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Me Chantal Bourglan, trente ans de lutte contre l’habitat indigne

Par Guylaine Idoux, le 7 juillet 2021

Journaliste

Marseille, capitale du logement indigne, a ses tragédies mais aussi ses héros. Parmi eux, la discrète avocate Chantal Bourglan, 70 ans. Elle défend depuis plus de trente ans les victimes de ce mal invisible à beaucoup. Rencontre.

 

Comme pour tant d’autres, le 5 novembre 2018 a changé sa vie. « J’allais partir en retraite », raconte l’avocate Chantal Bourglan, 70 ans. « Depuis des années, j’avais fait des dizaines et des dizaines de signalements d’immeubles insalubres, en vain. Je me souviens de réunions à la Ville où je demandais aux techniciens et aux inspecteurs s’ils attendaient un drame pour agir. Et puis il y a eu les effondrements de la rue d’Aubagne, qui ont fait huit morts. À la Ville, ça a été une déflagration, la panique générale. Les services ont ressorti des tiroirs les centaines de signalements jamais traités, pour évacuer les gens en catastrophe. Nous étions submergés de coups de téléphone, de personnes perdues qui ne savaient plus où aller ». La retraite attendra. « Nous avions tellement d’appels à l’aide… Ce n’était plus le moment ».

 

« Un engagement qui n’a jamais failli »

Elle est comme ça, Chantal Bourglan. Digne et droite, modeste et tenace, une figure de la lutte contre l’habitat indigne dont Marseille est la triste capitale. Dès qu’on évoque le sujet, très vite, le nom de cette petite femme, à la fois énergique et douce, émerge dans les échanges. Comme une référence, un modèle à suivre. « Pour moi, Chantal est l’incarnation de l’humanité et d’un engagement qui n’a jamais failli », dit l’avocate Anaïs Leonhardt, l’une de ses deux associées.

« Elle est l’une des plus importantes figures sur le logement indigne des 25 dernières années. Pour moi, elle est aussi l’incarnation du meilleur de l’avocat, celui qui défend les faibles quand ils n’ont plus aucun recours », salue Fathi Bouaroua, lui aussi engagé dans le droit au logement. L’ex-directeur régional de la fondation Abbé-Pierre (aujourd’hui à l’Après-M) a lancé avec elle, dès 1992 une médiation juridique sur l’habitat dégradé, puis des formations mixtes avec avocats, magistrats, travailleurs sociaux et bénévoles.

 

Deux guides qui font référence
Chantal Bourglan, trente ans de lutte contre le mal-logement
Transmettre, informer, réunir – Une réunion parmi tant d’autres (DR)

Bref, une pionnière, qu’on retrouve aussi dans la création d’une antenne de prévention d’expulsion locative (« chaque jeudi, au tribunal »), dans le premier Groupement d’intérêt public sur le mal-logement (« ce type de structure permet de réunir tous les acteurs, qui ne sont plus chacun isolés dans leur spécialité mais partagent les informations et les savoir-faire »). Elle a aussi participé à rendre plus intelligibles les avis d’expulsion (« qui jargonnent tellement que la plupart des locataires ne les comprenaient même pas »), à monter des groupes de formation, notamment d’avocats spécialistes du logement (« une matière extrêmement technique, souvent mal connue »)

 

Une source d’inspiration et un modèle

« Chantal est une source d’inspiration, un modèle. Elle cherche à transmettre et à expliquer, elle fait vraiment de la pédagogie. À titre personnel, elle m’a donné le courage de m’engager », dit l’avocat Aurélien Leroux, qu’elle a contribué à former sur ce droit complexe.

En 2005, elle est sollicitée par le ministère du Logement pour écrire deux guides, qui font toujours référence. L’un sur l’hébergement et le relogement, l’autre sur le volet pénal. « C’est une technicienne du droit. Elle a rassemblé un corpus qui participe à former le socle des textes de lois sur l’habitat indigne, permettant de protéger les plus fragiles », salue Fathi Bouaroua.

 

« Des notables apparaissaient dans certains dossiers »

Pendant plus de vingt ans, Chantal Bourglan est sur tous les fronts. En face, d’autres acteurs ne bougent pas, ou si peu. À commencer par la Ville de Marseille : « Entre 2005 et 2018, je n’ai eu de cesse de faire des signalements aux services compétents, Hygiène ou Sécurité, en vain ». Était-ce, selon elle, de l’incompétence ? « Oui, en partie. Mais pas seulement : les services ne voulaient pas d’ennuis parce que des notables apparaissaient dans certains dossiers ». 

Trois ans après le 5 novembre 2018, Chantal Bourglan ne décolère pas. Cette grand-mère (neuf petits-enfants !) est toujours au poste, dans son modeste bureau de la place de la Corderie. Sur les étagères s’alignent des dizaines de dossiers, autant de personnes mal-logées, qu’elle veille comme une mère poule ses poussins : une vieille dame handicapée, menacée d’expulsion par l’un de ces bailleurs-voyous dont Marseille regorge ; une propriétaire-occupante qui s’est endettée pour faire les travaux nécessités par l’arrêté de péril frappant son immeuble, pourtant convoquée pour un rappel à la loi pour mise en danger d’autrui (« C’est tellement injuste. Le Parquet cherche-t-il à faire du chiffre en faisant cela ? »).

Autres exemples : un monsieur évacué, qui, rentrant enfin chez lui, s’aperçoit que ses affaires ont été jetées par un loueur indigne ; un couple qui obtient 15 000 euros de dommages et intérêts au tribunal, mais que l’avocate ne parvient pas à faire exécuter car la SCI n’existe plus ; cette jeune femme, évacuée elle aussi dans les jours qui suivent les effondrements de la rue d’Aubagne, qui a ensuite erré dans la ville avec son compagnon. À chaque cas évoqué, on sent l’avocate sincèrement émue. Un mot revient souvent : « Révoltant ».

 

 

« Le Printemps Marseillais est sur la bonne voie »
Chantal Bourglan, trente ans de lutte contre le mal-logement 4
À la pause, parce qu’il en faut, avec l’une de ses associées (DR)

Le refus de l’injustice est l’un des grands moteurs de cette Bretonne d’origine. Elle a fait ses premières classes d’avocate dans un grand cabinet parisien. Puis choisit de s’installer à Nanterre, où elle défend des personnes confrontées à une extrême pauvreté. Elle en ressort convaincue que la lutte contre l’habitat indigne est à la base de tout.

« Comment, dans un logement insalubre, et en sur-occupation, les enfants peuvent-ils réussir, leurs parents trouver un emploi ? Ce type d’habitat, on le sait bien, crée de la délinquance, les enfants sortent et sont rabattus par les dealers. Il y a aussi des problématiques sanitaires, avec de nombreux cas d’asthme et de saturnisme. Tout est lié ! » Quel avenir voit-elle, alors, pour le logement indigne à Marseille ? Surprise, l’avocate est -relativement- optimiste. Après des décennies d’immobilisme, Marseille serait en train de bouger. « Mais la tâche est abyssale », relativise-t-elle.

 

« Il faut plus de poursuites pénales »

« Les jeunes trouvent parfois qu’on ne va pas assez vite mais moi, je trouve qu’on respire et que cela va dans le bon sens », estime Chantal Bourglan. « Je ressens une nette amélioration avec la nouvelle municipalité. Il faut lui laisser du temps mais je pense que le Printemps Marseillais est sur la bonne voie. Selon moi, il faut aussi plus de poursuites pénales. J’ai parfois l’impression que les juges ne se rendent pas compte de ce qu’est le mal-logement. Il faudrait qu’ils aillent voir la réalité sur le terrain ». Justement, que pense-t-elle du procès du 21 juin, quand douze marchands de sommeil ont été jugés au pénal, une première à Marseille ? « J’espère que c’est un signal fort. Même si je trouve que le parquet a quand même mis du temps à réagir. Ceci dit, la nouvelle procureure a l’air décidée à s’y attaquer ». Si ça continue, maître Bourglan va peut-être même pouvoir partir à la retraite. ♦

 

Bonus
  • Une date – le 7 juillet 2021, donc aujourd’hui, la 6e chambre du tribunal judiciaire de Marseille rendra son jugement dans le procès de 12 marchands de sommeil (une première).  Certains risquent la prison ferme.

 

  • Un rappel – après le 5 novembre 2018, 500 immeubles ont été mis en arrêté de péril, plus de cinq mille personnes évacuées, la plupart relogées en hôtels de longs mois avant qu’une solution soit trouvée. « Tous ceux de la rue d’Aubagne ont été relogés, assure l’adjoint au maire en charge Patrick Amico. Mais il reste 1 474 personnes en logement temporaire. En cumulant logements indignes et si dégradés qu’ils ne trouvent pas preneurs, 110 000 bâtiments relèvent du mal-logement à Marseille. »