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Un verger conservatoire pour préserver les variétés anciennes de fruits

Par Marie Le Marois, le 22 juin 2022

Journaliste

Collection de Cerisiers ''Grappe d'or'' @Marcelle

Savez-vous qu’il existe plus de 600 variétés de figues et environ 7500 de pommes ? Pour préserver ce patrimoine, La Thomassine rassemble une importante collection de fruitiers anciens dans les Alpes-de-Haute-Provence. À l’heure du dérèglement climatique, elle est une banque précieuse pour les arboriculteurs qui peuvent y piocher des variétés adaptées.

 

Dans les collines de Manosque, si chères à Jean Giono, jaillit à l’extrémité d’une route tortueuse le paradis des fruitiers. 28 variétés de figuiers, 60 de pommiers, 73 de poiriers, 80 de pêchers, 70 d’oliviers, une trentaine d’amandiers, « mais aussi des abricotiers, des cerisiers… », égrène Mohamed Nahal, chapeau vissé sur la tête et verbe enthousiaste . 

Le chargé d’accueil et animateur de La Thomassine (voir bonus) en raconte l’origine. Le Parc du Luberon avait effectué l’inventaire de son patrimoine fruitier dans les années 90 et recensé une cinquantaine de variétés. Lesquelles ont été implantées dans le site magnifique de La Thomassine, lieu-dit qui a donné son nom à la source éponyme (voir bonus).

 

♦ Autres conservatoires d’envergure : le Conservatoire Végétal Régional d’Aquitaine (CVRA) et le Centre régional de ressources génétiques (CRRG) dans les Hauts-de-France. D’autres ici

 

Une diversité considérable

Mohamed Nahal
Mohamed Nahal, chargé d’accueil et animateur de La Thomassine

Au fil des années, la collection du conservatoire s’est enrichie, grâce aux dons du Parc du Verdon qui prélève des variétés chez les particuliers. Ceux des Croqueurs de pommes Provence et de l’Institut de recherche agronomique (INRA) de Montfavet (Vaucluse) pour les pêches.

D’autres associations participent, comme Pistache en Provence qui a offert en mars 2021 une collection de sept variétés de pistachiers (voir bonus). Aujourd’hui, La Thomassine compte 2000 arbres déclinés en 420 variétés, répartis sur neuf hectares.

 

Variétés d’ici et d’ailleurs

Provencale rouge d'hiver
 »Provencale rouge d’hiver » @ PNRL

Certaines variétés sont régionales, originaires et cultivées par le passé en région PACA, comme la pomme ‘’Provençale rouge d’hiver’’, la pêche ‘’Sanguine de Manosque’’ ou la prune ‘’Perdrigone’’ à l’origine des fameuses pistoles. 

D’autres variétés sont  »d’intérêt régional ». C’est-à-dire que, sans être originaires de la région, elles ont eu un intérêt économique sur ce territoire, comme c’est le cas de la « pêche de Nancy ». 

Toutes sont cultivées en agriculture biologique, avec peu de traitements (voir bonus) et sans produits chimiques de synthèse. Elles sont par ailleurs toutes ‘’anciennes’’.

 

 

Qu’est-ce qu’une variété ancienne ?

Mathias Meignan
Mathias Meignan, coordinateur La Thomassine @PNLR

Les variétés anciennes sont « des variétés sélectionnées et domestiquées depuis la naissance de l’agriculture », décrypte Mathias Meignan, coordinateur La Thomassine. Certaines sont le fruit d’une hybridation, créée par l’homme, mais, à la différence des variétés modernes, « il n’y a pas eu d’intervention génétique, en laboratoire ».

Ces variétés anciennes, adaptées au terroir, ont existé pendant « un certain temps ». Avant d’être mises de côté par l’agriculture moderne, plus productiviste et standard, avec des critères qui correspondaient davantage à la demande des consommateurs : fruits calibrés, pas piqués… « Avec cette agriculture, on a perdu en richesse et en diversité », se désole ce passionné. Un exemple ? Sur environ 7500 variétés de pommes, seulement quatre ou cinq sont consommées.

Sauvegarder un patrimoine

''Pointue de Trescleoux''
 »Pointue de Trescleoux » @ PNRL

Ces variétés anciennes étant moins utilisées, voire plus du tout, elles commençaient à disparaître. Or, « lorsqu’une disparaît, ce peut à jamais ». La Thomassine sauvegarde ce patrimoine en multipliant les fruitiers par greffage, puis implante trois plants par variété. « C’est la règle car si deux meurent, il en reste toujours un ».

Le conservatoire dissémine le reste dans des ‘’vergers villageois’’, sur des terrains communaux. Dans des ‘’vergers paysans’’, chez les agriculteurs. Et même dans des écoles, à Manosque et Limans.

 

Les identifier

La Thomassine
Vue aérienne de La Thomassine @PNRL

La Thomassine cultive parfois des pommiers dont le nom est erroné ou inconnu. La ‘’Corneille de Lubéron’’ s’est avérée être la ‘’Jacques Le Bel’’. En ce moment, le conservatoire cherche le nom d’une pomme violette et d‘une jaune striée de rouge, surnommée pour l’instant ‘’Jasmin’’.

Il utilise sa description – taille, couleur, goût – pour retrouver son nom sur le catalogue « Et si on ne trouve pas, on procédera à son génotypage », sourit Mohamed Nahal, salarié depuis 25 ans. L’échantillon d’une feuille est envoyé à l’INRA qui va procéder à son analyse génétique et la comparer avec d’autres.

 

 

Mener des recherches

Figues
Figues @Marcelle

Outre la sauvegarde d’un patrimoine génétique, l’intérêt de ce conservatoire est de posséder des collections au même endroit. « Ce qui permet des travaux de recherche et de comparaison », souligne Mathias Meignan. Et d’ajouter : « Comme elles sont cultivées dans les mêmes conditions de sol et de climat, on peut comparer entre les variétés la période de floraisons, la productivité mais aussi la résistance aux maladies… ».

Pour ce dernier cas, l’équipe collabore depuis six ans avec le Groupe de recherche en agriculture biologique (GRAB) qui siège à Avignon (voir bonus). Des chercheurs viennent sur place observer sept espèces (abricotier, amandier, cerisier, pêcher, poirier, pommier, prunier) et identifier leur sensibilité aux bioagresseurs. Cette année, ils scrutent de près les abricotiers, tous tombés malades.

 

Accompagner les arboriculteurs

Un conservatoire de vergers anciens 7
Visiteurs @PNRL

Ce site d’observation est précieux pour les arboriculteurs qui doivent faire face à une multiplicité croissante de difficultés, fragilisant la filière. Il est également utile pour ceux qui souhaitent diversifier leur production. Mais aussi pour les jeunes qui s’installent.

En effet, le conservatoire est à même de conseiller l’arboriculteur en fonction de ses particularités. La composition de son sol (matière, texture, structure), la topographie et l’hydrographie de son terrain.

 

♦ Ouverture de La Thomassine au public en juillet et août du mercredi au samedi, de 9 h à 18h, visite guidée à 10h30. 

 

Une banque précieuse

Un conservatoire de vergers anciens 11
Le domaine conserve 61 variétés de pommes. @Marcelle

À l’heure du dérèglement climatique, il peut trouver des variétés adaptées, par exemple, aux gelées tardives « qui ont fait beaucoup de dégâts l’année dernière ». Il existe en effet des variétés aux floraisons tardives. C’est notamment le cas de l‘’Api étoilée’’, « une pomme magnifique qui se conserve longtemps et s’accrochait autrefois sur le sapin de Noël ». 

Enfin, des espèces adaptées au réchauffement climatique, telles que pistachier, jujubier, néflier et grenadier. Car elles résistent mieux à la sécheresse.

« Le conservatoire est une boutique génétique », résume Mathias Meignan. Et de conclure « on cultive les fruits d’hier pour l’agriculture de demain ».

 

♦ La Thomassine et le Grab étudient, avec d’autres partenaires, environ 200 variétés et détaillé leurs caractéristiques sur Fruinov.

 

Sensibiliser le public 

cerises ''Grappe d'or''
Marlène goûtant les cerises  »Grappe d’or » @Marcelle

La Thomassine distribue des greffons aux pépiniéristes et aux passionnés qui savent greffer, afin de les reproduire chez eux tout en conservant leurs caractéristiques.

Le conservatoire propose par ailleurs des formations pour maîtriser l’entretien, la fertilisation, la taille et le greffage.

La vocation du parc est enfin de sensibiliser le public et particulièrement les enfants à la richesse des variétés anciennes. Elle organise des visites, fait découvrir des fruitiers méconnus. Et propose de goûter ses fruits cueillis sur l’arbre. Des merveilleux fruits savoureux et juteux qui se dégustent à pleine bouche. ♦

 

Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

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Bonus

[pour les abonnés] La Thomassine en chiffres – Ses mines d’eau – Sa collection des pistachiers – Ses traitements – Les pépiniéristes de vergers anciens dans le Sud –

  • Le domaine de La Thomassine mesure 90 hectares : 80 hectares de forêt méditerranéenne et 10 hectares d’arbres fruitiers. Ces collections, ouvertes au public, existent depuis 1997. Propriété de la ville de Manosque, la Thomassine est gérée par le Parc naturel régional du Luberon et emploie cinq personnes. Le budget annuel de fonctionnement, environ 200 000 euros, est financé par les cotisations des collectivités adhérentes au Parc, des subventions et, dans une moindre mesure, la vente au grand public des fruits et légumes lors des récoltes, et des produits transformés (jus de pomme).

À noter : la Journée des fruits et ses saveurs d’autrefois en décembre avec des pépiniéristes qui vendent des semences anciennes.

La Thomassine, c’est aussi des rosiers, un potager et un rucher-école Am’Api 04 d’une quarantaine de ruches

 

  • Mines d'eau
    Mine d’eau La Thomassine

    Mines d’eau. Le domaine recèle trois mines d’eau. Ces galeries creusées dans la roche et légèrement inclinées servaient à capter l’eau dans la nappe phréatique, au cœur de la montagne. Elles ont alimenté, pendant 400 ans, la ville de Manosque en eau potable. La plus ancienne, celle de la Thomassine, fut construite en pierre maçonnée, dès 1517 et mesure 70 mètres de long.

 

  • La création de la collection des pistachiers, offerts par l’association Pistache en Provence et le Fonds Épicurien Provence, s’inscrit dans le cadre du projet Feader  »Pistache et Diversification », mené notamment par plusieurs chambres d’agriculture de la région et l’INRAE.

 

 

  • Traitements : Les jardiniers de La Thomassine utilisent peu de traitements. « Notre but n’est pas la production, surtout on cherche à savoir comment les arbres résistent naturellement aux agresseurs », précise Mathias Meignan. Les traitements sont biologiques : le cuivre utilisé contre les champignons, le Bacillus thuringiensis (Bt) – une bactérie – contre la chenille. Et des diffuseurs d’hormones afin de provoquer une confusion sexuelle chez les vers de la pomme (carpocapses).

 

  • Pépiniéristes de vergers anciens dans le sud :

    Un conservatoire de vergers anciens 9
    Potager, collection de poivrons en 2022, tomates en 2021 @Marcelle

    Pépinière Jabouin
    Christophe DELAY
    Pépinière Tutti Frutti
    La Coccinelle en Luberon
    Arbres de Provence
    Les Aromatiques du Luberon
    Pépinière de la Bendola
    Pépinière de Haute-Provence
    Natura Scop
    Pépinière Figoli
    Pépinière Cols Verts
    Le potager d’un curieux
    Jardins du Largue
    Potage et Gourmands