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Blues postpartum : au cœur d’une unité hospitalière

Par Neijma Lechevallier, le 7 septembre 2022

Journaliste

Une maman sur cinq sera confrontée à des difficultés psychiques pendant la grossesse ou après la naissance de son bébé ©Pixabay

Si l’arrivée d’un enfant rime le plus souvent avec un océan de bonheur, cet événement, qui apporte forcément son lot de questions pour les jeunes parents, peut parfois engendrer de la souffrance voire des troubles psychiques. Une maman sur cinq sera confrontée à de telles difficultés pendant la grossesse ou après la naissance. Beaucoup restent seules, entre honte et culpabilité, ne comprenant pas que l’arrivée de leur enfant les plonge dans un état auquel elles ne s’attendaient pas. Rencontre avec des mères, des bébés et des soignants de plusieurs disciplines, au cœur d’une unité hospitalière spécialisée à Marseille.

 

« J’ai fini par appeler l’hôpital, j’étais trop déprimée, je n’avais jamais été ainsi au fond du seau, explique Madeleine*, 30 ans, accueillie avec son fils Philibert, 9 mois, au sein de l’Unité Parents Enfants. L’UPE appartient au service de psychiatrie infanto-juvénile du Pr François Poinso, à l’hôpital Sainte-Marguerite de Marseille. Ça m’est tombé dessus, j’ai pourtant essayé de résister quatre mois. De survivre seule à la maison. Mais j’ai fini par reconnaître que j’avais besoin de secours et par appeler à l’aide. » Cette jeune maman, qui est médecin libérale, est ainsi suivie depuis six mois.

 

Blues postpartum : au cœur d’une unité hospitalière
« L’événement naissance constitue un moment à fort potentiel traumatique » ©Pixabay

20% des femmes concernées

Comme elle, chaque année, pour 750 000 naissances, environ 20% des femmes connaîtront des difficultés psychiques plus ou moins sévères.

« Madeleine a appelé au standard, comme c’est classiquement le cas pour les familles qui entrent directement. Elle a expliqué ce qu’elle ressentait à l’infirmière ou à la puéricultrice. Nous avons alors pu la recevoir rapidement, dans les dix jours, avec son bébé et son conjoint, explique Dominique Arnoux, cadre de santé du service. C’est le médecin psychiatre de l’unité qui les a reçus en premier. Il continue de suivre la maman et le bébé, également entourés de tous les autres professionnels du service. »

 

Un moment de vie à fort potentiel traumatique

« L’événement naissance constitue un moment à fort potentiel traumatique, propre à déborder les capacités d’élaboration psychique individuelle, explique le Dr Michel Dugnat, responsable de l’UPE. Grâce à un soin précoce aidant à tisser les premiers liens, les parents en souffrance psychique peuvent être soutenus dans leur expérience de la parentalité. »

Dépression post-partum ou réactionnelle, psychose puerpérale, troubles du lien, troubles graves de la personnalité ou aggravation de troubles psychiques préexistants sont autant de facteurs d’hospitalisation.

Souriante, Madeleine donne le repas à son fils dans l’espace dédié de l’unité spéciale. « Je vais beaucoup mieux, j’ai eu tellement peur avant d’arriver ici », explique la jeune femme. De l’autre côté du couloir aux murs colorés, d’autres mères jouent avec leurs enfants dans la salle de détente sous le regard aussi bienveillant que vigilant des membres de l’équipe. Ceux-ci se relaient auprès des patientes dans un environnement conçu pour être aussi peu médicalisé que possible. Cet espace ressemble à une maison ou à une crèche. Les soignants, en particulier les médecins, ne sont pas tous en blouse blanche.

 

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Des interventions multidisciplinaires

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Dans l’immense majorité des cas, les troubles apparaissent et disparaissent rapidement ©Pixabay

« Chez des mères sans antécédents, on découvre un trouble psychique qui n’avait pas été décelé avant. Mais dans l’immense majorité des cas, quelle que soit leur intensité, les troubles apparaissent et disparaissent rapidement avec la prise en charge », explique Julie Comberti, interne. L’hospitalisation, de jour ou de semaine (avec ou sans nuit), peut aller de quelques semaines à plusieurs mois. Une unité mobile complète le dispositif pour celles qui ne peuvent pas se déplacer.

Quant aux bébés qui ont des troubles du sommeil, de l’alimentation, du comportement ou du développement, ils peuvent être suivis jusqu’à leurs 18 mois.

 

Art-thérapie, livret familial

Chaque maman trouve et retrouve progressivement, à son rythme, ses repères, ses équilibres intérieurs et dans le lien avec son enfant. Les mères, en plus des consultations médicales et psychothérapiques et des éventuels traitements médicaux proposés, peuvent notamment profiter de séances d’art thérapie. Créer son livre familial peut aussi aider à réécrire une histoire parfois chamboulée, qui ressurgit au détour de la maternité. À retisser les fils de son histoire.

Les pères sont évidemment les bienvenus au sein de l’unité, lors des consultations ou pour passer la nuit en famille.

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Réécrire son histoire, retisser des liens

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Il est important d’accompagner la création du lien parent-bébé ©Pixabay

Les patientes accueillies dans cette unité ne sont pas en crise aigüe. Quand c’est le cas, ce sont les services classiques de psychiatrie qui les accueillent – sans leur enfant temporairement. Certaines ont appelé elles-mêmes. Parfois, c’est la famille qui a fait le premier pas – conjoint, parents… D’autres ont été adressées par une maternité ou un service de psychiatrie, le médecin traitant, une sage-femme libérale ou les services départementaux de PMI de la région PACA-Corse.

« Notre équipe travaille de manière très coordonnée autour des patients pour accompagner la création du lien parentsenfant dans un contexte de difficultés particulières, explique Fanny Brunet, pédopsychiatre. De séance en séance, en s’appuyant sur l’histoire personnelle de chacun, on tisse et retisse les liens. En veillant à ne jamais faire à la place des mères et à alléger l’accompagnement en vue de la sortie. Elle a lieu en accord avec les patientes et en lien avec des professionnels de ville qui prendront le relais quelque temps en suivi à domicile. » ♦

 

* Tous les prénoms de patientes ont été modifiés dans cet article.

 

Bonus

  • Dr Michel Dugnat, responsable de l’unité. « Grâce à une équipe pluri professionnelle spécialisée, l’UPE offre une prise en charge portant autant attention à la souffrance psychique de l’adulte qu’au développement du bébé. Avec le repérage de ses manifestations comme autant de signes de difficultés, de souffrance ou de bien-être. L’établissement du lien parents-enfant est au cœur du soin, avec des objectifs à la fois préventifs et curatifs. Les outils privilégiés sont la psychothérapie conjointe parents-enfant, les soins psychiques à médiation corporelle et le travail axé sur les interactions familiales inscrites dans un quotidien. Au plus proche des conditions de vie courante mais dans le cadre rassérénant de l’ambiance de l’unité.

Blues postpartum : au cœur d’une unité spécialisée marseillaise 1Le travail partenarial de réseau rend possible une intervention de plus en plus précoce et le maillage autour des familles. La précocité et la continuité des soins étant fondamentales dans cette période sensible de la périnatalité, au cours de ce temps fondateur des « 1000 premiers jours ».

 

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  • Quelques chiffres. Sur 750 000 naissances chaque année en France, 12,5% des femmes déclarent une détresse psychologique en période périnatale. Et 5% traversent une dépression sévère. D’autre part, 750 épisodes psychotiques aigus ont lieu en postpartum.

 

  • Une équipe multidisciplinaire. Créée en 1981 par le Pr René Soulayrol, lieu d’accueil et de soins pour les mères, les pères et les bébés, l’unité d’hospitalisation conjointe fonctionne depuis 1984. Elle propose un travail psychique et d’étayage sur une relation perturbée ou en voie de le devenir entre un bébé et ses deux parents.

L’UPE est l’unité régionale de conseil et de ressources en santé mentale et psychiatrie périnatale. L’équipe est composée de quatre accueillantes de jour (trois puéricultrices et une infirmière qui se relaient au cours de la journée) et trois accueillantes de nuit (une puéricultrice, une infirmière et une aide-soignante). Une interne et une assistante de spécialité, une psychologue, une assistante sociale et une cadre de santé complètent l’équipe spécialisée de l’UPE. Presque toutes sont à temps partiel. Par ailleurs, une art thérapeute et une psychomotricienne interviennent plusieurs fois par semaine.