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Boris, luthier investi de la cité des Aygalades

Par Maëva Danton, le 9 septembre 2021

Journaliste

Pour amuser les enfants du quartier, Boris s'est lancé dans la fabrication d'une lyre telle qu'on en trouvait au Moyen-Âge. @MGP

Né en Ukraine, Boris Petrychko rejoint Marseille en 1994. D’abord chef de chantier, il devient luthier. En 2018, il s’installe dans un local commercial de la cité des Aygalades, suscitant la curiosité des plus jeunes, à qui il ouvre volontiers sa porte. Pour leur offrir des instants d’évasion créative, autant qu’une écoute attentive.

Il garde toujours la porte de son atelier ouverte. De 9h à 18h. Du lundi au samedi. Parfois même le dimanche. Qu’il pleuve, comme aujourd’hui, ou qu’il vente.

Cela fait de lui un interlocuteur à portée de main pour toute demande de renseignement. Comme cette dame pressée : « Les restos du cœur c’est par ici ? ». La plupart de ceux qui longent son local le saluent. « Salut Boris ! ». Certains lui demandent comment il va. Les échanges sont chaleureux mais brefs. Boris n’est pas un grand bavard. Carrure imposante, crâne chauve, traits ronds, il affiche une certaine pudeur. Pas envie de s’imposer. Et peut-être l’inconfort de converser dans une langue autre que celle de son enfance, passée en Ukraine (bonus). Cela ne l’a pas empêché de devenir incontournable dans le quartier. Une lutherie, on n’en croise pas à tous les coins de rue. Encore moins dans une cité. Et la bonhommie de son propriétaire lui donne un supplément d’âme.

« On s’y est attaché à notre Boris », confirme Daniel Peres, président de l’Amicale des locataires du quartier dont le masque noir se dérobe, laissant apparaître une moustache blanche. « Il a toujours le cœur sur la main, il est toujours là pour aider ».

« Au début, on me prenait pour un militaire »

Pourtant, lorsqu’il arrive dans le quartier en 2018, il suscite une certaine méfiance. « On me prenait pour un militaire. Ou bien quelqu’un de la Légion étrangère. Sûrement à cause de mon physique, de mon côté strict et de mon accent », pense-t-il. Mais chez les enfants, la curiosité surpasse la crainte. Ils s’approchent. Veulent voir de plus près les guitares que Boris fabrique et répare. Toucher leur bois. Leurs cordes. Jouer quelques notes. « Quand ils me parlaient je souriais forcément ».

Les enfants l’émerveillent depuis la naissance de son fils – il a 16 ans. « J’aurais aimé en avoir d’autres », confie le luthier. Un regret qu’il panse auprès des gamins du quartier. Jouant ce tonton cool qui ne dit (presque) jamais non. Et chez qui il y a toujours quelque chose à apprendre.  

 

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En entrant dans l’atelier, on découvre sur une table quelques petites guitares peintes par les enfants du quartier. @MGP

 

Rompre l’ennui

Car ici, aux Aygalades, il n’y a pas grand-chose à faire. Le centre-ville ? Il faut quasiment une heure pour s’y rendre en transports en commun. La plage ? N’en parlons pas. Alors pour occuper les jeunes de la cité, Boris commence par leur donner des plaques de bois contreplaqué sur lesquelles ils peuvent dessiner. « Au feutre ou à la peinture surtout, ils adorent ça ! »

Lorsqu’il parle de ces minots, il est émerveillé. Revitalisé. Il s’active d’un bout à l’autre de l’atelier. Sur une table, il montre les petites guitares qu’il leur a fabriquées et qu’il leur a proposé de peindre. « C’est de l’acrylique. C’est une petite activité mais ça leur apprend à travailler. Ici, il y a certains enfants, des gitans surtout, qui ne vont pas à l’école. Et ils adorent la musique. Et bien avant de pouvoir jouer, il faut passer par un petit travail. Ça les habitue aux choses manuelles. Et après, peut-être qu’ils iront plus loin ».

Sur les murs, il regarde avec tendresse les dessins qu’ils ont réalisés. Et s’attarde sur cette affichette rappelant qu’il ne faut «pas toucher les affaires de Boris». Puis il attrape un instrument dont il caresse le bois clair et léger. « Ça, c’est une lyre. Ça a été inventé au Moyen-âge. J’ai préparé ça pour les enfants et les jeunes ». 

 

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@MGP
Une présence rassurante

« Il fait énormément pour les enfants, constate Daniel. Pour les parents, c’est rassurant de savoir qu’ils sont là et qu’ils ne traînent pas n’importe où. Et ce qu’il n’a pas dit, c’est qu’il organise aussi des apéritifs et des soirées où il apporte des pizzas pour les habitants du quartier. Ça réunit du monde et ça donne du travail au boulanger du coin ». Boris l’écoute, regard baissé, presque gêné par tant de reconnaissance. « Et oui, après l’effort, le réconfort », dit-il en relevant la tête.

Il est un peu plus de 16h30, l’heure de sortie de l’école, lorsqu’une fillette d’une dizaine d’années vient à la porte pour l’interpeller. Elle est coiffée de longues nattes décorées d’un tissage blanc et porte une doudoune noire trempée. « Boris ! Je peux récupérer mon dessin ? C’est pour le finir ce week-end à maison ! ». Il acquiesce. Cette petite est une habituée du lieu. Elle y passe « tous les jours » assure-t-elle. Mais aujourd’hui, pas de temps à perdre. La pluie tombe à seaux et elle compte bien en profiter. « Je cours, je saute, je plonge », s’enthousiasme-t-elle.

« Cette petite, je l’appelle Poupette. Parce qu’une fois, une dame a dit que c’était une poupée. Alors j’ai tordu le mot et ça a fait poupette. Au début, quand je l’ai connue, elle faisait la bagarre avec tout le monde, elle insultait les gens. Elle mangeait des graines de tournesol qu’elle crachait par terre. Mais elle a beaucoup changé depuis. Elle joue du piano et elle chante, elle a une très jolie voix. Elle dessine aussi, elle aime beaucoup ça. Quand elle n’est pas sage, je lui dis de rester dans un coin puis elle demande pardon. Je ne les force jamais à faire quoique ce soit, mais c’est important de leur transmettre le respect, l’égalité, la fraternité, etc. Et puis si je ne leur apprends pas ça, c’est moi qui vais morfler ».

 

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Boris Petrychko, entouré de Marco Faure (à gauche) et Daniel Peres (à droite). @MGP

 

Son activité professionnelle éclipsée par ses engagements

Une des principales difficultés de Boris est de faire cohabiter son activité professionnelle de luthier avec son engagement auprès des jeunes. « Il leur consacre beaucoup de temps et aussi de l’argent personnel. En plus, il a du matériel coûteux et des fois, les enfants y touchent et l’endommagent », regrette Daniel. « Je ne sais pas comment il fait, renchérit Marco, un ami souvent présent pour le soutenir et s’occuper des jeunes. Il travaille et en même temps il s’occupe d’eux. Moi, je pourrais pas ». Boris écoute. Puis, dans un haussement d’épaules : « C’est la passion. C’est pour aider les gens ! »

Un altruisme qui revêt parfois des allures de sacrifice. Lorsqu’il arrive en 2018, le bailleur social 13 Habitat l’exempte de loyer pendant un an. Les deux années suivantes en revanche, il doit le payer. « La troisième année, je n’y arrivais plus alors j’ai travaillé dans des chantiers à côté ».

Finalement, en 2021, pas de loyer, seulement des charges. Mais son activité de luthier ne lui rapporte que peu de revenus. Et il continue de payer de sa poche les prestations des guitaristes et magiciens qu’il invite pour animer le quartier. En découle une situation financière fragile. « Il mériterait d’être récompensé », ne cesse de répéter Daniel.

Boris bénéficie de quelques subventions pour financer ses activités associatives (bonus), « mais c’est très peu », juge Daniel. Des subventions qui, pour la première fois, lui ont permis de se rémunérer cet été. « Les choses vont de mieux en mieux », se satisfait le luthier.

Dans les prochains mois, il aimerait s’entourer d’éducateurs pour encadrer les enfants. Afin de se consacrer davantage à son métier de luthier. « Je voudrais aussi acheter du matériel pour permettre aux petits de faire de vrais tableaux. Car ils aiment tellement le dessin… C’est de la folie ! »

 

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Dans son atelier cohabitent dessins d’enfants et outils en tout genre. @MGP

 

Impliquer les parents

En parallèle, il souhaiterait impliquer davantage les parents. « Ils ne viennent presque jamais ici. C’est dommage ». En organisant ses animations musicales au milieu de la cité, il espère les attirer hors de chez eux. Leur permettre de s’évader. « Ici, il y a beaucoup de misère ». Misère économique autant que sociale. « Je vois des mères qui restent enfermées à la maison avec leurs enfants car elles ont peur de leur ex-mari violent ».

Il en a discuté avec une psychologue du service médical voisin et envisage de mettre en place des ateliers de musicothérapie pour adultes. Cela devrait démarrer dans les prochains mois. Daniel l’écoute en parler attentivement, avant de le submerger de questions : « Tu vas commencer ça quand ? La psychologue sera bénévole ? Tu auras des financements ? ». Sourire de l’intéressé. « Je ne sais pas encore. Ce sont des projets ». Le rêve et l’envie d’aider d’abord. La logistique ensuite. C’est finalement un peu ça, la méthode Boris. ♦

Bonus
  • De l’Ukraine à Marseille – Boris Petrychko naît en Ukraine où il se découvre une passion pour la musique. Son père est menuisier. L’été, il l’aide en échange d’un peu d’argent de poche. De là naît son amour du bois. Quant à sa mère, « elle travaillait pour le kolkhoze », système consistant à mettre les terres d’un groupe de personnes en commun en URSS. « Mais elle s’est beaucoup occupée de nous. On était cinq enfants ».

De l’URSS, il garde le souvenir d’une terre où il pouvait voyager. « C’était cool », dit-il. Puis en 1992, il a envie de changer de vie, de découvrir le monde de l’Ouest, maintenant que le mur est tombé. Et s’envole pour l’Allemagne où il passe trois ans avant de rejoindre la France. Marseille. « J’ai choisi cette ville peut-être parce qu’il y faisait plus chaud ».

Au départ carrossier, il passe une formation d’assistant-chef de chantier pour devenir chef de chantier. Une situation confortable. « C’est un métier qui paie bien. Mais je partais de chez moi à 5h du matin pour rentrer à 19h. Je ne voyais pas grandir mon fils ». C’est au hasard d’une rencontre avec un luthier marseillais il y a une dizaine d’années qu’il décide de se former à ce métier associant son goût du travail du bois et de la musique.

Exerçant d’abord chez lui dans le 14eme arrondissement, il finit par obtenir de la part de 13 Habitat le local commercial qu’il occupe actuellement au sein de la Cité des Aygalades (15e).

  • Financements – Pour payer le matériel qu’il utilise dans le cadre de ses activités associatives, Boris s’appuie sur des subventions de 13 Habitat (qui lui épargne le paiement du loyer), ainsi que de la Préfecture et de la Politique de la ville. Des aides ponctuelles qui ne lui permettent pas de se rémunérer, encore moins de recruter des animateurs qui pourraient l’épauler.
  • Pour suivre les activités de Boris, rendez-vous sur son site.