Fermer

Cinéthique sur la fin de vie, le debrief

Par la rédaction, le 29 mars 2023

© Films du Losange

[bref] C’était hier soir à Marseille, au cinéma Les Variétés : un Cinéthique sur la fin de vie, autour du film de Mia Hansen-Løve, Un beau matin. Avec l’AP-HM, l’Espace Éthique Paca-Corse et Marcelle.

 

Le thème central de ce film touchant et très personnel est ce moment-pivot où une personne atteinte d’une maladie neurodégénérative n’a plus les capacités de décider – où vivre, comment – et perd pied avec la réalité et avec les siens.
Ainsi de Georg Kienzler, ancien agrégé de philosophie atteint du Syndrome de Benson, magnifiquement interprété par Pascal Greggory. Sa fille Sandra (Léa Seydoux) se trouve alors confrontée à de douloureuses questions relevant de l’affect (que faire de ses livres, de ses biens, dans quel établissement le placer) comme du matériel (organiser son quotidien autour des visites tout en s’efforçant de bâtir sa vie). Un portrait qui en filigrane pose la question du répit des aidants.

À l’issue de la projection, les différentes thématiques qui traversent le film ont été commentées par François Crémieux, directeur de l’AP-HM (Assistance publique des hôpitaux de Marseille), Marc Rosmini, agrégé de philosophie (auteur de Cinéma et bioéthique) et le public !

 

Sur la maladie et la double peine des proches
Cinéthique, retour sur image 1
Nathania Cahen, Marc Rosmini et François Crémieux ©DR

François Crémieux a de prime abord souligné que ce film est un hommage que la réalisatrice rend à son papa (mort du Covid en Ehpad -NDLR) qui au début de sa maladie avait tenu un carnet de notes, Voyage en maladie rare. « L’un des éléments marquants de ce film que j’ai vu trois fois est qu’il est incroyablement ancré dans la réalité ». Il mêle les sentiments qui accompagnent la perte et le départ progressif de ce monsieur. Mais ce n’est pas une histoire négative. Il y a aussi des retrouvailles entre mère et filles, entre sœurs, des Noëls. Ce ne sont pas des histoires simples, binaires, mais complexes et multiples.

Pour Sandra, il y a aussi la vie de tous les jours, rythmée par sa fille, l’école, le travail et son amoureux. La maladie marque et, en même temps, n’emporte pas tout . Il y a les retrouvailles, la vie de cette enfant.

Marc Rosmini confirme : « La maladie n’emporte pas tout, même si c’est une maladie particulière qui affecte même le langage. C’est plus un film sur un aidant, une fille. On ne voit jamais Georg tout seul. Cette maladie interroge, il y a un effet miroir dans la famille, mais avec nous aussi ; ce pourrait être nous ».

Le film montre comment une communauté humaine, deux filles, une compagne, une ex-femme, travaillent à reconstruire du sens, trient et rangent les livres pour prolonger un élan de signification. Il y voit aussi une dimension politique, sur la dignité et comment notre société peut accueillir l’extrême fragilité.

 

♦ Relire notre article : Débat sur la fin de vie et paroles de psy

 

Sur la présence de vrais pensionnaires d’Ehpad et de vrais soignants, filmés dans des établissements parisiens.  

François Crémieux pointe que les lieux filmés disent implicitement le pire. Mais l’appartement, lumineux, est aussi une prison car Georg ne pouvait plus rien faire seul. L’aide-soignante antillaise fait remarquer que Sandra pourrait emmener son père aux toilettes. Un des sujets de culpabilité.

Marc Rosmini. « Cela interroge le consentement et l’autonomie ».

François Crémieux. « Le mot Ehpad va disparaître de notre vocabulaire. Foucault parlait d’hospice. Il y a ensuite eu maison de retraite. Et puis le mot Ehpad est devenu à son tour insupportable, le livre Les fossoyeurs va tuer le mot. La question de la dénomination va se poser. Pour continuer à faire la même chose mais dans des conditions meilleures je l’espère.

Sur l’euthanasie : il y a un moment où Sandra fait promettre à son amoureux de l’aider à partir si une maladie similaire la touchait…

C’est là, pour François Crémieux, un échange très important dans ce film, logique : la question du rôle des autres, de la loi, de la position des professionnels de santé et de la famille. La question va se poser à un individu dans un collectif. Pas seul. Mais le film n’est pas un débat sur l’euthanasie. Si le père perd la tête, il n’en fait en revanche jamais la requête.

Marc Rosmini (qui suggère la lecture de l’ouvrage de Claire Marin, La maladie, catastrophe intime).  « Cela renvoie à la question du sujet. À quel moment n’est-on plus soi-même ? Soit la maladie porte atteinte à moi ou au contraire la maladie ne vient que révéler une fragilité de l’identité. Est-ce que nous maîtrisons notre pensée, nos choix ? Quel est vraiment le moment où je suis vraiment moi ? Est-ce que l’identité est quelque chose de fixe, un vrai moi ou bien passe-t-elle par des états différents ?

 

Du côté du public…

Un spectateur évoque le cas d’une dame atteinte d’Alzheimer au début de 2000. D’abord dans un Ehpad, assommée de médicaments, elle devient grabataire. Son fils Jean décide de la prendre en charge complètement, l’entoure d’un médecin et une tibétaine. Petit à petit, Flore se remet à bouger, réagir. « Cela demande des moyens considérables, mais à partir du moment où on considère l’individu comme un sujet, on change complètement la relation ». Dans le sillage de cette expérience, un DU « Art du soin en partenariat avec le patient » a été créé à Nice.

Une assistante sociale en pédiatrie à l’hôpital de la Timone remarque que le film est très bien fait, très idyllique au niveau de la famille. « Dans les faits, on est confronté au quotidien à une scission au sein des famille face à la maladie. Elles se déchirent sur les décisions à prendre et les sous. Des patients restent à l’hôpital car les enfants ne veulent pas d’Ephad alors que le maintien à domicile est impossible ». Marc Rosmini évoque les directives anticipées. Encore que se pose toujours ici la question de la lucidité.

Une spectatrice présente dans la salle a accompagné sa mère, placée en Ehpad pendant cinq ans. Elle souligne l’importance d’entourer, soutenir, avoir un geste, embrasser. « On a l’impression qu’il est plus facile de ne plus venir que venir ».

La question est notamment celle des moyens dégagés pour les soignants. Et pour les aidants car Sandra est épuisée, de plus en plus vidée, cernée. Sa vie ressemble à des montagnes russes. Cela pose la question des séjours de répit, de comment redonner du souffle aux aidants.

François Crémieux conclut sur les Ehpad : pour qu’ils aillent mieux, il faut valoriser le salaire des soignants mais aussi la représentation sociale du métier de soignant. ♦

YouTube player