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Covid-19 : un « speedy virus » à la conquête du monde

Par Paul Molga, le 16 mars 2020

Journaliste

C’est officiel cette fois, Covid-19 entre dans le catalogue des pires épidémies qui ont traversé l’humanité. Il pourrait infecter la moitié de la planète et faire plusieurs dizaines de millions de victimes. Le respect des mesures de distance sociale et de confinement sera décisif.

 

Combien de personnes seront finalement contaminées par Covid-19 ? La totalité de l’humanité comme le véhiculent les rumeurs les plus folles sur les réseaux sociaux ? Quelques centaines de milliers tout au plus ? Partout dans le monde, les équipes de recherche se frottent à cet exercice prédictif périlleux et anxiogène. Et chacune de leurs sorties publiques suscite la polémique. Comme celle de l’épidémiologiste Marc Lipsitch de l’université de Harvard. Ses prévisions révélées le 24 février dans le mensuel culturel américain The Atlantic, ont fait grand bruit. Il y indique que 40 à 70% de l’humanité sera infectée par le coronavirus au cours de cette année, tout en reconnaissant dans le magazine Sciences et Avenir « qu’il y a beaucoup trop d’inconnues pour établir des projections fiables, publiables dans des revues scientifiques ».

Une carte interactive mise au point par des chercheurs de l’université Johns-Hopkins, à Baltimore (États-Unis), donne la mesure en temps réel de la contagion de Covid-19. En 72 jours, parti de l’infection d’un seul être humain, le virus s’est propagé sur les 5 continents, malgré la fermeture des frontières limitrophes et le confinement de dizaines de millions de personnes. Le dernier bilan fait état de 6 000 décès dans le monde. « Il passera probablement par la moitié de la population française », a indiqué le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer.

 

Le passage obligé par de nouvelles règles de vie sociale

Lui et Lipsitch ne sont pas les seuls à penser que ce virus continuera de se répandre largement. « On est encore très loin du pic de contagion », estime Jean-Stéphane Dhersin, directeur adjoint scientifique à l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (INSMI). Pour prédire ce que sera la progression d’une maladie, les prévisionnistes s’appuient sur un modèle baptisé SEIR. S pour susceptibles, représentant les personnes pouvant être contaminées. E pour exposés, c’est-à-dire contaminés. I pour infectieux, ou contagieux. R pour remis, ou sorti d’affaire. En observant la progression de l’épidémie, ils peuvent facilement entrer les données E et I. Mais celles du premier et dernier stades sont plus difficiles à obtenir.

L’information indispensable pour nourrir les modèles est le taux de reproduction de base, R0. C’est le nombre d’infections générées par une personne malade. Au dessus de 1, cette valeur indique un risque épidémique. Il est de 18 pour la rougeole, de 2 à 5 pour le virus HIV, d’environ 1,3 sur la grippe saisonnière, et à priori de 2,5 pour Covid19. « Ce taux est très difficile à déterminer », reconnaît Jean-Stéphane Dhersin. Il dépend en effet très directement des mesures de protection publiques, comme la fermeture des écoles, commerces et lieux publics décidée ce week-end face à une population incrédule et indisciplinée. En Chine, les décisions autoritaires du pouvoir ont ainsi fait baisser le R0 dans le pays de 3,1 en janvier à 2,6, puis 1,9 et enfin 0,9 fin février. Alors que l’épidémie flambe en Europe (l’Espagne a par exemple enregistré 2 000 nouveaux cas de coronavirus et une centaine de morts en 24 heures), l’Empire du Milieu n’a fait état que de 20 nouveaux cas hier, dont 16 étaient des cas importés.

 

Des travaux de modélisation mathématiques tentent d’anticiper la progression

Championne du genre, l’équipe de Vittoria Colizza, directrice de recherche Inserm à l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique a prévu la date et les portes d’entrée du virus sur le continent africain dans une étude publiée par The Lancet dès le 19 février. Pour établir ces prévisions, les chercheurs ont évalué le risque d’importation du virus d’après le nombre de cas déclarés par province chinoise, et en fonction du trafic aérien entre les trois principaux aéroports de ce géant d’Asie et chaque pays africain. Mais ça n’est pas tout : ils ont également analysé le potentiel de chaque pays à faire face au risque de propagation d’une maladie contagieuse à partir de données d’archives de l’OMS et d’éléments officiels fournis par ces mêmes pays. Ils ont enfin appliqué au modèle un score de vulnérabilité – Infectious Disease Vulnerability Index – mesurant des facteurs autres que ceux liés au système sanitaire comme le niveau socio-économique de la population ou la stabilité politique du pays. « Nos résultats montrent que l’Égypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud sont les pays les plus exposés au risque d’importation du virus en Afrique », avaient conclu les chercheurs.

Vrai : le premier cas a été déclaré  à l’hôpital Al-Negila de Matrouh, à l’ouest de l’Égypte le 14 février (après que l’équipe de Vittoria Colizza a rendu son article pour publication). Puis cela a été le tour de l’Algérie, de la Tunisie, du Nigéria, du Maroc, de l’Afrique du Sud, du Togo, du Cameroun et du Burkina Faso. Dans ces zones, la pauvreté du système sanitaire fait craindre le pire, d’autant que Covid-19 semble se propager même dans les pays chauds et secs, contrairement à la grippe.

 

Déjà 4 coronavirus chez l’homme

Quel scénario si Covid-19 continue de se répandre ? Les experts en envisagent deux : le premier, relayé par Stephen Morse de la Mailman School of Public Health de l’Université Columbia (New-York), spécule qu’après avoir contaminé au moins 60% de la population mondiale au cours de plusieurs années d’intense activité, Covid-19 étoffera le catalogue des coronavirus qui circulent déjà chez l’homme : au nombre de quatre (OC43, 229E, HKU1, NL63), ils sont responsables d’un quart des rhumes et peuvent parfois provoquer une pneumonie et le décès des patients les plus fragiles.

L’autre scénario suggère qu’il s’installe comme un virus saisonnier, disparaissant comme la grippe au gré des conditions météorologiques. La question que se posent les chercheurs dans ce cas, est de savoir si Covid-19 peut muter pour devenir plus dangereux. Le biologiste Michael Farzan de l’Institut californien de recherche Scripps a semé un début de panique, en rappelant que les virus constitués d’un seul brin d’ARN, comme ce nouveau venu, mutaient rapidement. Cependant, comme le SRAS, Covid-19 disposerait d’un système de relecture moléculaire réduisant ce taux à un niveau très inférieur à celui de la grippe. Mieux : sa virulence pourrait même baisser. Les recherches doivent le confirmer. ♦

 

Bonus

Les pires épidémies de l’humanité

  • 540 : la peste de Justinien. Partie d’Egypte, cette première épidémie d’ampleur véhiculée par les premiers échanges commerciaux aurait tué 25 millions de personnes sur le pourtour méditerranéen.
  • 1347 : la peste noire. En 6 ans, cette infection bubonique aurait tué entre 25 et 34 millions de personnes soit presque 40% de la population européenne. Elle était transmise d’homme à homme et par piqûre de puces.
  • 1852 : le choléra. Pendant 8 ans, ce virus s’est répandu depuis l’Inde jusqu’en Russie avant de gagner l’Europe entière où elle avait fait plus de 1 million de victimes. Cette infection intestinale très contagieuse et mortelle est provoquée par l’ingestion d’eau contaminée.
  • 1918 : la grippe espagnole. En seulement 2 ans, cette fièvre a provoqué un nombre considérable de surinfections bactériennes. Elle serait née de la combinaison avec de gènes aviaires et aurait tué 100 millions de personnes.
  • 1976 : Ebola. C’est la première apparition de ce virus le plus foudroyant jamais recensée (entre 60 et 90% de mortalité). Il est transmis par tous les liquides organiques et sa période d’incubation est extrêmement courte. Le nombre de victimes, très concentré en Centre Afrique, se compte en milliers.
  • 1981 : le VIH. C’est à ce jour la plus grande épidémie du monde moderne et elle reste encore sans traitement préventif. A ce jour, elle a fait plus de 36 millions de victimes.
  • 2002 : SRAS. Parti de Chine, ce coronavirus a infecté 8 096 personnes et tué 774 d’entre elles dans 26 pays.
  • 2012 : MERS. Ce coronavirus moyen-oriental a infecté 2 494 cas et provoqué 858 décès dans 27 pays.