer une ville, quand on sait qu’un Français sur 4 admet jeter des déchets par terre. Mais là n’est pas l’ambition de Birds for Change. « On a parlé de nous comme un dresseur de corbeaux éboueurs. Mais ce n’est pas notre but ».

 

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Considéré comme oiseau de malheur, le corbeau est un animal dont l’intelligence est remarquable. Et qui joue un rôle essentiel dans l’écosystème de par son régime alimentaire @DR

« Si les oiseaux le peuvent, pourquoi pas nous ? »

Non, l’ambition de la startup est ailleurs. Et elle est double. D’abord, il s’agit, comme Jules Mollaret en avait eu l’intuition sur son banc barcelonais, de donner une bonne leçon à chacun de nous.

Car chaque année, 30 milliards de mégots sont jetés dans la nature en France. Tandis que 14 millions de tonnes de microplastiques échouent dans nos océans. Nous sommes de plus en plus nombreux à le savoir. Pourtant, dans la pratique, les mauvaises habitudes demeurent. Et face à cela, les solutions manquent.

 

 

« Il y a des amendes, mais elles ne responsabilisent pas les citoyens. Et c’est compliqué de contrôler tout le monde ». Les affiches de sensibilisation ? Peu d’impact. Reste donc à trouver de nouvelles manières, plus actives, de modifier les comportements individuels. D’autant qu’il y a « très peu d’innovations dans ce domaine ».

Avec sa Birds box placée dans des endroits stratégiques, l’entreprise espère générer un électrochoc chez les passants. Qu’ils se demandent : « Si les oiseaux le peuvent, pourquoi pas nous ? ». De quoi inciter à ramasser des déchets soi-même ? Ou tout du moins à cesser d’en jeter ? « Nous n’avons pas encore d’étude de l’impact sur les comportements humains mais c’est notre volonté ». La startup souhaite par ailleurs enrichir sa poubelle de fonctions ludiques permettant d’influencer les comportements. « On installe sur nos poubelles des QR codes que les gens peuvent scanner pour accéder à des petits jeux, des quiz sur la pollution. Ou sur les oiseaux ».

 

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Lui aussi fait partie de la famille et n’échappe pas à la mauvaise réputation des corvidés : il s’agit du geai. Son crime : celui de piocher quelquefois dans les cultures. Ce que les scientifiques expliquent par la destruction de son habitat naturel : forêts et haies. @DR

Préserver la biodiversité urbaine

Car c’est là la seconde motivation de Jules Mollaret et Thibault Cour : préserver la biodiversité urbaine. Considérés comme nuisibles en raison des bruits et déjections qu’ils émettent – mais aussi d’une mauvaise réputation historique- les corvidés sont massivement tués. En particulier quatre espèces d’entre eux : les pies, les corneilles, les geais et les corbeaux. « Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme car, en tant que charognards, ils jouent un rôle dans important l’écosystème ». Birds for change tient à le rappeler, tout en mettant en valeur l’intelligence remarquable de ces volatiles.

Pour l’heure, quatre birds box ont été installées. Deux à Paris (au Jardin des Plantes et dans le parc des bureaux du groupe Icade). Une au CNRS de Strasbourg. Et une à Aix-en-Provence, au Technopôle de l’Arbois. Si certaines sont visibles par le grand public, elles ne sont encore accessibles qu’aux oiseaux, le temps que ceux-ci se familiarisent avec la machine.

Sollicitée par plusieurs collectivités, la startup prévoit deux nouvelles installations en septembre prochain. Et envisage un déploiement plus massif dès janvier 2023. Ce qui nécessitera quelques recrutements. « Nous avons embauché notre premier salarié il y a un mois et demi ».

 

 

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Jérome Boissière, designer produit spécialiste des oiseaux. C’est la première recrue de la startup qui en prévoit d’autres dans les prochains mois. @MGP

Réapprendre à cohabiter … voire à s’émerveiller

Un designer produit dénommé Jérôme Boissière, qui vient de rejoindre Jules Mollaret dans son bureau. « En tant que designer, ma mission est de me mettre à la place de l’usager et de répondre à ses problématiques. Ce qui est drôle et intéressant ici, c’est que l’usager n’est pas un humain mais un oiseau ». Pas le genre de chose qu’on apprend en école de design. Mais lui s’y intéresse depuis quelque temps déjà. « Mon mémoire d’étude portait sur la biodiversité en ville. Notamment sur l’installation de nichoirs ». Permettre aux oiseaux de trouver leur place dans nos environnements urbains en somme. Et voilà qui tombe bien, car après la poubelle, la startup compte bien s’engager plus amplement dans cette voie.

« À terme, on se voit plutôt comme un bureau d’études techniques sur les solutions environnementales. Nous voulons mettre toutes nos compétences, nos acquis et nos partenariats au service de la biodiversité ». Une richesse oubliée. Devant laquelle Birds for Change veut nous réapprendre à nous émerveiller. ♦

 

Nos soutiens 9parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus

[pour les abonnés] – Un apprentissage de six mois – Les partenaires du projet –

 

  • Pour les oiseaux, un apprentissage de six mois – Pour familiariser les oiseaux à l’utilisation de la birds box, plusieurs étapes sont nécessaires. D’abord, il faut que ceux-ci s’habituent à la machine jusqu’à ne plus avoir peur de s’en approcher, ce qui passe par une offre de nourriture en libre accès. Cette étape peut durer entre trois semaines et plusieurs mois.

Ensuite, la machine ne fournit de récompense qu’en cas d’apport d’un déchet, quel qu’il soit. L’oiseau apprend alors à s’habituer aux mouvements et bruits de la poubelle.

L’étape suivante consiste à offrir la nourriture de manière sélective, en échange de déchets non naturels uniquement. Ce qui permet à l’oiseau d’apprendre à faire le tri. « Au départ, on pose quelques déchets sur la plateforme où il se pose. Il les fait tomber de manière involontaire dans l’entonnoir puis finit par comprendre quels déchets lui donnent droit à de la nourriture. Il peut alors aller les chercher ailleurs ». 

Soit un apprentissage complet de six mois en moyenne.

 

  • Alimentation électrique de la birds box – Pour l’heure reliée au réseau électrique, la poubelle doit à terme bénéficier d’une alimentation autonome grâce à la pose de panneaux photovoltaïques.

 

  • Les partenaires du projet – D’abord accompagnée par le fablab de l’école d’ingénieurs Icam à Lille, la startup a rejoint la pépinière Cleantech du Technopôle de l’Arbois en septembre 2021. Celle-ci lui offrant une aide sur tous les aspects de la vie d’une entreprise : finance, juridique, communication, réseau, partenariats … etc. En plus de la possibilité d’installer des prototypes dans le grand parc du domaine.

Sur le volet scientifique, Birds for change est appuyée par Le Muséum d’histoire naturelle de Paris, le CRNS de Strasbourg ainsi que l’Inrae. Côté finances, elle a reçu quelques aides de Bpifrance et de la Région Sud.