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Des champignons cultivés dans d’anciennes mines d’ocre

Par Marie Le Marois, le 13 mai 2022

Journaliste

Les carrières de Roussillon, dans le Luberon, ne servent plus depuis longtemps pour l’extraction de l’ocre. Elles sont en revanche parfaites comme champignonnières. Depuis 2021, Terra Mycota y cultive trois variétés de champignons bio, goûteux et supernutritifs. Sans rapport avec ceux de Chine, principal producteur.

 

mines d'ocre
Carrière Terra Mycota avec entrées de la mine. @Marcelle

Le Massif des Ocres, étendu sur 25 kilomètres entre Goult et Gignac (Vaucluse), est grandiose. Ses falaises fauves tranchent avec une coiffe végétale verdoyante et souvent un ciel bleu électrique. Il doit sa splendeur à l’érosion naturelle conjuguée à l’exploitation humaine. Dès le XVIIème siècle, les hommes ont en effet extrait l’ocre, en creusant à la pioche et à la lampe à carbure des kilomètres de galeries en voûtes d’ogive.

Ce pigment naturel était utilisé autrefois pour le crépi des maisons. Mais entrait aussi dans des compositions insoupçonnées, comme les croûtes de fromage ou le caoutchouc. La production a atteint son apogée en 1929 puis décliné, en raison notamment de l’apparition des colorants de synthèse. De nos jours, il ne reste plus qu’une carrière encore exploitée (voir bonus). Les autres ont été abandonnées.

 

  • La partie souterraine du champignon – le système racinaire – s’appelle le mycélium. La partie émergente se nomme sporophore, c’est l’appareil reproductif.

 

L’environnement idéal

Quentin Blochard
Quentin Blochard, l’un des deux associés de Terra Mycota @Marcelle

En avril 2021, deux trentenaires fondent de Terra Mycota. Et réhabilitent en champignonnière une des mines de Roussillon. Le lieu offre un environnement idéal. « Sa température, 14 degrés, est constante toute l’année et son hygrométrie parfaite. Cette humidité naturelle se dégage de l’ocre », détaille Quentin Blochard, chargé de la production.

Il cultive, sur un kilomètre de galeries, pleurotes, champignons de Paris et les fameux shiitakes, si prisés (voir bonus). Leur point commun est de faire partie de « la cinquantaine de variétés cultivables. C’est-à-dire des saprotrophes (qui se nourrissent de matières en décomposition), contrairement aux symbiotiques (qui ont besoin des plantes pour croître) ».

 

 

Une centaine de kilos de champignons en moyenne par semaine 

Des champignons cultivés dans d’anciennes mines d’ocre 6
Culture du mycéllium. Étape n°1 de la culture du champignon @Marcelle

L’entreprise en vend « 100 à 150 kilos en moyenne par semaine ». Ce succès est dû en grande partie à la qualité des produits. Ils sont ultra-frais – « livrés le jour de la récolte ». Fermes – « ils rendent très peu d’eau ». Bio – « le mycélium n’est pas génétiquement modifié et le substrat n’a pas subi de chimie ». Super nutritifs – « ils sont chargés en protéines, zinc, vitamine B. Et en antioxydants pour les shiitakes ».

Enfin, ils sont goûteux. Les champignons de Paris que nous avons dégustés crus sur place, dégagent en effet des saveurs boisées et de noisette, « rien à voir avec ceux importés de Pologne à deux euros le kilo », ironise ce petit fils d’agriculteur. Alors oui, les produits sont plus chers, de 8 à 15 euros le kilo selon la variété. Mais les consommateurs, clients des magasins bio de la région (voir bonus), en sont « très demandeurs ». Même engouement pour une dizaine de restaurateurs, dont Les Valseuses à Apt.

 

  • Contrairement à son nom, le champignon de Paris est produit principalement dans les Pays de la Loire depuis la fin du XIXe siècle. Mais la France en importe de Pologne et des Pays-Bas.

 

De nombreux freins et adaptations

Des champignons cultivés dans d’anciennes mines d’ocre 5
Fructification des blocs de shiitaké dans les mines. Étape n°5 de la culture de champignons @Marcelle

Avant de connaître ce succès, les deux associés-gérants ont dû affronter de nombreuses difficultés. À commencer par décontaminer la carrière devenue « dépotoir public ». Ils en ont retiré pas moins de 60 m3 de métal. À l’intérieur des galeries, même topo : des rails de wagonnets datant de l’extraction de l’ocre et de nombreux déchets laissés par les exploitants d’une ancienne champignonnière. Elle a été fermée il y a 20 ans, sans doute « en raison de trop de concurrence ».

Après avoir tout assaini, il a fallu amener l’électricité, l’eau et… se lancer. Quentin Blochard, passé de juriste-chercheur, employé Biocoop à agriculteur (voir bio express), a beaucoup tâtonné au début. Et fait quelques erreurs lors des sept étapes de la culture. (voir bonus)

 

Le champignon n’est pas un légume

Roussillon
Galerie protégée d’une bâche pour contrôler le CO2 @Terra Mycota

Le jeune homme a, au fur et à mesure, aménagé une zone stérile pour, entre autres, manipuler le mycélium – « la contamination est l’ennemi numéro un de la culture ». Installé des ventilateurs pour disperser le CO2 mais aussi les spores « sinon les champignons cessent de se reproduire » (voir bonus). Fermé les galeries avec des bâches pour contrôler le CO2 dans l’air. Installé les shiitakes sur des étagères pour relever la température et gagner en autonomie.

Faire pousser des champignons n’est décidément pas si simple. Ce ne sont pas des légumes car ils se développent sans chlorophylle, contrairement aux autres végétaux. Ni des animaux, et pourtant ils rejettent du CO2. Ces organismes vivants sont uniques, voire « hyper intelligents », selon le champignonniste. Pour se développer, ils ont besoin de matière organique (biomasse), telle que paille ou bois. Un substrat « qu’ils vont décomposer pour grandir ».

 

Des déchets organiques régionaux pour nourrir les champignons

champignons de Paris
Fructification des champignons de Paris, avec un peu de sel pour la conservation. @Marcelle

Terra Mycota utilise principalement des blocs de biomasse déjà prêts pour faire proliférer ses champignons (voir bonus). Mais confectionne de plus en plus ses propres blocs avec des déchets organiques de la région, non exploités.

Les champignonnistes donnent une seconde vie à la sciure de bois de feuillus récupérée dans des zones d’élagage, de la paille de céréales de Murs et de la paille de riz de Camargue. Enfin, des graines de céréales de fonds de silo non commercialisables. Une grande partie de l’activité consiste à trouver ces substrats. L’entreprise projette d’utiliser des sarments de vignes mais se heurte pour l’instant à la logistique.

 

Le point noir : le plastique

Terra Mycota
Blocs de substrats inoculés enroulés dans du plastique @Terra Mycota

Pour éviter toute contamination extérieure, qui détruirait les cultures, Quentin Blochard enroule chaque bloc – inoculé par le mycélium (voir bonus) – dans du plastique. Cet élément est « le point noir » de la myciculture. La solution serait de cultiver un champignon mangeur de plastique. « Il existe déjà, c’est une sorte de pleurote mais on en est au balbutiement ». Il aimerait travailler avec d’autres champignonnistes pour mettre en place une filière. « Mais comme toute nouvelle structure, ça prend du temps ».

 

 

Encore neuf kilomètres de galerie

Pleurotes grises
Pleurotes grises @Terra Mycota

Une fois les trois/quatre volées de champignons réalisées, les blocs sont placés dans une autre galerie. Car ils peuvent encore donner d’autres récoltes, même si celles-ci sont éparses. Puis, à la toute fin, ils sont transformés compost.

Terra Mycota envisage de doubler, voire tripler la production de champignons de Paris dont l’avantage est d’être simple à cultiver et plébiscité toute l’année (pleurotes et Shiitaké devant être cuits, ils sont davantage appréciés à l’automne et en hiver). 

Le site qui appartient à son associé, Victor Lallement, contient encore de la place. Trois kilomètres de galeries sont encore inexploités. Encore un labyrinthe sublime.♦

 

Bonus
  • Bio Express 

Juriste de l’environnement à Londres

Travail de recherche en Inde sur la biodiversité et les médecines traditionnelles

Petits boulots dont employé à la Biocoop Marseille 7e 

Déclic avec le premier confinement. Le trentenaire, avec son enfance à la campagne et un grand-père agriculteur, désire retourner aux sources.

Donne un coup de main à Mycotopia à Marseille

Rencontre Victor qu’il rejoint dans l’aventure

Formation de champignonniste pendant cinq jours dans un centre de formation pour adultes (CFPPA) dans le Jura

S’installe à Saint-Pantaléon 

  • Mines de Buoux
    Cathédrale dans les Mines de Buoux @Marcelle

    Le Massif des Ocres. Roussillon propose une balade exceptionnelle au cœur du plus grand gisement d’ocre : le Sentier des Ocres. Plus loin, à sept kilomètres, vous pouvez visiter les Mines de Bruoux à Gargas. Derrière les vastes entrées se cachent d’immenses galeries souterraines de plus de 40 km de long et d’une hauteur de 15 à 20 mètres, formant une véritable cathédrale minérale.

Un parcours de 650 mètres a été aménagé en toute sécurité dans ce site majestueux, associant richesses naturelles et historiques. La dernière carrière d’ocre d’Europe en activité est toujours située à Gargas et exploitée par la Société des Ocres de France qui les extrait désormais, à ciel ouvert.

 

  • Le Shiitaké. Cultivé depuis des millénaires en Asie (Chine et Japon), ce champignon connaît un succès croissant en Occident, notamment pour ses vertus anti-inflammatoires et anticancer. Il s’intègre dans n’importe quelle composition culinaire (cuit pour éviter toute intoxication). Ou se présente en poudre.

 

  • Les magasins qui vendent Terra Mycota

Biocoop Coustellet, Avignon Sud et Cavaillon

My bio shop Coustellet
Naturellement paysan Coustellet
Luberon Bio Apt
Luberon paysan Apt
Épicerie Pépin et Olivette Bonnieux

 

  • (Re)lire Invendus : des bocaux plutôt que la poubelle

 

  • Les 7 étapes de la culture du champignon

1-Préparation du mycélium de culture. Le mycélium est la partie racinaire du champignon, formée par des filaments généralement blancs. Quentin Blochard en achète dans le commerce, en échange avec d’autres champignonnistes. En prélève sur ses propres champignons ou ramasse des sauvages. Sur les peupliers pour les pleurotes, par exemple. Il les cultive sur trois supports nutritifs – liquide, gélose ou grains, « en fonction des besoins ou des variétés ». 

2-Préparation des blocs de substrats avec des déchets organiques non exploités puis ensachement.

3-Inoculation du substrat par le mycélium de culture.

4-Incubation des blocs dans le noir à 20 degrés. Au bout de trois semaines, ils sont colonisés.

5-Fructification des blocs dans les mines. Le mycélium passe de 20 à 14 degrés, c’est le choc thermique. « Par instinct de survie, il cherche la lumière et l’air, et explose en sporophores pour se reproduire », explique le champignonniste. Ils poussent au travers de mini-trous incisés dans le plastique. 

6 et 7-Maturation et récolte. En trois/quatre mois, les champignons poussent à raison de trois à quatre volées successives. Chaque bloc – 15 kilos environ – donne quatre à cinq kilos de champignons, « 30% de son poids de départ ».

 

  • Comment se déroule la reproduction ? Les sporophores éjectent dans l’air de minuscules graines : les spores. Lesquelles vont fabriquer un brin de mycélium. Pour engendrer de nouveaux sporophores, celui-ci doit rencontrer un autre brin de mycélium de signe opposé. Danse des spores ici.

 

  • Pourquoi un ventilo ? Pour éviter la stagnation des spores au-dessus des blocs, Quentin Blochard actionne des ventilateurs. Sinon « les champignons, ne se sentant plus menacés, cessent de lâcher leurs spores et ne se reproduisent plus ».