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L’alimentation, un bon prétexte au vivre-ensemble

Par Maëva Danton, le 12 avril 2021

Journaliste

Casser le préjugé selon lequel il faudrait beaucoup d’argent pour manger sainement @DR

À Aix-en-Provence, le centre social de l’Horloge organise depuis plusieurs années des actions utilisant l’alimentation comme moyen de créer du lien social, d’accompagner à la parentalité, de prendre soin de la santé et de l’environnement. Depuis la crise du covid-19, il veut aller plus loin et planche sur la création d’une conserverie solidaire.

Difficile de définir en peu de mots ce qui fait l’essence d’un centre social.
Ils sont un lieu de « vivre-ensemble » dont le leitmotiv est de mettre les habitants au cœur de tout. Les centres sociaux s’organisent généralement en plusieurs pôles, ciblant des publics d’âges différents.

Pour les jeunes, ils sont un endroit de partage, de découverte, de moments ludiques, d’aide aux devoirs. Pour les familles, ils constituent un espace d’échange intergénérationnel, un lieu-ressource où l’on trouve des conseils et où l’on peut renforcer quelque peu sa confiance en soi. Mais au-delà de ces grandes lignes, il existe autant de centres sociaux que de territoires. Chacun se construisant en réponse aux besoins de son public. Chacun étant marqué par les problématiques du quartier qu’il habite.

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Le centre social de l’Horloge, vu de l’extérieur @DR
L’alimentation, une préoccupation forte depuis plusieurs années

Le centre social de l’Horloge se situe dans le quartier populaire de Jas de Bouffan, à Aix-en-Provence. Pour le rejoindre, il faut emprunter un petit chemin longeant un collège. On arrive devant un joli bâtiment orangé de deux étages, couvert de tuiles. Il est entouré de part et d’autre de deux autres infrastructures, plus petites et plus modernes.
De construction récente, le centre social dispose en son sein – c’est un fait rare – d’une cuisine aménagée. Car depuis le début, l’alimentation est un sujet qui compte.

« On organise des ateliers de cuisine qui donnent des conseils et abordent notamment la question du budget », explique Gisela Dorado, responsable du pôle famille. Car le centre social du Château de l’Horloge s’attelle à casser le préjugé selon lequel il faudrait beaucoup d’argent pour manger sainement. « Faire un gâteau maison pour le goûter revient moins cher que d’acheter des biscuits industriels. C’est plus sain et cela génère moins de déchets ». Mais attention, il n’est pas question de culpabiliser les familles. Ce serait les déconsidérer alors que l’enjeu est de valoriser les personnes dans leur rôle de parent prenant soin des siens. « Les ateliers sont l’astuce pour les pousser de manière ludique à consommer autrement ».

 

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Préparation d’un couscous dans le cadre d’un atelier cuisine. @DR
La cuisine comme vecteur de lien social

Ces activités sont aussi un moyen de créer du lien entre des publics différents. Maguy, qui est aujourd’hui occupée à coudre un tote-bag, fréquente le centre depuis plusieurs années. Retraitée, elle est une habituée des ateliers cuisine. « On propose des menus et le centre achète les produits. Puis on cuisine en équipe. En principe on réussit … ». Elle hésite un instant, et esquisse un sourire. « Non, on réussit toujours. C’est un plaisir que de partager ces moments-là. On a même participé à des échanges avec des étudiants asiatiques, d’Europe de l’Est ou russes », se remémore-t-elle avec autant de tendresse que de gourmandise.

Le centre dispose également d’un potager dont s’occupe le pôle Accueil de loisirs. « Le mercredi, ils proposent aux enfants d’aménager des carrés de jardinage ». La production est modeste. Pas de quoi nourrir des familles. Mais ce qui compte, c’est l’intention. Et le partage.

Si pendant plusieurs années l’alimentation est un prétexte, un vecteur d’échange et de discussions, en faveur d’une consommation plus responsable et saine, la crise du covid-19 a obligé le centre social à aller plus loin encore.

 

Une conserverie pour des petits plats sains et accessibles

Confinement. Pertes d’emplois. Fermeture des cantines. Dès le printemps 2020, la situation se tend pour les familles du quartier déjà relativement précaires. Des liens se tissent alors avec les associations spécialistes de l’urgence alimentaire. Dans le même temps, le centre social -dont l’urgence n’est pas le métier- réfléchit à l’après. À la manière dont il peut aider les habitants du quartier à se nourrir de manière saine. Sur la durée.

C’est ainsi que germe l’idée d’une conserverie solidaire. « On utiliserait notre espace de cuisine pour transformer des produits invendus et déclassés en sauces et en soupes. On travaillerait avec des producteurs locaux, les banques alimentaires et les habitants pour créer cet atelier de transformation ».

 

 

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Atelier « goûter équilibré » mené en janvier 2020, en partenariat avec l’association aixoise Apport santé @DR
Inclusion, solidarité et environnement

L’atelier offrirait à des personnes éloignées de l’emploi l’occasion de « se mettre en mouvement » et de remuscler leurs compétences. Un sujet cher à la directrice du centre, Géraldine Dewilde. « Les centres sociaux ont une utilité centrale dans l’inclusion. Ils apportent une vraie plus-value en offrant la possibilité de sortir de l’isolement, de faire que les personnes se sentent concernées et se remettent au cœur de leur propre projet de vie ». D’où l’intérêt de co-construire le projet avec les habitants.

L’enjeu est également de mener une action à impact environnemental. Un sujet auquel le centre est sensible jusque dans l’organisation de ses événements. À tel point que sodas et gobelets en plastique y ont été bannis. « Avec cette conserverie, on travaillerait dans une logique anti-gaspillage, en circuit court », imagine Gisela Dorado.
Une fois les produits transformés, ils seraient distribués dans un premier temps aux familles participantes. « Mais si on avance bien, on pourrait mettre en place une épicerie solidaire ».

Pour l’heure, l’enjeu est de mobiliser les habitants pour qu’ils s’approprient le projet. Il faut aussi s’atteler à la recherche de financements. « Nous avons demandé des subventions de la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. On devrait en savoir plus aux alentours de juin ».

 

Fourmis du vivre-ensemble

D’ici là, il faut apprendre à composer avec une autre contrainte : la suspension des activités liée aux restrictions sanitaires.
Dans la cuisine, l’odeur de produits nettoyants a complètement évincé celle de la pâte à gâteau cuisant lentement dans le four. Plus de papilles titillées. Plus de rires, ni de mains appliquées. Car depuis un an, on n’y met plus les pieds. « Cela me manque beaucoup ! », regrette Maguy.

« On essaie de garder le lien comme on peut », assure Gisela Dorado. « On arrive à maintenir certains ateliers comme la couture pour garder le contact avec les seniors. Le mercredi, on distribue aussi des kits de loisir pour travailler sur la parentalité. Hier, on a donné des kits de pâtisserie pour que les familles fassent des madeleines au citron. Tout a été pesé et mesuré. Les parents les font avec leurs enfants puis ils nous envoient des photos que l’on partage avec les autres familles».

Des petites choses qui permettent d’égayer un quotidien pas toujours des plus sereins. Et qui prouvent que les centres sociaux sont toujours là. Abattant un travail de fourmi pour maintenir, en ces temps de distanciation sociale, un semblant de vivre-ensemble. ♦

 

Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

Bonus

[pour les abonnés] Quel rôle des centres sociaux face à la précarité alimentaire ? – 3 questions à Joseph Richard-Cochet, délégué départemental de l’Union des centres sociaux dans les Bouches du Rhône.

 

Marcelle : En février, l’Union départementale des centres sociaux a annoncé lancer un projet collectif baptisé « Cultivons la solidarité alimentaire » qui réunit 12 centres sociaux du département. Comment est né ce projet et en quoi consiste-t-il ?

Joseph-Richard-Cochet : À la base, les centres sociaux interviennent peu sur la solidarité alimentaire. Notre cœur de métier, ce n’est pas l’urgence mais un travail de fond.
Mais la crise puis le premier confinement ont été un choc. Les équipes des centres sociaux se sont posé des questions sur les besoins des habitants. La précarité alimentaire est devenue un vrai sujet. Plusieurs centres se sont positionnés sur la distribution de cagettes alimentaires avec la Métropole d’Aix-Marseille. Ils y ont ajouté tous les produits qu’ils pouvaient.
À ce moment-là, on a touché des publics qu’on ne connaissait pas. Des personnes désocialisées qui ne venaient pas dans nos structures. On a répondu aux besoins. Ensuite, plusieurs centres ont eu envie de mener des actions durables sur ce sujet. Avec une réflexion sur des achats groupés, des épiceries solidaires, des conserveries… autant de manières d’accéder à une alimentation saine tout en travaillant sur les enjeux de parentalité, de lien social.

L’Union des centres sociaux a alors décidé de fédérer ces projets pour leur donner un sens commun, organiser un partage des connaissances, notamment en jouant un rôle d’interface avec les associations habituées à traiter ces questions. L’idée était aussi de les valoriser auprès des partenaires financiers.

Marcelle : Quels types de financements avez-vous demandés ? Avez-vous obtenu des réponses ?

Joseph-Richard-Cochet : Nous avons répondu à un appel à projets de l’État sur la question de la solidarité alimentaire dans le cadre du plan « France relance ». Nous avons fédéré une quinzaine d’associations régionales pour les aider à faire émerger leurs projets. Au total, nous avons demandé environ 30 millions d’euros, avec pour certains acteurs des demandes allant jusqu’à 300 000 euros.
Mais rien n’a été retenu. Cela nous a beaucoup refroidis. L’appel à projets a été lancé sans que l’on sache ce qu’il y avait dans la besace. Au final, seuls 2 millions d’euros ont été distribués. Nous n’avons rien eu. On nous a expliqué qu’il fallait prioriser. C’est assez fatigant ces effets d’annonce et ces appels à projets exigeants qui, finalement, ne nous donnent pas les moyens d’aller au bout des projets.

Marcelle : Quelles perspectives reste-t-il alors pour mener à bien ces initiatives?

Joseph-Richard-Cochet : On va se débrouiller avec des bouts de ficelle. On a l’habitude. Chaque centre verra comment il peut mener son projet. On essaiera de trouver d’autres partenaires financiers. La vague de fond est trop forte pour s’en tenir à ce refus. On va essayer de ne pas faire un coup d’épée dans l’eau. Et s’il faut ajuster nos ambitions, on le fera.