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De bonnes idées qui tournent court #2 : YoYo

Par Nathania Cahen, le 14 février 2022

Journaliste

Dans nombre de quartiers très urbains des grandes villes d’Europe le tri des déchets est très faible @Yoyo

Nous vous avions relaté l’aventure de Totem Mobi, les mini-voitures électriques louées à la minute, pour les petits budgets et pour désengorger Marseille. Voici celle de Yoyo, une plateforme de tri avec récompenses à la clé. Deux projets encensés dans les médias et par les politiques. Pour des raisons assez similaires, leurs concepteurs ont pourtant dû se résoudre à jeter l’éponge. Interrompus par le Covid, trop peu soutenus financièrement.

 

En 2017, Éric Brac de La Perrière, ancien directeur de Citeo (ex Éco-Emballages), crée Yoyo, une plateforme collaborative de recyclage qui repose sur la récompense des participants. La start-up démarre avec les plastiques, à Lyon et Bordeaux, puis Marseille avant Mulhouse et trois villes du Grand Paris.

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Éric Brac de La Perrière © DR

L’idée lui est venue au retour de voyages dans des pays émergents, en Birmanie et surtout en Égypte, où l’entrepreneur avait investi dans une société proche des Chiffonniers du Caire. « Je découvre là-bas que la collecte des déchets sauvages dans la nature est rétribuée par des réseaux informels de wast pickers ». Pourquoi ne pas digitaliser et appliquer un tel système à plus grande échelle pour produire un effet yoyo ? Le concept est né.

 

Des sacs de déchets plastiques contre des récompenses

Or un constat vaut pour de nombreux quartiers très urbains des grandes villes d’Europe : le tri des déchets y est très faible. C’est de fait un paradoxe que là où l’on consomme le plus, on trie le moins.

Or, mettre en place un système incitatif, plus attractif peut changer la donner. L’idée est de proposer des lots et récompenses suffisamment alléchants pour séduire : à la clé, des places de cinéma, de parcs d’attraction ou de matchs, jusqu’au baptême de plongée. « La gratification permet d’évacuer la dimension moraliste, de changer de paradigme », explique Éric Brac de La Perrière.

Il y a un second moteur : développer en parallèle du lien social, pour créer une dynamique. Le recrutement des coachs a donc lieu dans les quartiers. Parce qu’ils connaissent les habitants et leurs habitudes. Et pour être à même d’expliquer en comorien ou en arabe les règles du tri. « Le tri c’est compliqué, et dans certaines langues, le mot tri n’existe même pas », pointe l’entrepreneur. Enfin, l’outil-clé : un grand sac orange qui, une fois rempli, vaut 125 points à son trieur.

Le modèle économique repose sur un financement via les collectivités territoriales – villes et métropoles. Elles n’ont rien à y perdre puisque, de leur côté, l’augmentation des quantités de déchets recyclés ou valorisés leur permet de vendre plus de matière (200 euros la tonne). Cela leur vaut aussi des financements de la part d’éco-organismes comme Citéo qui rémunère plus de 600 euros la tonne. Donc un revenu total de 800 euros/tonne… Comme la tonne de plastique collectée par Yoyo coute moins la rentabilité est acquise au bout d’un an et demi.

 

 

Marseille acte 1, la vitrine et le succès

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« La gratification permet d’évacuer la dimension moraliste » © YoYo

La cité phocéenne devient assez rapidement la ville-laboratoire. Yoyo s’y implante dès 2019 dans les quartiers les plus déshérités, notamment le fameux 3e arrondissement, la Belle de Mai. C’est très vite un succès avec un taux de collecte des plastiques qui passe de 4,5% par la Métropole à 48% en un an si on additionne la collecte de Yoyo. Il y a bientôt 50 antennes à travers la ville. « Tout le monde y gagnait, donc était content : la métropole, les bailleurs sociaux, les coaches, les usagers. Le système semblait juste à tous. Au-delà des récompenses, cela flattait d’autres sentiments comme l’estime de soi, la fierté ».

Différents acteurs économiques soutiennent la startup, comme Nexcity ou Pathé. Le montage financier est accompagné par la BPI et le groupe Veolia. Des hommes s’y intéressent aussi, comme Didier Réault, président du Parc national des Calanques et vice-président LR d’Aix-Marseille Métropole.

 

Marseille acte 2, la chute

Et puis en 2020, c’est la double peine. Yoyo escomptait un financement de 150 000 euros de la métropole Aix-Marseille – « une goutte d’eau dans leur budget ». Mais Éric Brac déchante : « Nous découvrons alors que ni la complémentarité ni l’innovation ne sont reconnues, qu’il n’y a pas de coalition intelligente. Ils pensaient pouvoir relever seuls le défi du tri. Mais c’est impossible, personne ne peut réussir seul. On voit aujourd’hui l’immense gaspillage à l’œuvre… ».

En mars 2020, la tornade Covid elle ne s’abat pas que sur Marseille mais sur la France entière. « Avec le confinement, du jour au lendemain, il n’a plus été possible de sortir, de faire du lien social, de la pédagogie, de la proximité… » Tris et collectes sont suspendus partout. Et ne reprendront pas.

 

 

Recommencer ailleurs, autrement ?

Si c’était à refaire ? « Je recommencerais, répond spontanément le fondateur de Yoyo. Mais différemment. Je déploierais le système sur une seule ville, pour un POC (proof of concept ou preuve du concept -NDLR) plus puissant, plus percutant. Et dans une ville plus inclusive qui se donne les moyens de changer la donne, de coopérer avec les acteurs du social ».

S’il ne nourrit pas d’amertume, Éric Brac de La Perrière est consterné par le gâchis et l’immobilisme. Par un taux de recyclage qui augmente de 1% par an sur les dix dernières années quand le coût du recyclage des déchets bondit de 30% sur la même période.

Mais son combat pour le recyclage des déchets est intact. L’entrepreneur s’implique et investit aujourd’hui dans des gisements de matières encore peu valorisées, comme les biodéchets (avec Upcycle qui recycle ou Ficha technologies qui grâce à l’intelligence artificielle détecte dans les bacs et dans les camions les erreurs de tri). Et toujours les plastiques (avec le bureau d’étude Synchronicity) et les huiles alimentaires à même de se transformer en biocarburant (avec Total). Du conseil, une participation et l’envie de faire sauter les derniers verrous. ♦