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Quand les citoyens s’emparent de la France de demain

Par Nathania Cahen, le 4 juin 2020

Journaliste

L'équipe de Make.org à l'occasion des « Talent Award for Democracy »

Consommation-alimentation, environnement et politique économique sont les trois grands thèmes qui dominent les 20 000 propositions faites dans le cadre de la consultation « Comment inventer tous ensemble le monde d’après ». Une initiative de la plateforme de lobbying citoyen Make.org. Décryptage.

 

En province, on ne connaît pas forcément Make.org, groupe de lobbying citoyen cofondé en 2016 par Alicia Combaz et Axel Dauchez (ancien président de Publicis et de Deezer). Grâce à sa plateforme unique de consultation massive, il est capable de toucher plusieurs millions de personnes pour des sondages sur les grandes causes et les grands débats, ou pour des consultations de masse.

La consultation citoyenne « Comment inventer tous ensemble le monde d’après » s’est étalée entre le 10 avril et le 25 mai. Elle a enregistré 165 000 participations, 20 000 propositions et 1,7 million de votes. Un succès qui a dépassé, et de loin, les espérances des organisateurs. Avec un profil de participants plutôt diversifié : 60% de femmes, 76% hors Île-de-France, 32% de moins de 35 ans et 18% de plus de 65 ans.

La crise inédite à laquelle nous avons été confrontés pourrait-elle être un nouveau signal de l’urgence à changer nos modèles de société ? C’est en partant de ce constat, et parce que des décisions structurantes pour notre avenir commun sont déjà en discussion, que ce sondage a été mis sur pied. Autour de son berceau, des parrains -la Croix-Rouge française, WWF France, le Groupe SOS- et partenaires -Unis-Cité et le Mouvement UP- de choix se sont fédérés.

 

14 propositions fortes

Parmi les propositions faites en ligne, 14 ont reçu le statut « prioritaires » ou « plébiscitées », à savoir qu’elles capitalisaient au moins 80% de votes pour. Elles feront office de boussole des priorités pour l’ensemble des acteurs de la société civile. Elles ont été dévoilées le 28 mai dernier :

Quand les citoyens s'emparent de la France de demain

  1. Favoriser la consommation locale et les circuits de proximité
  2. Se diriger vers une agriculture alternative
  3. Limiter la production de déchets, notamment les emballages et le plastique, et favoriser le recyclage
  4. Relocaliser certains secteurs économiques stratégiques en France et en Europe
  5. Repenser l’éducation en faveur et de l’humain et de l’environnement
  6. Mettre l’environnement et le social au cœur des politiques publiques et de la fiscalité
  7. Progresser vers la ville durable
  8. Favoriser les mobilités écologiques et limiter les transports polluants
  9. Mieux considérer les métiers essentiels
  10. Augmenter la durée de vie des produits
  11. Rendre plus attractifs les métiers de la santé et donner plus de moyens aux hôpitaux
  12. Modifier en profondeur notre modèle économique pour un système plus soutenable
  13. Protéger la biodiversité, les espèces et leur milieu
  14. Améliorer notre fonctionnement démocratique en donnant plus de pouvoir d’actions et de décisions au citoyen
Des citoyens refont le monde (enfin la France) 2
Axel Dauchez

On le voit, trois pôles forts se détachent : la consommation- alimentation, l’environnement et la politique économique. Axel Dauchez, cofondateur de Make.org, a commenté quasiment à chaud et complété : « Il y a trois facteurs à prendre en compte dans cette consultation. Une communauté d’épreuve inédite. Plus de temps que d’habitude pour réfléchir. L’incertitude concernant le futur ». L’ensemble a inspiré ces réflexions sur ce que pourrait être le monde d’après. Sur quelles bases il pourrait reposer.

 

Consommer plus local

En tête du tableau, alimentation et consommation. Avec la préconisation de consommer local, de favoriser les circuits de proximité – « tendance qui s’est renforcée pendant le confinement. À laquelle s’est adjointe le Bon plan : ces producteurs qui viennent à nous !souhait d’une indépendance alimentaire vis-à-vis des autres pays », souligne Axel Dauchez. Pour l’agriculture, plus de bio. Mais aussi moins d’élevage intensif et une pêche raisonnée. Sans négliger le corollaire d’une production plus locale : moins de transport aérien et routier.

Invitée à réagir sur le sujet, Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France rappelle comment l’intrusion de l’homme dans les écosystèmes a généré toutes sortes de déséquilibres dans la nature et altéré certains de ses régulateurs. « Notre modèle agricole se trouve dans une impasse, cette crise est l’opportunité de basculer vers une agriculture diversifiée, résiliente, et re-territorialisée. Plus d’écologie, tout en visant une baisse de 50% des pesticides d’ici 2030 ». Et de rebondir sur la question de la souveraineté alimentaire : « Le Covid a mis en lumière nos limites. Trop de céréales et pas assez de légumineuses notamment ».

 

Haro sur l’obsolescence programmée

Concernant l’environnement, de nombreuses propositions ont évoqué la limitation des emballages qui deviennent autant de déchets en développant vrac, consignes ou filières de recyclage. L’obsolescence Des citoyens refont le monde (enfin la France) 1programmée de nombreux objets est dénoncée. Les villes durables et végétalisées sont également attendues, assorties de modes de transport doux et écologiques – vélo, covoiturage, électrique. Pour Jean-Marc Borello, président-fondateur du groupe SOS, « le bon sens implique de changer de modèle. Une évidence dont procède par exemple le concours Fermes d’avenir ». Tout n’est pas à jeter, le monde d’après peut s’inspirer du monde d’avant mais il faut rappeler certains impératifs : « Dans le monde de l’entreprise, impacts économique, social, et environnemental doivent aller de pair. Et si la solidarité ne s’intensifie pas, la transition écologique ne pourra se réaliser. L’économie n’a de sens qu’au service de l’intérêt général. Il faut donc plus que jamais défendre le modèle de l’entreprise sociale ».

 

Relocaliser les secteurs stratégiques

Sur la politique économique, enfin. Il apparaît important de relocaliser certains secteurs économiques Jours de confinement #S3 7stratégiques en France ou en Europe. Qu’il s’agisse de médicaments ou produits liés à la santé, d’alimentation ou de textile, dont l’absence de stocks a pu occasionner des inquiétudes durant la crise sanitaire. Pour beaucoup de participants, il faut modifier en profondeur le système économique pour un modèle plus soutenable. Se diriger vers un capitalisme responsable, qui a davantage de considération pour les métiers essentiels.

L’environnement et le social doivent être placés au cœur des politiques publiques et fiscales. Des mesures doivent être prises dans ce sens comme, par exemple, un renforcement du principe du pollueur-payeur.

 

Revaloriser le médico-social

La question de la santé a été abordée par Jean-Christophe Combe. Avec différents leviers à activer, à commencer par « des parcours professionnels plus valorisants dans le médico-social pour répondre à l’envie d’engagement des jeunes ». Le directeur général de la Croix-Rouge française rappelle que si la santé est un bien commun, il faut mettre en œuvre des solutions contre la précarité de certains, facteur de comorbidité, et cela passe par la prévention et de nouvelles dynamiques territoriales. Sa conclusion : « il faut réinventer un nouvel humanisme, fondé sur plus de solidarité et une mobilisation collective du public et du privé. Et donner ainsi à chacun la capacité d’être acteur de sa propre sécurité ». Assorti d’un dernier vœu, « être en capacité de former l’ensemble de la population aux gestes qui sauvent ».

 

De la consultation à l’action

Et maintenant ? À quoi vont servir ces consensus citoyens ? « À passer à l’action, assure Axel Dauchez. En créant une communauté opérationnelle à partir de cette épreuve ». Et en initiant des actions de deux natures : civiles (avec les citoyens, les association, les entreprises) et publiques (avec des textes de loi, des réglementations, des budgets). « Deux jambes sur lesquelles s’appuyer ».

Autour des 14 propositions listées plus haut, un appel à projet est lancé à tous, pouvoirs publics compris. Les idées et initiatives doivent être envoyées à initiative@inventonslemondedapres.org. Le tout est coordonné par Make.org et une trentaine d’associations partenaires. Fin juin, un plan d’action permettra de mettre en valeur ces différentes initiatives. Et en octobre, à l’occasion du festival de Mouvement Up, il sera temps de mesurer les premiers résultats. De juger si un frémissement a eu lieu. Marcelle s’en fera l’écho ♦

 

Bonus – Make.org, la genèse, la philosophie, l’éthique et le financement

La plateforme Make.org –  Elle est née d’un constat : face à l’affaiblissement démocratique, les citoyens sont plus que jamais prêts à s’investir au service de l’intérêt général. Le projet en découlant était ainsi d’engager la société civile dans la transformation positive de la société. « Nous pensons que cette action collective des citoyens, des associations, des entreprises, des institutions et des médias en faveur du bien commun peut faire évoluer notre société de façon déterminante, à l’échelle nationale et européenne, et qu’elle permettra de reconstruire un socle partagé grâce auquel notre démocratie et nos institutions redeviendront durables », avance le tandem de cofondateurs. « Nous avons la conviction que ces changements ne peuvent se construire que sur des consensus populaires. Notre démarche, dans chacune de nos activités, consiste donc à chercher la part d’adhésion commune sur laquelle l’engagement collectif peut se bâtir. Face à la fragmentation de notre société, c’est en engageant les citoyens autour de ces consensus que nous pourrons réconcilier le corps social, et retrouver notre capacité à traiter nos dissensions ».

Pour faire émerger ces « consensus engageants », Make.org a développé cette plateforme unique de consultation massive, capable de toucher plusieurs millions de personnes. En répondant à une question ouverte d’intérêt général, chacun peut faire des propositions et voter sur celles des autres participants. Les algorithmes développés permettent de mesurer l’engagement et l’adhésion des citoyens à chacune des propositions, et ainsi d’identifier les idées plébiscitées par le plus grand nombre. Le système a été conçu pour extraire des résultats statistiquement représentatifs, notamment en empêchant les actions de trolling et la surreprésentation de groupes d’intérêt constitués.

La mise en œuvre des actions issues des grandes causes passe par Make.org Foundation, fonds de dotation qui assure le financement philanthropique et la réalisation de ces projets.

Comme l’exprime sa charte éthique, Make.org est une plateforme démocratique, civique et européenne, neutre, indépendante, transparente (son code est ouvert) et respectueuse des données personnelles. Une ambition assurée par une gouvernance approfondie, et contrôlée par un comité éthique indépendant. Make.org est également à l’origine, en novembre 2018, de l' »Initiative pour une démocratie durable », la première alliance stratégique globale entre États, collectivités locales et organisations de la Civic Tech pour sauver et pérenniser le modèle démocratique.