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Les déchets d’une scierie transformés en combustible vertueux

Par Marie Le Marois, le 2 février 2022

Journaliste

À Montclar (Alpes-de-Haute-Provence), la scierie-menuiserie Joël Hermitte transforme depuis octobre ses déchets de bois en granulés pour les poêles. D’autres régions, tels le Massif central ou le Jura, fabriquent cette bioénergie renouvelable pour un système de chauffage écologique en pleine expansion.

 

Joël Hermitte meuble sculpté
Meuble ancien sculpté par les ancêtres de Joël Hermitte. Il trône dans la ferme familiale construite en 1714 et transformée en gîte. @Marcelle

L’entreprise de Joël Hermitte se dévoile en haut d’une route sinueuse, sur un plateau tacheté de champs et de bâtisses en pierre.

Ce clairmontois, la soixantaine robuste, a démarré son activité en 1982 avec la menuiserie, en lieu et place de la ferme de son père et, avant lui, de son grand-père.

Cependant, la culture du bois coule dans ses veines. Elle est prégnante depuis des générations dans la vallée, comme dans celle du Queyras. « L’hiver, les agriculteurs fabriquaient des meubles pour s’occuper », précise-t-il, tout en montrant une magnifique armoire dans ce qui fut l’étable. Ses aïeux l’ont sculptée « il y a trois ou quatre générations et c’est de l’orme, un bois devenu rare » (bonus).

 

Bois durable

Joël Hermitte
Joël Hermitte @Marcelle

Dans la menuiserie, les employés fabriquent meubles, terrasses, escaliers, volets, charpentes, garde-corps.

Le bois utilisé provient des arbres de la région, mélèzes, sapins et pins. Et sont livrés par un exploitant forestier local PEFC. Ce label garantit que le produit est issu d’une forêt gérée durablement. C’est-à-dire que son exploitation ne remet pas en question sa santé ni sa survie. Il exclut indirectement, bien sûr, le bois de contrebande « qui provient d’Afrique ou même de Roumanie » (bonus).

Pour obtenir son propre bois de découpe, Joël Hermitte a construit une scierie en 1991, derrière la ferme familiale. Depuis sa création, l’entreprise a conçu 30 maisons, acier et béton compris. « On est capable de tout faire et, maintenant, on vend même ce qu’il faut pour se chauffer », sourit l’entrepreneur à la tête d’une équipe de cinq personnes, dont son fils Adrien.

 

 

Granulés de bois

scierie
Rebus de la scierie avan d’être déchiquetés en plaquettes @Marcelle

Depuis octobre, l’entreprise développe en effet une autre activité. Dans un autre bâtiment, elle transforme les déchets de scierie (copeaux, dosse déchiquetée, délignure, sciure…) en granulés (dits aussi pellets) pour les poêles.

Le processus de fabrication comporte plusieurs étapes. À la sortie de la scierie, les chutes (appelées aussi connexes) sont séchées dans un caisson de 35 m3 grâce à de l’air capté – entre l’isolant et la tôle du toit – et expulsé (l’été, le séchage est naturel). Elles sont ensuite finement broyées puis comprimées en granulés après que la matière a été séparée de l’air. Le produit fini est dépoussiéré, envoyé dans le silo à l’aide d’une soufflerie et ensaché par 15 kilos. Son nom ? Les  »Pellets de Montclar ».

 

Produits de qualité

Joël Hermitte Produits connexes du bois
Produits connexes du bois (sciure, plaquettes…)

En quatre mois, l’entreprise a vendu 50 tonnes de granulés issus pour 10% de ses connexes et 90% d’autres scieries de la région comme l’entreprise Haut-Alpine à La Bâtie-Neuve.

Il en faudrait 200 tonnes pour que l’affaire soit rentable « mais on y arrivera », assure l’entrepreneur qui compte prospecter dans le Queyras pour obtenir davantage de connexes de mélèze « car la matière s’agglomère mieux et le rendement est meilleur ». L’entreprise est à flux tendu, parce que l’activité démarre. Mais aussi parce que ce système de chauffage séduit de plus en plus de foyers, notamment grâce à son rapport rendement /prix.

Un voisin vient justement acheter trente paquets, « ça me durera un mois et demi – deux mois, tout dépend de la température extérieure », souligne-t-il, satisfait de « ce produit performant ». A contrario, des granulés de mauvaise qualité « peuvent provenir de bois pourri ou de palettes broyées », décrypte Joël Hermitte. À raison de 4,40 euros le sachet, la consommation énergétique de ce client revient à 132 euros (plus électricité). Rien à voir avec le prix devenu exorbitant du gaz ou du fioul.

 

Économique et facile à utiliser

poêle à granulés de bois
Fonctionnement du poêle à granulés de bois (dit aussi pellets) @Effy

Le poêle à granulés, s’il est de qualité (il en existe différentes sortes – voir bonus), donne un bon rendement. C’est le rapport entre l’énergie restituée (la chaleur) et l’énergie consommée (le combustible).

Le rendement de l’appareil à granulé atteint 90%. Quand celui à bûches sera de 70 à 85% et celui des cheminées à foyer ouvert de 10%.

Ensuite, les appareils « sont équipés d’un écran qui programme à distance le démarrage et l’arrêt du poêle. Et permet de consommer juste ce qu’il faut par rapport à la température souhaitée, alors que la bûche se consume jusqu’au bout », argumente Joël Hermitte.

 

50 tonnes en quatre mois

Joël Hermitte granulés de bois
Sacs de 15 kilos de granulés de bois. @Marcelle

L’idée de diversifier son activité de scierie et menuiserie, survenue il y a cinq ans, est le fruit de plusieurs facteurs. Joël Hermitte a réalisé que les déchets de sa scierie qu’il vendait aux Italiens depuis trente ans « pour rien » avaient de la valeur.

Il a également compris qu’il était temps de compléter son activité, lors d’un chantier de chalets à Montclar, « j’étais le seul constructeur français. Les autres venaient de l’étranger et proposaient des chalets à moindre coût. J’ai compris que ce n’était pas la peine de s’acharner et qu’il valait mieux se diversifier ».

Dernier facteur qui lui sert de déclic : la demande quasi automatique de ses clients d’installer des conduits à poêle lors de la construction de leur maison. « Je me suis dit alors que ce système de chauffage allait forcément se développer ». Il a eu le nez creux. Depuis l’interdiction des chaudières à fioul en juillet 2022, pour les nouvelles installations (bonus), la demande a explosé.

 

La vente des chaudières à granulés a été multipliée par près de cinq depuis 2010, selon une étude de l’Observatoire des énergies renouvelables (Observ’ER)

 

Écologique, vraiment ?

Les déchets d'une scierie transformés en combustible vertueux 1
 »Pellets de Montclar » @Marcelle

Un poêle à granulés fait partie des systèmes de chauffage les plus propres et les plus écologiques. Cependant, son bilan carbone est vraiment neutre si les granulés proviennent d’un circuit court. Dans une démarche écologique, Joël Hermitte va plus loin en mettant en place une consigne. Les clients peuvent remplir à nouveau leur sac pour 20 centimes de moins. « Il peut servir deux fois et la troisième, de poubelle ».

Fourmillant d’idées, cet actif projette de grands sacs d’une tonne, une formule vrac. Ainsi que des panneaux photovoltaïques sur la toiture pour faire fonctionner les machines en autonomie. À 64 ans, ce grand-père n’est pas prêt à prendre sa retraite. En revanche, il est l’heure de découper le cochon dans le laboratoire qui jouxte la maison de famille.♦

 

Bonus

  • Disparition de l’orme. Selon Jardins de France, l’orme a été depuis toujours le fidèle compagnon de l’homme qui l’a planté en arbre isolé pour son ombre et sa beauté, dans les haies comme abris pour son bétail ou brise-vents pour ses cultures. De tout temps et en tout lieu, il a fourni à l’homme du bois de chauffage et d’ébénisterie. Ainsi que du bois d’œuvre (affûts de canons, navires…). Riche en protéines, le feuillage a été utilisé comme nourriture pour le bétail (et quelquefois pour l’homme). Il a servi de tuteur aux vignes romaines et voyagé au gré des conquêtes, de l’Italie à l’Espagne. Deux épidémies successives d’une maladie de flétrissement – la graphiose de l’orme – ont décimé une majeure partie. Il s’agirait d’une des plus grandes catastrophes écologiques qui n’ait jamais touché une essence forestière.

 

  • Bois de contrebande : Mozambique, Madagascar, Roumanie… Le trafic illégal et par conséquent la déforestation touchent de nombreux pays. Lire article dans Le Monde ‘’En Roumanie, un gigantesque trafic commercial menace une des dernières forêts primaires d’Europe » ici. Et regarder le reportage sur le trafic illégal en République démocratique du Congo sur Tf1 ici
(Re)lire Des bombes végétales pour reboiser et refleurir les zones dévastées

 

  • Coût de l’activité granulés pour entreprise Joël Hermitte. Cette nouvelle activité a nécessité 600 000 euros d’investissement (bâtiments, machines, matériel roulant comme les camions de livraison…). Les machines (240 000 euros) ont bénéficié d’environ 50% d’aides de la Région et de l’État. Prochains investissements : une écorceuse pour consommer des arbres de trituration car il faut enlever l’écorce pour fabriquer des granulés. « Il existe en effet deux types de bois. Du bois d’œuvre pour la charpente et la menuiserie. Et du bois de trituration destiné à la pâte de papier, pour l’usine de Tarascon, et l’énergie », détaille Joël Hermitte.

Liste des autres granulés issus de production française ici.

 

  • Différents poêles à granulés. Il existe plusieurs types d’appareils détaillés dans le guide d’achat d’UFC Que Choisir, de 1800 euros à 3600 euros. Selon leur étude publiée en décembre 2021, le poêle ventilé se taille la part du lion : il représente 64% des installations chez nos répondants, loin devant le poêle à convection naturelle (18%) et le poêle à air chaud canalisé (12%). À noter : 55% des poêles étaient, au moment de leur achat, labellisés ‘’Flamme verte’’. Ce label permet notamment de s’assurer de l’éligibilité de l’appareil aux critères de MaPrimeRénov’ (aide financière pour la rénovation énergétique).
(Re)lire La coopérative d’Estandon plante 670 arbres dans ses vignes

 

  • Pourquoi mettre fin au chauffage fioul ? Hellio, spécialiste en maîtrise d’énergie, avance trois raisons économiques et écologiques. La pollution environnementale : l’extraction du pétrole, sa transformation puis la combustion du fioul domestique rejettent énormément de gaz à effet de serre. De plus, il s’agit d’une énergie fossile et donc non renouvelable.

Le coût élevé de l’énergie : malgré une baisse en 2020 due entre autres à l’épidémie du Coronavirus, le fioul demeure bien plus cher que le bois de chauffage (bûches ou granulés), et légèrement plus coûteux que le gaz naturel.

Le mauvais confort de chauffe : même si les appareils modernes bénéficient de technologies performantes comme la condensation, la plupart des chaudières fioul datent d’avant 2020. Résultat : une efficacité médiocre et certains équipements totalement vétustes.

Le gouvernement multiplie les aides financières, désormais accessibles sans condition de revenus, pour encourager les Français à installer une chaudière à bois.

D’après Joëlle Hermitte, il est possible de remplacer facilement une chaudière à mazout par une à granulés, « il suffit juste de remplacer le brûleur et de l’équiper d’un silo ».