Fermer

Bricabracs, une école qui sort de l’ordinaire

Par Agathe Perrier, le 5 décembre 2022

Journaliste

Chaque enfant dispose d'un plan de travail à suivre, fixé avec les enseignants en fonction de ses capacités © Agathe Perrier

À Marseille, au sein de l’espace éducatif Bricabracs, 24 enfants de 5 à 11 ans partagent la même classe. Ici, pas de niveau, de notes ou de classement. Si les matières scolaires classiques sont obligatoires, elles se mêlent aux activités artistiques, manuelles, physiques et sociales. Le tout dans l’ordre et à un rythme défini par chacun des élèves, ce qui permet de développer autonomie et responsabilisation.

 

C’est une école un peu particulière, située à l’extrême nord de Marseille, à la frontière de Septèmes-les-Vallons. « On parle plutôt d’espace éducatif », corrige d’ailleurs dans un sourire Erwan Redon. Il a co-initié en 2014 ce projet fusionnant temps scolaire et espace de loisirs, baptisé Bricabracs (bonus) dont il est aujourd’hui l’un des deux enseignants-éducateurs. Pour cette 8e rentrée scolaire, 24 enfants de 5 à 11 ans y sont inscrits et sont en classe tous ensemble.

 

classe-collectif-oral-groupe
Les moments collectifs sont nombreux chez Bricabracs car ils développent l’écoute, les compétences orales et la construction de l’esprit critique © AP

Autonomie et responsabilité

Les matinées sont dédiées au travail disciplinaire, par tranches de 30 minutes. Au programme : écriture, mathématique, lecture. Si les matières sont imposées, ce sont toutefois les enfants qui choisissent, individuellement, par quoi commencer.

Les disciplines sont découpées en différents thèmes et, là encore, l’élève démarre par celui qu’il souhaite – tout en sachant qu’il devra tous les faire au fil du temps. « On se base sur la pédagogie de Célestin Freinet (bonus). En élaborant lui-même son planning, l’enfant se prend naturellement en charge, développe son autonomie et se responsabilise. Il progresse également à son rythme », indique Erwan Redon.

L’enseignant est disponible pour répondre aux éventuelles questions. Il veille aussi discrètement à ce que chacun travaille correctement. « On vérifie que les notions sont bien acquises via de petites évaluations à l’oral avec l’enfant. Ça réduit les possibilités de se comparer les uns aux autres, d’être en compétition », poursuit-il. Aucun classement n’est d’ailleurs établi, et aucun bulletin de notes n’est distribué.

 

 

L’importance du collectif

Ces temps d’apprentissage sont entrecoupés par des moments collectifs. À 10h, par exemple, c’est récréation pour les plus petits – appelés « jeunes sages » – quand les « vieux » ont séance d’entraînement. Il s’agit pour ces derniers de répéter les tables de multiplication, la conjugaison ou l’orthographe des mots invariables. Le tout en groupe et à l’oral. Il y a également les « présentations » où chaque enfant exhibe des objets ramenés de chez lui. Et les « assemblées », deux fois par semaine. Là, la petite troupe propose des idées d’activités à faire ensemble dans les jours suivants. Des moments prônés par la pédagogie Freinet car ils développent l’écoute, les compétences orales et la construction de l’esprit critique.

Il arrive néanmoins que ces instants collectifs soient individualisés. C’est ce qu’a fait Charles, le second enseignant-éducateur ce lundi de novembre, face à une excitation générale qui empêche la séance d’entraînement de se dérouler correctement. « On a un schéma de journée type que l’on adapte en fonction des enfants. Parfois ils ne sont pas dans le bon équilibre pour que la classe se passe bien, surtout les jours de pluie comme aujourd’hui où ils sont davantage enfermés que d’habitude ». Les élèves sont alors contraints d’occuper un des espaces intérieurs pour travailler – bureau, salle de groupe, de lecture – alors que d’ordinaire ils peuvent s’installer dehors. L’ambiance est un peu agitée mais le calme revient vite.

Chez Bricabracs, l’école ne se résume pas aux matières classiques
Lors de la séance d’entraînement quotidienne, les « vieux sages » répètent en groupe et à l’oral tables de multiplication, conjugaison et orthographe © AP

 

Une entrée au collège qui se passe bien

L’après-midi est plus propice aux activités non scolaires. Certains échangent des passes au foot, d’autres jouent du piano, lisent, font de la mosaïque. « Ce temps est aussi dédié à du soutien, en individuel ou petits groupes. Et à l’organisation des activités qu’ils avaient proposées lors des assemblées », explique Erwan Redon.

Malgré ce rythme bien différent de celui des écoles traditionnelles, les enfants de Bricabracs n’ont pas plus de mal que les autres à s’habituer au collège. Ou, du moins, « ils ont les mêmes difficultés à s’adapter à ce nouveau rythme et ses exigences », considère l’enseignant. Il admet toutefois : « Ce qui peut être plus compliqué est qu’on leur donne plus de place à la parole et plus d’autonomie ». Mais tout rentre dans l’ordre assez rapidement, dans les semaines suivantes.

 

 

pedagogie-active-freinet-montessori
L’espace intérieur est séparé en plusieurs espaces, notamment une salle calme propice à la lecture © AP

Un modèle économique à trouver

Bricabracs a beau en être à sa huitième rentrée, la structure survit pourtant plus qu’elle ne vit. Erwan Redon le reconnaît : les fondateurs se sont concentrés sur le projet pédagogique plus que sur le modèle économique. La première année, les familles n’ont déboursé que 30 euros par mois et l’enseignant a travaillé sans être payé. Depuis, les tarifs ont augmenté et sont échelonnés en fonction du quotient familial, soit entre 92 et 140 euros mensuels. C’est cependant toujours insuffisant. « Ça ne couvre même pas 50% de notre budget. D’après une étude, il nous faudrait 75% d’autofinancement si l’on veut s’en sortir », glisse-t-il. Les cotisations vont donc grimper l’année prochaine. À contrecœur puisque l’équipe sait que cela ferme encore un peu plus les portes de la structure aux bourses modestes. « On n’a pas le choix, le modèle actuel n’est pas pérenne », justifie-t-il.

Pour les 25% restants, Bricabracs bénéficie du soutien financier d’une soixantaine de donateurs qui abondent les comptes chaque mois à hauteur de 1 500 euros. Une précieuse aide complétée par des subventions publiques. Mais leur montant n’étant pas stable, Erwan Redon les considère comme un « plus ». « C’est pour nous un moyen de faire des sorties avec les enfants, d’améliorer le matériel voire et, si on en décroche de nouvelles, de nous payer un peu mieux », commente-t-il, confiant toucher seulement le SMIC. Assainir les finances est plus que nécessaire aujourd’hui pour permettre à l’équipe de relâcher la pression et aux familles de se projeter sur le long terme.

 

Bonus

  • Inscrire son enfant chez Bricabracs – Contacter l’administration : contact@bricabracs.org ou 07 66 25 13 20. Quelques places se libèrent chaque année et l’équipe tient une liste d’attente.
  • Les vacances chez Bricabracs – La structure est reconnue depuis 2021 comme organisateur d’ACM (accueil de loisirs) par le ministère de la Jeunesse et des Sports. Pas besoin de suivre l’école pour s’y inscrire pendant les vacances scolaires. Au programme : peinture, lecture, dessin, jardinage, écriture, jeux… Plus d’infos en cliquant ici.
  • bricabracs-espace-educatif-accueil-loisir
    Pendant la pause méridienne, chacun fait les activités qu’il souhaite. Certains s’amusent dehors quand d’autres jouent au piano, au foot ou font de la mosaïque © AP

    De la pédagogie « active » – Bricabracs s’inspire de plusieurs pratiques issues du courant des « pédagogies actives » ou plus anciennement de l’éducation nouvelle : Célestin Freinet, école du 3ème type de Bernard Collot, Korczak, Montessori, pédagogie sociale, Paulo Freire… La méthode active prône une éducation globale, accordant autant d’importance aux différents domaines éducatifs : intellectuels et artistiques, mais également physiques, manuels et sociaux. L’apprentissage de la vie sociale est aussi considéré comme essentiel.

 

 

  • Une gestion de classe (en partie) déléguée aux enfants – Exemple à la pause déj’. Pas de cantine ici, les enfants ont leur propre tupperware. Et c’est un petit groupe qui assure chaque jour le service. Ils font chauffer les plats, les servent à table puis se chargent de débarrasser et de faire la vaisselle. Ce sont d’ailleurs aussi les enfants qui s’occupent en fin de journée de ranger et nettoyer les lieux.
  • Un collectif de parents et enseignants mus par l’envie de proposer un modèle d’école alternatif – Erwan Redon a enseigné pendant 15 ans au sein de l’Éducation nationale, notamment à la Belle de Mai (3e arrondissement). Militant syndical et pédagogique, il a fini par quitter le service public à l’automne 2014 à cause de la dégradation du système scolaire. Avec d’autres enseignants et des parents de ses élèves, ils ont l’idée de monter Bricabracs, « un projet utopique de lieu transversal mêlant apprentissages dits scolaires et du loisir ». La première rentrée se fait en septembre 2015. À défaut d’avoir trouvé un local à la Belle de Mai, la structure s’est installée dans un bâtiment appartement à une paroisse protestante du 15e arrondissement, où elle est toujours aujourd’hui.