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Mieux que le foyer, la coloc entre sans-abri et jeunes actifs

Par Marie Le Marois, le 20 décembre 2018

Journaliste

Franchement, vous habiteriez, vous, avec un SDF ? Il y a quand même un risque, non, qu’il vous pique vos affaires ou déclenche une baston ? Une colocation classique n’est déjà pas évidente, mais avec des personnes si différentes, est-ce possible ? Avec ses quatre ans d’existence Porte d’Aix, à Marseille, la Maison Lazare dépasse les préjugés : la colocation solidaire, entre jeunes actifs et personnes de la rue, est non seulement possible mais durable. J’ai partagé leur dîner chaleureux un mardi glacé de décembre.

 

Un étroit escalier mène au salon, réuni à la salle-à-manger. Une douce odeur de légumes embaume la cuisine. Soupe de potiron et pâtes carbonara. C’est Pierre-Emmanuel, 24 ans, qui prépare le dîner. Il recherche un emploi dans la finance tout en assumant son rôle de responsable de la coloc’. Dans la pièce commune, un mur constellé Mieux que le foyer, la coloc entre sans-abris et jeunes actifs 1de photos affiche des visages souriants, pleins de vie. Fabio, un italien de 50 ans passé par la rue, me les montre une à une. Ce sont les jeunes actifs passés par la maison depuis sa création, en 2014.

On les appelle les ‘’Volontaires’’, tandis que les personnes sans logement sont les ‘’Accueillis’’. « On n’aime pas faire la différence. Dans l’appart’, on est tous coloc’ », insiste Guillaume, ingénieur en bâtiment de 30 ans resté une année dans la maison avant d’en partir pour se marier.

Dans les faits, il n’y a effectivement aucune différence entre eux. Pas de hiérarchie. Ils sont assujettis aux mêmes droits et devoirs. Chacun a une chambre individuelle et l’accès aux mêmes espaces cuisine, salon et sanitaires. La location est fixée à 300€, la participation aux courses à 70€ et le quotidien est régi par un règlement intérieur très strict.

Raconté comme ça, on pourrait croire à une colocation lambda. Or, il n’en est rien : la Maison Lazare est animée d’un surplus d’âme très particulier : la fraternité. Bienveillance, écoute et tolérance. Chacun reçoit et donne autant.

Neuf colocations Lazare

Le projet Lazare, initié en 2006 à Paris par deux jeunes chrétiens – Étienne Villemain et Martin Choutet -, porte une idée simple : si les personnes sans domicile fixe ont besoin d’un toit, elles ont aussi besoin de relations

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Lazare Nantes -Appartement des femmes. Mars 2017 –

humaines. Un tremplin qui les aide à se reconstruire, un cadre de vie qui les aide à se relever. 40% des accueillis ont retrouvé un emploi après être passés par les Maisons Lazare.

Aujourd’hui, il en existe sept en France – Lyon, Nantes, Marseille, Toulouse, Angers, Lille, Vaumoise (dans l’Oise) – plus Madrid et Bruxelles.

Ce sont toujours des appartements non mixtes où peuvent cohabiter de 6 à 10 personnes. Certaines Maisons Lazare possèdent un ou plusieurs appartements indépendants, pour les femmes, les hommes et parfois les familles.

Les personnes accueillies sont orientées par des associations spécialisées qui s’engagent à poursuivre leur accompagnement social (démarches administratives, recherche d’emploi…). Les volontaires ont environ entre 25 à 35 ans et suffisamment de maturité pour vivre une telle expérience. Ils s’engagent à être présents et disponibles à l’appartement. L’un d’entre eux est responsable de la colocation. Il veille au bon fonctionnement de l’appartement, au bien être de chacun et à nourrir les liens.

 « Plus convivial que l’accueil de nuit »

Mieux que le foyer, la coloc entre sans-abris et jeunes actifs 3Sur un autre mur de la Maison Lazare Marseille, les prénoms des colocataires sont inscrits en face des tâches à accomplir : laver salle-à-manger, escalier, cuisine ou salle-de-bain. Les chambres, trois par étage, dépendent de la responsabilité de chacun.

À côté du tableau des tâches, on peut lire la liste des courses : produit ‘’sols’’, savon noir, Nesquik… « On achète au fur et à mesure », explique Alain, dit aussi ‘’Papy’’. Un surnom lié à son âge – 72 ans – mais aussi à son ancienneté.

Il vit ici depuis trois ans. « Avant j’étais dans la rue. J’ai connu cet endroit par le réseau des assistantes sociales. Il y a une bonne ambiance, des jeunes. C’est plus convivial que l’accueil de nuit (NDLR : centres d’hébergement d’urgence) et être ensemble remonte le moral que d’être tout seul dans la rue », confie-t il avec son léger accent belge. Et Pierre-Emmanuel de le charrier : « Surtout quand c’est moi qui cuisine ! ». Papy rétorque que c’est lui, le spécialiste de la cuisine – bœuf bourguignon, lapin à la moutarde – « je sais tout faire, même la cuisine chinoise. D’ailleurs les pâtes de Pierre-Emmanuel n’ont pas été cuites dans assez d’eau », constate-t-il.

Le passé de chacun est respecté

Mieux que le foyer, la coloc entre sans-abris et jeunes actifs 4Tatouages sur les bras et sourire discret – quelques dents lui manquent -, Papy raconte avec humour qu’il ne veut pas paraître en photo car il est recherché par Interpol.

Fabio, lui, reste sérieux : il ne souhaite pas être reconnaissable, pour éviter que sa famille le retrouve. Il raconte avec son accent italien très prononcé, qu’il passe beaucoup de temps à la Bagagerie, un espace de partage pour les sans-abris. Il y donne un coup de main en échange d’un casier dans lequel il laisse des affaires « au cas où un jour je quitte la Maison Lazare ». Chez Lazare, on ne pose pas de question. Le passé de chacun est respecté.

Le même règlement intérieur pour tous

Pierre-Emmanuel apporte la soupe. Les convives, debouts jusqu’à présent, s’assoient dans un même souffle et récitent un bénédicité. Le seul signe religieux. Enfin presque. Les ‘’Volontaires’’ se sont engagés à participer aux Mieux que le foyer, la coloc entre sans-abris et jeunes actifs 5Laudes tous les matins, la prière chrétienne du lever du soleil. « Dans le projet Lazare, cette prière nourrit la journée », détaille Guillaume.

Les jeunes s’y prêtent de bonne grâce (en râlant un peu parfois) mais heureusement, elle n’est pas trop tôt (mais à 7 h 30 tout de même !) et ne dure pas longtemps.

Dans le règlement intérieur, il y aussi les services obligatoires et le dîner du mercredi. « On y aborde tous les sujets qui portent sur la coloc’, les tâches, problèmes d’entretien… Ou tout simplement, on partage un moment convivial, raconte Guillaume. S’il n’y avait pas ce repas imposé, tout le monde se croiserait ».

Car ‘’Volontaires’’ et ‘’Accueillis’’ ont une vie à côté, des amis à voir, des activités, un boulot qui se finit parfois tard. C’est le cas de Vianney, 26 ans, qui travaille dans une entreprise de travaux maritimes à Cassis. Il est arrivé mi-octobre à Marseille. Il ne connaissait personne. Il a connu la  Maison Lazare à Marseille par celle de Nantes dans laquelle il a des amis.

Une colocation qui reste fragile

Dans le règlement encore, il est interdit de consommer de l’alcool et de faire preuve de violence verbale ou physique. Sous peine d’exclusion immédiate. Les règles de vie peuvent paraître rigides mais elles forment l’ossature de cette colocation fragile. Car elle n’est pas exempte de problèmes : « Les coloc’ qui ne veulent pas faire leur tâche, qui ne communiquent pas, qui s’absentent plusieurs jours de suite (donc difficile de créer du lien)… », énumère Guillaume, responsable de la colocation en 2014-2015.

Le pire ? Les coloc’ qui refusent ou ne peuvent pas payer le loyer. « J’ai fait l’erreur d’accueillir un peu vite des personnes non-accompagnées par les services sociaux ». Il s’est donc retrouvé face à des personnes qui ne bénéficiaient ni du RSA, ni de l’aide au logement. Or, la mission des ‘’Volontaires’’ n’est pas de se soustraire aux assistantes sociales. « J’ai eu droit au chantage affectif, aux menaces de suicide. Je me suis souvent senti seul face aux difficultés du quotidien ».

Les failles ont depuis été bétonnées, la maison structurée. Plusieurs mesures ont été prises pour épauler le responsable de la colocation.

Conseil des sages

Un conseil des sages prend en charge les problématiques rencontrées. Il est formé de professionnels – assistante sociale, médecin, prêtre, responsable de la Fraternité Bernadette – lieu d’accueil pour les familles dans les quartiers Nord.

Un responsable de Maison assure les demandes des colocataires, l’entretien d’entrée, leur accompagnement…. Guillaume et sa femme ont accepté cette mission en septembre avec un autre couple. Ils s’attachent déjà à développer le contact avec les assistants sociaux pour recevoir uniquement les ‘’Accueillis’’ déjà épaulés. Un week-end par an, ils retrouvent tous les responsables de maison et de colocation en France pour échanger expériences et bonnes pratiques.

Un nouvel élan

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Papy compte plus de 15 coloc’ différents en trois ans.

La clé de voute de la colocation repose sur l’équation un Accueilli pour un Volontaire. Or, le turn-over de ces derniers est important, le plus souvent pour des raisons professionnelles ou familiales.

À Marseille, ils ne sont plus que six (3 +3) alors que la maison était pleine il y a deux mois. Vianney part en février travailler à Montpellier et Pierre-Emmanuel, cherche tous azimuts un emploi dans la finance en France. Selon Guillaume, une solution serait d’emménager dans une plus grande maison pour créer un appartement femme et un autre homme. Et attirer ainsi plus de monde. « Il y aurait plus d’émulation, de dynamisme. Il suffit de trois absents pour que l’ambiance peine ».

Et pourquoi pas aussi un appartement ‘’famille’’. Le jeune homme se verrait bien y vivre avec sa femme et son fils, Paulin, dont Papy demande régulièrement des nouvelles. Dans l’immédiat, Guillaume et ses coresponsable lancent dès le 4 janvier les apéro partagés de la Maison Lazare : chaque premier vendredi, toute personne désireuse de connaître cette incroyable colocation pourra venir. L’hospitalité est au cœur du projet.

Notre dîner se termine avec une délicieuse tarte aux pommes. Vianney se dévoue pour la plonge. Ici, pas de lave-vaisselle ni de télé. Toujours dans l’optique de favoriser la convivialité. D’ailleurs, les coloc’ jouent souvent ensemble après le dîner, aux cartes ou aux dés. « Le grand jeu de ‘’Papy’’, c’est le tarot mais il est un peu fort pour nous », sourit Pierre-Emmanuel. Guillaume rentre chez lui, dans les quartiers sud. En partant, il annonce qu’il viendra passer Noël à la Maison Lazare avec sa femme et son fils.

 

Bonus

  •  Les besoins : Une maison suffisamment grande pour créer deux appartements, avec un extérieur pour partages des bons moments.
  • Vous pouvez faire un don, rejoindre la maison, orienter une personne ou tout simplement donner un coup de main. Guillaume et Manon Tracqui : 06 75 58 31 16 Henri et Anne Rose : 06 28 09 99 68 ou marseille@lazare.eu
  • Pourquoi Lazare ? Lazare, c’est le pauvre de la parabole qui se trouve exclu de la maison du riche. Cette histoire veut nous montrer que par cette rencontre, on grandirait en humanité. L’association Lazare s’est profondément inspirée de Jean Vanier, fondateur des Communautés de l’Arche (http://www.arche-france.org/).

Lazare Marseille a été créée par des jeunes bénévoles des Amis de la gare. Une association qui offre une collation chaque jeudi aux sans-abris à la Gare Saint Charles. Ils ont rencontré le fondateur des Maisons Lazare venu témoigner. Emballés par le projet, ils ont souhaité dupliquer le projet à Marseille et sollicité le Diocèse qui leur a proposé cette maison Porte d’Aix.

Loïc Luisetto, nouveau responsable de l’association Lazare France, aime beaucoup la devise de l’association Lazare ‘’Vous n’êtes pas appeler à réussir, mais à être fidèle’’ car elle les invite à reconsidérer la réussite. « Lorsque nous accueillons des personnes, nous ne cherchons pas à les amener directement au sommet de la montagne –Gloire à Dieu toutefois s’ils y parviennent ! Nous cherchons à leur demeurer fidèles, en vérité. Antoine, mort d’overdose, avait 28 ans, avait quitté quelques mois auparavant notre colocation. À vue humaine, nous n’avons pas réussi mais je crois que nous lui avons été fidèles jusqu’à son dernier hommage, et c’est ce que le Christ nous demande ».