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Contre la solitude de nos aînés, de nouvelles façons de cohabiter

Par Marie Le Marois, le 14 avril 2022

Journaliste

Le Village Landais à Dax fonctionne comme un vrai village avec ses logements, ses commerces et son potager partagé @SZAMBON-Dpt40

Le nombre de personnes âgées isolées a explosé ces dernières années. Selon l’association Les Petits Frères des Pauvres, un tiers d’entre elles se trouve en situation de « mort sociale » (bonus). Contre la solitude de nos aînés, il existe pourtant une palette de formules, de la maison partagée à l’habitat participatif, en passant par la colocation. Ces nouvelles façons de cohabiter, certaines environnementales, favorisent le lien et l’entraide. 

 

Maisons Partagées dans le Tarn

maison partagée
Yvonne, 92 ans, résidente en maison partagée dans le Tarn

Les Maisons Partagées d’Âge sans frontières ont toutes, peu ou prou, la même configuration. Deux maisons sont reliées entre elle avec, chacune, six chambres, des espaces communs et un jardin. Les maisons sont animées par une gouvernante et assistées par un aide médico-psychologique. L’association, fondée par Josette Anciletto, compte sept maisons dans le Tarn. Les deux dernières ont ouvert le 5 avril dont une pour 16 personnes en début d’Alzheimer. Une autre va bientôt émerger à Albi, certaines sont en gestation. 

Yvonne, 92 ans, commerçante à la retraite, réside depuis deux ans à La Maison Partagée de Brens.

« J’étais encore très autonome. J’avais ma maison, ma voiture et mes activités au club de carte d’Albi. Mais les petits travaux du quotidien, comme le jardin, devenaient pénibles et je trouvais les soirées longues. Mes filles m’avaient proposé de vivre chez elles mais je ne souhaitais pas être un poids. L’une d’elles m’a parlé du concept d’une maison partagée qui venait de se construire près de chez elle. J’y ai passé une semaine pour voir si la formule me plaisait. Quinze jours après, je m’y installais car la seule place vacante était prise d’assaut.

Je n’avais pas prévu de quitter ma maison si vite mais je ne le regrette pas. Le concept me convient parfaitement : j’ai ma chambre avec salle de bain, WC, mes meubles et ma déco. Et je partage la cuisine, le salon, la salle à manger et le jardin. Je vis comme à la maison mais entourée et libre de faire ce que je veux : préparer un gâteau dans la cuisine, inviter ma famille à prendre un café dans le salon ou partir en week-end chez mes filles. Libre aussi d’aider notre gouvernante, Chantal. Certaines ne sont pas assez valides pour le faire. Ce n’est pas grave, on s’entraide.

 

 

Moi, j’aime participer à tout : préparer les repas, jouer à la belote, arroser les fleurs du jardin, me balader. Nous avons des caractères différents mais on sait s’adapter. Car nous sommes là pour les mêmes raisons : la solitude nous pesait. Du coup, l’entente est bonne. Dimanche passé, nous avons tous été invités à déjeuner par la fille d’une résidente pour son anniversaire.

La vie dans la maison est très vivante, il y a beaucoup de passages avec l’infirmière, la coiffeuse, les amis ou les familles. Nous envisageons plein de projets : créer un potager, organiser une vente avec les vêtements que nous avons tricotés et utiliser les bénéfices pour déjeuner au restaurant. Mes copines du club de cartes d’Albi ne comprenaient pas mon choix, maintenant elles l’approuvent ! »

Et aussi…

L’opérateur Âge&Vie apporte une réponse adaptée aux besoins des personnes en perte d’autonomie avec des colocations de huit chambres. Le principe est l’ouverture sur l’extérieur et le maintien d’un cadre de vie le plus normal possible. Ce dispositif mêlant architecture bienveillante et organisation à taille humaine est une solution qui protège sans isoler. Né dans le Doubs en 2008, il essaime dans l’hexagone avec 170 colocations ouvertes ou en passe d’ouvrir comme à Beauvoir-sur-Niort dans les Deux-Sèvres.

 

Habitat participatif à Montpellier

Contre la solitude des séniors, de nouvelles façon de cohabiter 3
Habitat Participatif @MascoBado

MasCobado est un habitat participatif et bioclimatique à Montpellier. Les 23 foyers sont composés de 49 personnes de 8 à 84 ans. Elles ont conçu leur propre appartement avec les architectes. Et les espaces collectifs, ensemble. Julie, résidente depuis 2016, raconte :

« Avec les autres foyers, nous partageons une grande terrasse, une salle avec une cuisine, une buanderie avec dix machines, une bibliothèque, un coin enfant, trois chambres d’amis. Mais aussi un potager avec des poules, un composteur et un jardin style place du village. Ces aménagements, nous les avons décidés entre habitants lors de notre réunion mensuelle.

Chaque voix compte et si un résident refuse une décision, elle est retravaillée par le groupe concerné jusqu’à son adoption. À part le projet d’une box WiFi pour la salle commune, toutes les propositions ont été actées. Elles concernaient la répartition du ménage de l’immeuble, le format d’utilisation de la salle, le montant de la cagnotte mensuelle, le choix des plantes…

J’ai rejoint le projet pour sa dimension écologique mais aussi pour ses valeurs : partage, bienveillance et authenticité. Il y a une réelle entraide entre nous. Les mamies gardent les enfants malades pour que les parents puissent travailler, une prof de maths à la retraite donne des cours de soutien, les bricoleurs dépannent et ceux qui ont une voiture la prêtent. Notre groupe  »Signal » est très actif ! Nous soutenons aussi les petits producteurs de la région en organisant des groupements d’achat. Légumes bios ou sacs de farine de 25 kg, par exemple.

 

 

Nous avons plusieurs projets en cours. Plantations des jardins, divers travaux dans l’immeuble, yoga sur la terrasse, construction de meubles en palettes recyclées, ateliers cuisine et créatifs avec les enfants… Certains habitants participent à un café associatif voisin, qui accueille des personnes en situation précaire comme des demandeurs d’asile. D’autres font des repas nomades entre voisins.

Il existe bien sûr des points d’accrochage et des ajustements permanents. Mais on en discute, dans un échange sincère et honnête. D’ailleurs, on suit des ateliers sur la communication bienveillante. Certains voisins sont devenus des amis, d’autres partagent juste mes valeurs. Mais tous constituent un lien de confiance fort ».

 

Regain PACA publie un guide « Vieillir en habitat participatif »

 

Jeunes et anciens sous le même toit dans le Vaucluse

Un jeune un vieux
Les différents binômes de l’association La Logitude Vaucluse&Gard

La Logitude, créée par Stella Bacchiocchi, met en lien jeunes de moins de 30 ans en recherche de logement temporaire et séniors disposant d’une chambre. Deux formules : l’occupant verse une indemnité mensuelle à l’accueillant de 200 euros par mois. Ou, en contrepartie d’une présence plus importante au quotidien, participe aux charges à hauteur de 30 euros par mois. L’association se déploie dans le Vaucluse et le Gard. Et cherche à se développer à Arles et Nîmes. 

 

Bernadette, 77 ans, accueille des étudiants dans son appartement près d’Avignon. 

« Depuis six ans, j’accueille des étudiants et j’adore ça ! En ce moment, je vis avec Thelma et Lucas. J’aime leur compagnie, elle est rassurante et divertissante. Ça m’évite de trop parler à mon chat… Le soir, j’ai hâte qu’ils rentrent de cours. On papote, ils me racontent leur journée.

Chacun vit sa vie mais on partage la même cuisine et la même salle de bain. Pas de bousculade le matin pour prendre la douche, ils se débrouillent entre eux, et moi, je la réquisitionne quand ils sont partis. Quand je cuisine, je leur laisse toujours une part. Ma spécialité ? La pâtisserie. Je crois que Thelma a bien apprécié mon cake cerises-raisins-rhum !

Un soir par semaine, on dîne tous ensemble. C’est notre rituel. Bon, j’aimerais que Thelma range sa chambre, mais j’en ris : c’est sa chambre après tout. Elle m’apporte beaucoup de gaieté et de fraîcheur. Et puis, c’est pratique, quand j’ai un problème informatique, elle sait faire. Elle est très discrète (c’est plutôt moi qui l’ennuie avec le son de ma télé super fort). Moi qui vois peu mes enfants et petits-enfants, les avoir à la maison est inestimable ».

 

Thelma, 19 ans, étudiante en techniques de commercialisation

« Au début, pour être honnête, c’est l’aspect financier qui m’attirait dans cette colocation. Je paye 200 euros par mois ! Mais pour moi qui n’ai pas eu de relations avec mes grands-parents, tisser des liens avec Bernadette représente beaucoup.

Cette formule est un bon tremplin entre ma vie de fille chez mes parents et ma vie d’adulte. Elle a également un rôle protecteur. Par exemple, j’avais répondu favorablement à une proposition de baby-sitting sur un site. Bernadette a tout de suite vu que c’était louche alors que moi, naïve, je n’avais rien remarqué !

On s’entend bien, on rigole. Elle me cocoone aussi. Un porte-clés avec un cœur cousu pour mon anniversaire, des pâtisseries chaque semaine… muffins, tartes et, dernièrement, un crumble fruits rouges. Un délice au point que je lui ai demandé la recette. Alors, oui, parfois je rêve d’indépendance, pouvoir mettre ma musique à fond, mais la vie en communauté avec une personne plus âgée est très enrichissante, j’apprends à m’adapter.

Ce que j’aime chez Bernadette, c’est sa créativité – elle fait de la couture, du théâtre. Mais aussi sa franchise et sa force de caractère. Elle ne se plaint jamais. Moi qui suis chochotte, son courage m’inspire. »

 

Et aussi…

La Logitude fait partie du réseau Cohabilis (Cohabitation Intergénérationnelle et habitat partagé). Il regroupe des associations similaires dans toute la France, tel un toit à partager dans les Hauts-de-France. D’autres réseaux existent comme Ensemble2générations.

 

Résidence intergénérationnelle à Marseille

résidence intergénérationnelle habitat et humanisme
Résidence intergénérationnelle Habitat et Humanisme à Vergèze (Gard) @Christophe Pouget

Les 2 Chênes à Marseille est une résidence intergénérationnelle et solidaire. Elle est composée d’un bâtiment ancien rénové de sept logements et d’une construction neuve d’un immeuble de seize logements. Les loyers sont « très sociaux », les logements étant conventionnés conventionnés PLAI (Prêt locatif aidé d’intégration). Le projet est porté par Habitat et Humanisme, qui agit depuis 35 ans contre l’exclusion et l’isolement des personnes en difficulté par le biais du logement. L’association est en plein développement avec 49 résidences ouvertes et 42 prévues dans les cinq prochaines années.

 

Logement indépendant et espaces communs 

Les résidents ont chacun un logement indépendant et équipé. Et en commun, une salle à manger et un salon. Une bibliothèque, aussi modeste soit-elle, offre aux enfants une ouverture sur la lecture. Des ordinateurs permettent aux résidents de s’initier à la bureautique et à l’internet. Un terrain de boules, une table de ping-pong, des espaces enfants et adultes et un potager partagé complètent les occasions de vivre ensemble.

 

Vivre ensemble

Des animations sont organisées par une équipe de bénévoles pour nourrir le  »vivre ensemble » : brunch tous les quinze jours, dîner mensuel, sorties… Elle œuvre pour que les résidents se parlent mais aussi s’entraident. Mission réussie : des jeunes mamans font des courses pour les plus âgés, des jeunes emmènent des séniors à des spectacles et ces derniers gardent parfois les enfants ».

 

Des profils variés

Les locataires sont des familles monoparentales, des retraités, des travailleurs précaires, des jeunes en recherche d’emploi mais aussi une vingtaine d’enfants. Avec les deux travailleurs sociaux présents sur place, l’association mène un important travail de soutien psychologique, administratif et professionnel (atelier de recherche d’emploi, par exemple). L’objectif est d’aider les populations isolées à se remettre sur pieds par le biais du soutien individuel et du lien social.

 

Une future maison à Arcueil construite à partir de matériaux biosourcés ou recyclés

Avec le groupe Enalia, un des leaders français de l’efficacité énergétique pour la construction de la maison intergénérationnelle, Habitat et Humanisme ouvre en janvier 2023 « La Maison d’Aspasie » à Arcueil (94). Le projet vise à transformer un bâtiment anciennement exploité par Pôle Emploi en résidence intergénérationnelle de 22 logements pour des familles en difficulté, des personnes âgées, et des étudiants.

Construit à partir de matériaux biosourcés ou recyclés, le bâtiment possèdera aussi une toiture végétalisée et la production de chaleur sera majoritairement issue de la géothermie.

 

Village pour les personnes atteintes d’Alzheimer à Dax

Jardinage séniors
Une des activités du Village Landais est le jardinage @SZAMBON-Dpt40

Ouvert le 11 juin 2020, Le Village Landais accueille 120 personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ou apparentée. 108 résident sur place, 12 places viennent en accueil de jour.

 

Une architecture familière et ouverte sur l’extérieur

Le Village s’inspire de l’architecture traditionnelle landaise et suit les normes HQE® avec, notamment des panneaux solaires. Il fonctionne comme un village autour d’un lieu central : La Bastide. Elle contient café-restaurant, médiathèque départementale, auditorium, épicerie, coiffeur et salle de remise en forme. Mais aussi pôle médical avec neuf studios d’hébergement pour stagiaires et aidants. L’objectif est d’ouvrir La Bastide aux personnes extérieures. À cause de la situation sanitaire, le projet est reporté, vraisemblablement à cet été.

 

Quatre quartiers, seize maisonnées, un parc

Dans un environnement arboré se déploient 16 maisonnées de 300 m² qui accueillent chacune sept à huit résidents. Chaque villageois dispose d’une chambre avec salle d’eau et toilette privatives, son propre mobilier et des espaces communs – salon, salle à manger, cuisine et petit salon.

Les professionnels de santé – appelés maîtres et maîtresses de maison, sont présents de jour comme de nuit.

Dans les cinq hectares du parc, les résidents peuvent jardiner dans le potager partagé ou s’occuper des animaux de la mini-ferme dont deux ânesses Jasmine et Junon. ♦

* Le FRAC Provence accompagne la rubrique société et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus

[pour les abonnés] – La création d’un Observatoire du Grand Âge – L’étude des Petits Frères des Pauvres –

  • Un Observatoire du grand âge (Ogra) voit le jour

Cette nouvelle association est née de la volonté de Laurent Garcia, ancien cadre d’un établissement du groupe Orpea et témoin clé du livre de Victor Castaner « Les Fossoyeurs ». Son ambition est de se poser en interlocuteur des familles et des pouvoirs publics pour améliorer les conditions de vie dans les établissements accueillant des personnes âgées.

Il agira à trois niveaux – accompagner les familles, alerter les autorités, évaluer les établissements. Et regroupera des professionnels du secteur des Ehpad (soignants, juristes, architectes), mais aussi des résidents et leurs familles, ainsi que des membres des ARS (agences régionales de santé)…

 

  • Le Baromètre 2021 « solitude et isolement des personnes âgées en France ». Après une première étude en 2017 qui avait notamment révélé que 300 000 personnes âgées étaient en situation de mort sociale en France, les Petits Frères des Pauvres renouvellent leur baromètre. Le 30 septembre 2021, une 2e édition du Baromètre « Solitude et isolement quand on a plus de 60 ans en France » est publiée en collaboration avec l’Institut CSA Research, financée par la Fondation des Petits Frères des Pauvres et la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse). Elle montre une aggravation alarmante de la situation d’isolement des aînés. Désormais, 530 000 personnes âgées de 60 ans et plus sont en situation de mort sociale. Cela représente une ville comme Lyon.