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Chouette Ensemble, boussole gourmande et solidaire pour de jeunes handicapés

Par Maëva Danton, le 31 décembre 2022

Journaliste

[fɛtɛs – Pendant la trêve des confiseurs, Marcelle vous propose un best of d’articles reliés par un fil rouge : le mot solidaire !] À Aix-en-Provence, le traiteur Chouette Ensemble qui met à l’honneur les produits locaux embauche des jeunes en situation de handicap. Retardé dans ses ambitions par le contexte sanitaire, il joue pour l’heure un rôle de passerelle avec le monde professionnel. Permettant à des stagiaires de tester leur appétence pour la restauration et de gagner confiance en eux. *

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Ses yeux clairs sont rivés à sa tâche. Entre ses mains gantées, une poche à douille remplie de houmous à la betterave sucrière, qu’il dresse dans un gobelet en plastique. Le geste est précis, net. Rien ne semble le perturber. Ni les portes qui claquent. Ni le masque qui obstrue son champ de vision. Pas plus que les rires des adolescents aux portes de la cuisine. Comme si sa toque et sa blouse noire formaient autour de cet adolescent une imprenable bulle. Olivier aura dix-huit ans dans quelques semaines. Il en avait huit quand il est arrivé ici, à l’Institut des Parons.

Cette imposante structure aixoise comprend, entre autres, un Institut médical éducatif (IME), un Établissement et service d’aide par le travail (ESAT) mais aussi cette cuisine où Olivier travaille quotidiennement depuis un an. « Au départ, je voulais m’orienter vers le bois. J’ai essayé, mais ça m’a dégoûté. Puis on m’a proposé de venir ici et d’avoir des responsabilités. Depuis ce jour, j’ai envie de travailler dans la restauration ». Si la cuisine de l’Institut l’a formé aux rudiments du métier, il a appris plus encore au contact de Raphaëlle Beyssac, fondatrice de Chouette Ensemble.

Brune aux cheveux noués sous une charlotte, cette quarantenaire est attentive à chacun des gestes de son stagiaire. Elle lui pose tout un tas de questions, avec toujours une certaine douceur. Elle l’interroge sur les aliments qui passent entre ses doigts, comme sur l’esprit de l’entreprise. « Tu te rappelles notre slogan ? ». Il réfléchit un instant mais ça ne lui revient pas. Elle lui souffle alors la réponse : « Bousculer tendrement par le goût ».

 

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En tenue de chef, Olivier est un stagiaire récurrent de Chouette Ensemble @MGP
Une formation auprès de Thierry Marx

Voilà un peu plus de deux ans que le projet lui trottait dans la tête. « Mon fils Hugo est un moit’-moit’ , dit-elle. C’est-à-dire qu’il n’est ni suffisamment handicapé pour intégrer un circuit d’accompagnement classique, ni suffisamment autonome pour mener une vie normale ». Elle songe alors à un emploi qui lui serait adapté, à lui comme à ceux qui lui ressemblent.

En parallèle de son emploi de support administratif, elle s’engage dans des études de gestion puis toque à la porte d’un chef qu’il n’est plus nécessaire de présenter : Thierry Marx. « Il avait ouvert une formation courte et gratuite qui était accessible aux personnes en reconversion ». À 46 ans, elle se lance et présente son projet. « Et là bingo ! Je suis acceptée ». Elle fait ses classes au sein de restaurants parisiens. Le Fulgurance puis le prestigieux Mandarin Oriental. « Cela m’a ouvert à de nouvelles associations de goûts ». Elle en tire une volonté de surprendre, à partir des produits d’un terroir provençal qu’elle chérit. Avec, bien sûr, l’ambition de donner du travail à des jeunes en situation de handicap.

 

L’Institut des Parons, là où le projet est devenu réalité

Pour mieux connaître ce public, elle écrit au directeur de l’Institut des Parons. « Depuis, il me permet de travailler en collaboration avec la cheffe de cuisine qui est aussi monitrice éducatrice ». Cette femme, c’est Murielle. Autour d’une assiette de cookies aux flocons d’avoine et au thé matcha, elle raconte son parcours.

« Au début, j’étais simple cuisinière, puis je suis devenue cheffe de cuisine pour tout l’établissement. Et il y a une dizaine d’années, j’ai suivi une formation de monitrice. Désormais, on a un atelier cuisine qui permet aux jeunes d’approcher en douceur le monde du travail. On prépare des gâteaux avec toutes les règles de sécurité et d’hygiène. Lorsque Raphaëlle est arrivée, ça m’a fait beaucoup de bien. Pour les jeunes d’ici, c’est une professionnelle hors de l’établissement, avec de vrais clients. Ils sont ravis de l’aider. Ils se rendent compte qu’ils font du bon travail. Cela leur donne le sentiment d’être capables. Ils prennent confiance en eux ».

Attentif derrière sa tasse de café, Olivier prend la parole et tente une synthèse : « En fait, vous êtes un binôme. Toi Murielle, tu nous prépares au monde du travail et toi Raphaëlle, tu nous y emmènes ».

 

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Au menu du jour : riz de Camargue aux amandes, courge confite et poulet au curry @MGP
Une passerelle vers le monde du travail

Si l’ambition de Raphaëlle était de créer 6 à 8 emplois pérennes dès 2020, le contexte sanitaire l’a obligée à revoir ses plans. À la place, elle a pris sous son aile une douzaine de stagiaires rétribués, leur offrant la possibilité de tester leur aptitude à travailler, de même que leur appétence ou non pour la cuisine. « On avait un jeune qui disait être intéressé par ce métier, raconte Murielle. Il a connu deux expériences en milieu ordinaire, cela a été une catastrophe. On s’est en fait rendu compte que cette envie de cuisine était plus celle de sa mère que la sienne. Alors on a retenté l’expérience avec Chouette ensemble. Cela a confirmé à tout le monde que ce n’était définitivement pas son truc. Il n’avait pas envie ».

Même quand la cuisine n’est pas une vocation, tout n’est pas perdu pour autant. « Malgré toutes les difficultés qu’ils rencontrent, quand ils enfilent leur tenue, ils adoptent une posture qui les sécurise et les valorise. Cela leur apporte aussi une rigueur car il ne faut pas louper la recette ni rater une cuisson ». Et Murielle de compléter : « Et même s’ils n’en font pas leur métier, cela leur servira au quotidien lorsqu’ils auront besoin de se faire à manger ». Les deux femmes se regardent, complices. Elles concluent que la cuisine est un terrain d’expression pour ces enfants et adolescents. D’autant plus lorsqu’ils sont atteints de troubles de la communication.

« J’ai une affection particulière pour les autistes et les dyspraxiques mais avec Chouette ensemble, je ne cible pas un handicap en particulier. Je veux que chacun prenne du plaisir différemment en fonction de sa situation ».

 

[lire aussi notre article sur l’Oiseau Rieur, restaurant qui emploie des jeunes porteurs de trisomie 21]

Chouette ensemble, boussole gourmande pour des jeunes en situation de handicap 1
Raphaëlle et Olivier offrent des coffrets gourmands aux soignants d’un hôpital aixois. Une fierté pour le jeune homme. @Raphaëlle Beyssac
La qualité comme gage de pérennité

Pour les y aider, elle a d’abord fait le choix d’une structure « légère », avec des activités qui se répartissent entre l’Institut des Parons et un petit local loué à Peyrolles, tout près d’Aix-en-Provence. « Je veux être prudente avant d’embaucher. Il s’agit de personnes déjà abîmées par la vie. Il faut sécuriser ».

Malgré le contexte, Chouette ensemble est parvenue à convaincre une clientèle faite de petites entreprises et d’associations. À terme, l’ambition est de mettre en place un système de parrainage. « De grosses entreprises contribueraient de manière un peu plus importante pour offrir des repas à de petites associations ». Et pour se distinguer des nombreux autres traiteurs du territoire, Raphaëlle Beyssac mise avant tout sur l’originalité dans l’assiette. « Je n’ai pas envie d’être identifiée uniquement comme un traiteur qui fait travailler des personnes handicapées. Le goût doit être le marqueur. C’est de la qualité que viendra notre pérennité ». D’où le choix d’un approvisionnement auprès d’agriculteurs et d’artisans locaux, dont les produits font ensuite l’objet d’associations destinées à surprendre.

 

Une économie circulaire autour du handicap

Pour passer un nouveau cap et gagner en notoriété, la patronne de Chouette ensemble entend s’associer à d’autres acteurs partageant les mêmes valeurs. Elle imagine toutes sortes de pistes, notamment une cantine d’entreprises ou un partenariat avec un Ehpad. « Une consommation sur place nous sécuriserait ». L’entreprise solidaire et sociale pourrait aussi quitter Aix-en-Provence et rejoindre, pourquoi pas, Marseille. « Il s’y passe beaucoup de choses. Je suis très motivée par les aventures comme l’Épopée » (un tiers lieu qui doit voir le jour cette année dans d’anciens locaux de Pernod-Ricard). Elle aimerait aussi travailler avec un ESAT pour la confection des emballages. « Je pense qu’il y a du potentiel à développer une économie circulaire autour du handicap ».

Elle lorgne par ailleurs du côté des chefs, soucieuse de bâtir des passerelles entre eux et les jeunes qu’elle accompagne. « La restauration est un métier dur, ce qui implique beaucoup d’appréhension à intégrer le handicap. Mais les choses changent. De plus en plus d’établissements s’y intéressent ». D’autant qu’elle est convaincue du potentiel des jeunes qu’elle croise chaque jour ici, à l’Institut des Parons notamment. « Ce sont des gamins hyper bien formés, qui portent des valeurs de respect et d’entraide qu’on ne trouve pas toujours dans les grands restaurants où les coups fourrés sont fréquents. Je suis enthousiaste à l’idée de toutes ces choses que l’on peut faire grâce à ces talents de l’ombre qui ont de vraies valeurs ». Et faire de leurs fragilités une force, pour le bonheur de nos papilles. ♦

*article publié originellement le 27 janvier 2021

 

Bonus
  • Financements du projet – Pour financer ses activités, Chouette ensemble a bénéficié d’une importante aide à la création par l’IRCE (Institut régional des chefs d’entreprises), l’Institut l’ayant aidé à mettre sur pied son projet et à affirmer son identité d’entreprise de l’Économie sociale et solidaire. Elle a par ailleurs bénéficié de fonds privés dans le cadre d’un plan de revitalisation de Coca-Cola.

À terme, elle pourrait demander des aides publiques ainsi qu’un agrément Entreprise adaptée. « Cela permet aux entreprises qui embauchent au moins 80% de personnes handicapées de bénéficier d’allègements de charges », explique Raphaëlle Beyssac. De quoi pallier les frais liés à une organisation différente pour s’adapter au handicap de chacun.

 

  • L’Institut des Parons – Fondée en 1963, cette association accueille, éduque, forme, héberge et soigne toute personne handicapée mentale ou dépendante à tous les âges de la vie. Plus d’infos par ici.

 

  • La formation de Thierry Marx : Cuisine mode d’emploi – Fondée en 2012, cette école propose à des personnes plus ou moins éloignées de l’emploi des formations gratuites en boulangerie, cuisine, service de restauration et produits de la mer. Au terme d’un parcours de onze semaines, les apprentis obtiennent un diplôme reconnu par l’État et la branche professionnelle. Avec de bons résultats puisque 90% des stagiaires ont trouvé un emploi.