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Cross The Ages, levier économique inattendu pour Marseille

Par Paul Molga, le 26 avril 2023

Journaliste

Pour la première fois se croisent, dans l’univers des cartes à jouer, la blockchain, les cryptomonnaies et bientôt le métavers © CTA

Avec des cartes à jouer illustrées par les plus grands artistes de science-fiction du moment, la blockchain pour en faire des œuvres numériques uniques, une série de romans pour accompagner l’histoire et bientôt un univers métavers, la start-up marseillaise Cross The Ages s’attaque au marché mondial des jeux en ligne. Elle s’appuie sur la passion d’une génération pour l’héroic fantasy et les jeux de rôle, un business aussi disruptif et spéculatif que le marché des cryptomonnaies.

 

Il fallait bien une résidence impériale pour rassembler le gotha du jeu vidéo et de la cryptomonnaie autour du lancement mondial de l’univers onirique de Cross The Ages (CTA). C’est donc depuis les salons du palais du Pharo, à Marseille, que son concepteur marseillais Sami Chlagou* et son associé Richard Estève ont annoncé la disponibilité de leur jeu de cartes digital sur Apple et Play Store. Parmi les invités figuraient les grands noms du secteur, venus tout spécialement, comme Animoca, Ubisoft ou Square Enix. Mais aussi des fonds spécialisés : notamment Mechanism Capital spécialisé dans les investissements en cryptomonnaie, et GD10 Ventures qui finance exclusivement des projets dessinant le Web3.

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Cross The Ages sur les écrans géants de Time Square, à New York ©DR

Quelques jours plus tard, Cross The Ages enflammait les lueurs électriques de Time Square privatisé plusieurs minutes à New York, pour diffuser la bande annonce de la saga. Le mois prochain ce sera les écrans géants de Tokyo, puis ceux de Singapour…

 

Un vrai plus pour l’image de Marseille

« Ça projette Marseille dans un univers économique qui n’était pas le sien », analyse l’adjoint à l’économie de la Ville, Laurent Lhardit. « Cross The Ages est une société à la fine pointe des industries culturelles et créatives qui innove dans le domaine du jeu. En cela son expertise est un plus pour Marseille qui postule dans le cadre de France 2030 sur les pôles territoriaux ICC (Industries culturelles et créatives). C’est une belle entreprise conçue, ce qui est rare, sur une base multiculturelle et qui rassemble ici des salariés venus des cinq continents. Son concepteur illustre ce nouvel entreprenariat marseillais débordant d’énergie et tourné sur le monde. Il est le pont entre la jeunesse issue des milieux populaires comme lui et celle qui parcourt le monde pour développer des projets », témoigne-t-il.

Cross The Ages, levier économique improbable pour Marseille
Sami Chlagou, CEO de Cross The Ages ©DR

Le monde économique suit d’autant plus ce dossier que Sami Chlagou a annoncé le maintien du siège de la société à Marseille. À la clé, une centaine d’emplois très qualifiés et, dans 18 mois, la création d’une école pour former des spécialistes de jeux vidéo – vaste panel de métiers artistiques, depuis la musique au story board en passant par la création de décors. La pixel school ouvrira ses portes à deux pas de la préfecture. Cette structure accompagnera des jeunes à partir de 13 ans avec comme ambition de les former aux nouvelle technologies parallèlement à leur cursus scolaire. « Pour la première fois, un projet web.3 se construit avec une équipe internationale dans une capitale régionale. Nous allons tout mettre en oeuvre pour faire rayonner Marseille dans, ce domaine », assure Sami Chlagou. « La plupart des investisseurs ne savaient même pas placer Marseille sur une carte », s’amuse-t-il encore.

À peine lancé, CTA a déjà séduit 55 000 amateurs de jeux de rôle. Son compteur s’implémente de plus de 2500 téléchargements chaque jour depuis fin mars. Les gamers viennent d’Europe, à 70%, mais aussi du Japon (15%), d’Amérique du Nord et de Corée. Ils passent en moyenne près d’une heure par jour sur la plateforme et ont disputé plus de huit millions de matchs. L’engouement est tel qu’avant même sa sortie, l’opus avait remporté le printemps dernier à Dubaï le prix du meilleur jeu vidéo de l’année, lors de l’AIBC Summit, la grand-messe du secteur.

L’entreprise a déjà vendu pour 8 millions d’euros de cartes. Elle espère plus que tripler ce chiffre d’ici la fin de l’année. On pense bien sûr au succès qu’avait rencontré la saga Magic : The Gathering, imaginée par le mathématicien Richard Garfield en 1993…

 

♦ Lire aussi : NR Sud, la première école dédiée aux métiers du solaire

 

Mariage d’intérêt

Plus de 180 spécialistes du monde entier – scénaristes, dessinateurs, artistes, développeurs, modélisateurs… – ont participé à la conception de CTA, dont la version métavers est en préparation. C’est que Cross The Ages est une petite révolution dans le secteur des jeux en ligne. Ainsi pour la première fois se croisent, dans l’univers des cartes à jouer, la blockchain, les cryptomonnaies et bientôt le métavers. De plus, son scénario, appuyé par une collection à paraître chez Hachette permet, selon son concepteur, « d’expérimenter des questions difficiles de la vie en explorant les préjugés humains ». Surtout, il s’appuie sur la passion d’une génération qui a grandi avec les cartes à collectionner et les jeux de rôle, et qui dispose aujourd’hui d’un pouvoir d’achat pour faire revivre les souvenirs d’enfance.

Cross The Ages, levier économique improbable pour Marseille 3Pour évoluer dans le jeu, les joueurs doivent en effet acheter des cartes digitales de personnages (près de 200 aujourd’hui, implémentés chaque saison) ayant des pouvoirs particuliers. On les achète par paquets de quinze, en ligne. Dans chacun d’eux, onze cartes sont communes, trois le sont un peu moins et une, plus rare, donne des facultés uniques, susceptibles de faire basculer la partie. Les joueurs peuvent échanger, monnayer ou même louer des cartes. Carotte supplémentaire : des compétitions dotées de prix sont organisées par la plateforme plusieurs fois par an, pour opposer les meilleurs stratèges.

Plus largement, pour les passionnés de ce type de jeux, plus de 20 millions d’adeptes dans le monde, constituer une main victorieuse à coup sûr est une quête sans fin. « Il faut faire en sorte que chaque carte fonctionne en symbiose avec les autres. Et s’en procurer certaines qui peuvent donner des avantages décisifs », explique un joueur. Les plus anciennes sont les plus recherchées. Wizard of the Coast, l’éditeur de Magic (racheté par Hasbro en 1997) en a ainsi réservé 572 qui ne seront jamais réimprimées. Le seul moyen de se les procurer est donc le marché de l’occasion. Et les prix explosent.

 

♦ Un sacré chemin parcouru par les équipes de Sami Chlagou : relire cet article écrit en 2019 !

 

Un marché très prisé

Cross The Ages, levier économique improbable pour Marseille 1L’an passé, une version très rare et en parfait état (avec une note dite PSA de 10) de la carte Black Lotus de la série Alpha du jeu dont il n’existerait que sept exemplaires dans le monde, a été adjugée 511 000 dollars sur eBay. C’est un collectionneur américain, Jonathan Médina, qui a lancé leur mouvement spéculatif en avril 2010, en racontant dans de longs posts sa quête du « pack to power » pour atteindre la main idéale. En troquant 98 fois des séries de cartes aux quatre coins de la planète, il écrit être parvenu à rassembler plusieurs des éditions épuisées qu’il ambitionnait, dont une Mox Pearl, l’une des neuf cartes extrêmement rares imprimées fin 1993.

CTA emprunte le même chemin, la blockchain en plus. Cette technologie permet désormais d’attribuer à un objet digital un numéro de série infalsifiable qu’on appelle un jeton non fongible (NFT, de l’anglais non-fungible token). Même virtuelle, une œuvre peut donc être authentifiée comme unique, à la manière d’un certificat garantissait la signature d’un grand maître. Et sa valeur explose.

Plusieurs propositions artistiques ainsi taguées ont trouvé preneur auprès de riches amateurs : du premier tweet posté par le créateur du réseau social Jack Dorsey, adjugé 2,5 millions de dollars, à l’œuvre numérique « Everydays : the First 5.000 Days » signée du cryptoartiste belge Beeple (Mike Winkelmann) et vendue par la maison d’enchères Christies plus de 69 millions de dollars… « Nous assistons au commencement d’un nouveau chapitre dans l’histoire de l’art numérique. Des artistes utilisent du stockage de données et des logiciels pour créer des œuvres et les diffuser sur internet depuis plus de vingt ans, mais il n’y avait pas jusqu’ici de véritable moyen pour les posséder et les collectionner. Avec le NFT, tout ça a changé », a expliqué le commissaire-priseur dans un communiqué publié au lendemain de la vente.

Les cartes à collectionner ne devraient pas échapper à ce phénomène. La valorisation de la start-up française Sorare, qui propose depuis 2019 des jeux de cartes de football basé sur la blockchain, est estimée à plus de 4 milliards de dollars. ♦

*Sami Chlagou est par ailleurs président de la société Rush On Games, qui parraine la rubrique solidarité de Marcelle –
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