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La contraception est aussi une affaire d’hommes

Par Agathe Perrier, le 11 janvier 2023

Journaliste

Alors que dans les couples la contraception est majoritairement assumée par les femmes, les mentalités évoluent. De plus en plus d’hommes veulent à leur tour s’en charger, seuls ou en complément de leur partenaire. Et optent souvent pour des méthodes non reconnues, malgré des études prouvant leur efficacité. Entre idées reçues, méfiance, tabou – du grand public comme du corps médical – se contracepter est un chemin semé d’embûches pour ceux qui veulent sauter le pas. Mais n’est pas impossible et facilité aujourd’hui par une ouverture d’esprit sur ce sujet, particulièrement des jeunes.

 

En France aujourd’hui, la pilule est le moyen de contraception le plus utilisé par les femmes (36,5% des 18-49 ans), suivi par le dispositif intra-utérin (DIU, plus connu sous le nom de stérilet, 25%) (bonus). Et qu’en est-il des hommes ? Impossible de le savoir : aucune enquête ne leur est dédiée. « La contraception est encore considérée comme relevant et devant être prise en charge quasi uniquement par les femmes », pose Olivier Foucaut, délégué « prévention promotion de la santé » au sein d’Entrain, une mutuelle de cheminots. L’organisme en a fait le sujet d’une table ronde destinée à ses administrateurs en décembre dernier. Objectif : provoquer le débat pour faire évoluer les choses. Un combat commun à de nombreux acteurs et militants pour tendre vers plus d’égalité entre femmes et hommes.

 

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La méthode thermique consiste à faire remonter les testicules dans l’aine afin de les maintenir au chaud et bloquer la spermatogénèse, via par exemple un slip contraceptif © Bobika, auteur de la BD Le coeur des Zobs

Contraception masculine, ce qui existe


L’histoire partait plutôt bien puisque l’un des premiers dispositifs contraceptifs à avoir vu le jour est le préservatif masculin. Puis plus grand-chose. Avec la vasectomie, autorisée par la loi en 2001, ce sont les seules méthodes actuellement reconnues (le retrait fait débat en raison de son manque de fiabilité). Il en existe pourtant d’autres. « Dans les années 1970, des hommes ont ainsi voulu prendre leur part de responsabilité dans la charge contraceptive. Ils ont fondé une association, l’Ardecom, pour développer les méthodes dites masculines », explique Gersende Marceau, sage-femme au planning familial de l’Hérault.

De leurs travaux résulteront deux méthodes. L’hormonale repose sur des injections hebdomadaires de testostérone, ce qui stoppe la spermatogénèse (formation des spermatozoïdes). Et la thermique : il s’agit de faire remonter les testicules dans l’aine afin de les maintenir au chaud et bloquer aussi la spermatogénèse. Adopter cette méthode nécessite de porter pendant 15 heures par jour un dispositif « remonte testicules ». À savoir un slip, un jockstrap (sorte de harnais) ou un anneau en silicone (baptisé Andro-switch, bonus). « Au début il y a un peu de gêne car on n’a pas l’habitude d’avoir les testicules relevés. Mais ça passe vite et ce n’est pas douloureux. Il faut juste prendre le coup », expose Belette, membre de Treizeticules, collectif marseillais qui assure des ateliers autour de la contraception masculine (bonus).

 

Manque de (re)connaissances et coût élevé

Si la méthode hormonale est reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – pour une durée d’utilisation de 18 mois faute d’étude plus longue menée – ce n’est pas le cas de la thermique, malgré là aussi des études. En revanche, l’ANSM (l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) ne les reconnaît pas, en raison d’absence d’essai clinique. En résultent méconnaissance et incompréhension, même du corps médical. « La formation autour de ce type de contraception commence à peine », glisse Belette.

Or, se lancer dans l’utilisation de ces méthodes implique de passer régulièrement un spermogramme. Cet examen analyse le sperme et sa concentration de spermatozoïdes. En dessous d’un million par millilitre, un homme est considéré comme contracepté. « Il est remboursé uniquement sur ordonnance. Or, tous les médecins n’acceptent pas d’en délivrer une », ajoute le militant. Il est évidemment possible d’assumer son coût, de l’ordre d’une vingtaine d’euros. Mais le spermogramme étant à réaliser régulièrement – tous les trois mois au début du processus, puis deux fois par an ensuite – la note peut vite grimper. Sans parler du dispositif initial, qui n’est pas davantage remboursé par la Sécurité sociale. Les injections d’hormones coûtent par exemple entre 8 et 10 euros par semaine. Un aspect financier qui peut contribuer à rebuter les intéressés.

 

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Le collectif 13ticules organise chaque mois un point d’info sur la contraception masculine. L’occasion de confectionner son propre jockstrap © Agathe Perrier

Libérer les femmes de la charge contraceptive

À l’atelier de janvier organisé par le collectif 13ticules, une demi-douzaine d’hommes ont répondu présent. Ils ont souvent la vingtaine et sont désireux de prendre la charge de la contraception dans leur couple afin de « libérer leur partenaire ». C’est aussi ce qui a poussé Thomas, alias Bobika, en 2016. Six ans plus tard, il est toujours contracepté bien que sa compagne actuelle le soit également. « Je ne veux pas arrêter car pouvoir contrôler ma fertilité est un confort pour moi qui ne veut pas d’enfants », indique-t-il. Un parcours qu’il raconte dans sa BD « Le cœur de zobs », sortie à l’automne 2022.

S’il est depuis passé à la contraception hormonale, celle-ci n’attire pas les autres participants. « Je préfère opter pour une méthode qui régule mon corps naturellement plutôt que m’injecter quelque chose », indique Dino. Pour avoir vu les effets indésirables de la contraception hormonale sur leurs partenaires, particulièrement la pilule, les jeunes hommes veulent éviter les hormones. « La contraception hormonale masculine peut parfois provoquer des effets secondaires : davantage de pilosité, d’agressivité, de libido… C’est finalement assez proche de ce que peuvent connaître les femmes sous hormones », souligne Bobika. C’est pourquoi Gersende Marceau aime temporiser : « Aucune contraception n’est parfaite, chacune a des contraintes. Il ne faut donc en dévaloriser aucune car plus il y en aura de disponibles, plus chacun et chacune trouvera celle qui lui correspond ». 

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Émilien s’est lancé dans un parcours de contraception et a choisi la vasectomie © DR

La vasectomie…

En tout cas, dans le petit groupe de néo/futurs contraceptés, personne ne s’oriente vers la vasectomie, opération consistant à couper les canaux déférents. Les spermatozoïdes, qui d’ordinaire les empruntent pour rejoindre les vésicules séminales, n’y circulent plus et ne se retrouvent ainsi plus dans le sperme. « Cela ne bloque ni les érections, ni les éjaculations », principales inquiétudes des hommes, rassure Gersende Marceau. Mais un processus radical, puisque irréversible, bien que dans quelques cas il soit possible de retrouver sa fertilité, ou du moins une partie. Pour éviter les regrets a posteriori, les hommes peuvent d’ailleurs faire congeler leur sperme.

Outre son caractère quasi définitif, c’est la complexité des démarches nécessaires pour l’opération qui freine certains intéressés. En théorie, la seule condition est d’être majeur et de respecter un délai de réflexion de quatre mois entre la demande initiale et la réalisation de la stérilisation. « La loi ne prévoit pas de condition d’âge, de nombre d’enfants ou de statut marital », stipule la Haute autorité de santé. Dans les faits c’est tout autre chose. « Si vous n’avez pas 40 ans et au moins deux enfants c’est très compliqué. Idem pour les femmes qui veulent avoir recours à une stérilisation », regrette la sage-femme.

 

… ou le parcours du combattant

Les témoignages le confirmant ne manquent pas. « Lors de mon premier rendez-vous, j’ai été très étonné par les questions de mon urologue. Il m’a immédiatement demandé mon âge et si j’avais des enfants. Il m’a clairement dit qu’il était partant dans la mesure où j’approche des 40 ans et que j’ai déjà deux enfants. On ne se sent donc pas libre de son corps », confie Émilien. En cas de refus, les praticiens doivent réorienter les patients vers un homologue. Dans les faits, c’est souvent peu le cas et les hommes doivent se débrouiller par eux-mêmes.

Le coût de l’opération est également un frein. Peu prise en charge par la Sécurité sociale (65 euros), pas du tout par les mutuelles, le reste à charge pour le patient est de l’ordre de 350 euros, dû au dépassement d’honoraires moyen du praticien. Émilien a toutefois trouvé la combine : se faire opérer en hôpital public. « J’ai eu cette information par hasard, par le second urologue que je suis allé voir. La seule différence est qu’il m’opérera quand son planning le permettra, priorité étant donnée aux chirurgies urgentes ».

Rien d’étonnant si à peine 2% des Français sont stérilisés aujourd’hui, contre 20% au Royaume-Uni et au Canada, 13% aux États-Unis, autour de 8% en Espagne, Belgique et Suisse… Les choses bougent cependant : le nombre de vasectomies remboursées en France est passé de 1 908 en 2010 à 23 306 en 2021, selon l’Assurance maladie.

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Le préservatif est le troisième moyen de contraception le plus utilisé par les femmes (15,5%) © Pexels

 

Des mentalités qui évoluent

Quand Bobika a commencé à se contracepter en 2016, ses proches se sont montrés plus que dubitatifs. Et lorsqu’Émilien a parlé de sa prochaine vasectomie aux siens, impossible d’ouvrir le dialogue avec certains hommes. Idem avec des collègues ou des connaissances plus lointaines. « On a l’impression qu’on touche à leur virilité ! Ça se ressent moins avec les jeunes par contre ». Un avis partagé par Maxime Labrit, fondateur de l’anneau remonte-testicules. « Les jeunes ont naturellement cet acquis que la contraception est l’affaire de tous. Tout le travail sur les dynamiques de genre a permis de briser le mur et de rendre ce sujet universel », considère-t-il.

Mais, globalement, les mentalités s’ouvrent, dans toutes les tranches d’âge. Et ce en raison de différents événements liés aux années 2010 : le scandale lié aux pilules de 3e et 4e génération et derrière la désaffection des dispositifs hormonaux, l’émergence de collectifs pour démocratiser la contraception masculine, la vague #Metoo, le confinement qui a libéré la parole dans les couples… « Il y a encore énormément de boulot, même si ça bouge, surtout depuis trois ans », pointe toutefois Théo, du collectif 13ticules. Outre les jeunes, ce sont majoritairement les profils d’hommes CSP+, ayant fait des études, qui sont sensibilisés et réceptifs. « Le challenge dans les années à venir est de sensibiliser davantage de monde », lance Maxime Labrit. La route sera longue, comme pour toute (r)évolution. ♦

 

Bonus

  • La contraception féminine en France – Le dernier baromètre réalisé par Santé Public France remonte à 2016. Il ressort que 71,8% des femmes ont recours à une méthode contraceptive médicalisée. La pilule est le moyen de contraception le plus utilisé (36,5%), devant le dispositif intra-utérin (25,6%) et le préservatif (15,5%). Elle connaît cependant un recul persistant depuis 2012, à la suite du scandale des pilules de 3e et 4e génération. En 2010, 45% des femmes l’employaient. Cette désaffection pour la pilule est très marquée chez les femmes de 20-29 ans. Les femmes disposent au total de dix méthodes contraceptives différentes.
  • La contraception est aussi une affaire d’hommes 5
    L’anneau contraceptif masculin, Andro-switch ©DR

    L’anneau contraceptif masculin, Andro-switch, un dispositif créé à Marseille – On le doit à Maxime Labrit, alors infirmier. Souhaitant se contracepter mais pas convaincu par les dispositifs existants, il décide de concevoir le sien. « C’était à la base pour moi, puis ça a plu à des copains militants. J’ai donc décidé de partager l’anneau et les connaissances liées à la contraception thermique avec tous », explique-t-il. La commercialisation démarre en 2019 via la société Thoreme. Elle est stoppée deux ans plus tard par l’ANSM. Motif : « Il faut démontrer l’efficacité et la sécurité du dispositif ». Dans ce but, la coopérative Entrelac a été créée en avril 2022. Elle va notamment mener une étude d’un an en 2023 pour évaluer la sécurité de l’utilisation de l’Andro-switch. Elle ambitionne de déposer sa demande de certification européenne en 2026. Si elle est acceptée, la vente de l’anneau pourra démarrer partout en Europe. La route est encore longue…

 

♦ Lire aussi l’article « De jeunes Grenoblois agissent pour la santé sexuelle et les enjeux de genre »

 

  • En savoir plus sur la contraception masculine – En ligne grâce au site internet très documenté de l’association Ardecom. Maxime Labrit assure chaque mardi une visio gratuite pour répondre à toutes les questions sur la contraception masculine. Plus d’infos en cliquant ici (accès libre, aucune information n’est demandée pour se connecter). Le collectif marseillais 13ticules propose un point d’information au planning familial le premier mercredi du mois. Outre les discussions, le rendez-vous est aussi l’occasion, pour ceux qui le souhaitent, de confectionner leur propre slip contraceptif. Contactez-les en cliquant ici.