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Des « cryo » banques génétiques pour sauver la biodiversité

Par Paul Molga, le 1 février 2023

Journaliste

Donner à l’éléphant d’Asie certaines des caractéristiques génétiques… du mammouth, pour sauver le permafrost © Colossal

Faute de pouvoir enrayer l’effondrement des espèces, les scientifiques s’organisent pour en conserver le matériel génétique. À charge aux générations futures de trouver le moyen de leur redonner vie.

 

On les appelle les « zoos de glace » et c’est dans le désert Al Wusta du Sultanat d’Oman que vient de naître le dernier d’entre eux. Connu pour avoir introduit le principe du pollueur-payeur, ce petit territoire aride vient d’annoncer la création d’une banque d’ADN destinée à « congeler les actifs génétiques des animaux sauvages menacés ». Parmi eux figurent nombre d’oiseaux, mais aussi le léopard d’Arabie classé en danger critique d’extinction par l’Union International pour la Conservation de la Nature. Ou le thar de l’Himalaya, une des dernières chèvres alpinistes de cette région du monde. Et cinq des sept espèces de tortues marines de la planète, toutes menacées de disparition.

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Des milliers d’espèces pourraient s’éteindre avant la fin du siècle © Pixabay

Oman ne fait pas exception. Ces 50 dernières années indique le WWF Living Planet Report 2022, les populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont déjà chuté de 68% sur la planète. Depuis la publication de ce rapport, une trentaine d’autres espèces ont définitivement été effacées des registres scientifiques. Les perspectives laissent pantois : pas moins d’un million pourraient encore s’éteindre avant la fin du siècle.

Pour ne pas se laisser déposséder par cet effondrement, nombre de nations ont donc fait une priorité de la préservation du matériel génétique de la vie sauvage et domestique. « On est là devant un impératif scientifique », souligne l’Organisation des Nations-Unis pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

 

Stockage à très basse température

À San Diego, feu Kurt Benirschke, ancien pathologiste à l’université de Californie a ouvert la voie dès 1972. Bien avant que les scientifiques ne s’intéressent au potentiel de la recherche génétique et des sciences de la reproduction. Depuis, son Frozen Zoo s’est hissée au premier rang des banques cryogéniques animales du monde, avec des échantillons d’ADN, de sperme, d’ovules, de cellules de peau et d’embryons provenant de plus de 1250 espèces. Stockées à très basse température dans des réservoirs d’azote liquide, ces cellules y sont collectionnées en plusieurs exemplaires : six gamètes de femelles et autant de mâles.

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Des chevaux de Przewalski, plus proches parents du cheval domestique © Pixabay

La San Diego Zoo Wildlife Alliance, qui gère ce coffre-fort de la biodiversité, puise ses précieuses cellules dans les zoos et sanctuaires de la vie sauvage du monde entier. La moitié provient d’espèces menacées ou éteintes. « Ces lignées cellulaires sont une ressource inestimable pour la restauration des écosystèmes », explique Barbara Durrant, directrice des sciences de la reproduction de l’Alliance. En 2020, elle a ainsi rétabli la variation génétique nécessaire à la survie d’une population de furets à pieds noirs jugée en danger critique d’extinction dans le Wyoming.

La même année, un des rares chevaux de Przewalski, le plus proche parent du cheval domestique dont il reste quelques spécimens à l’état de captivité, a lui aussi été cloné avec succès, donnant naissance à un poulain en bonne santé, baptisé Kurt. « Cet animal va fournir la diversité biologique nécessaire à la survie de l’espèce », est persuadée L’Alliance. De fait, son matériel génétique a déjà permis de rétablir 44 espèces menacées.

 

♦ Lire aussi : C’est quoi au juste la biodiversité ?

 

Course à la désextinction

Des "cryo" banques génétiques pour sauver la biodiversité 3Le Frozen Zoo a fait des dizaines d’émules dans le monde. Tous rêvent de désextinction. À la tête de la bio-banque britannique Nature’s Safe, un spécialiste de l’insémination artificielle qui mène ses travaux sur les méthodes de cryoconservation de semence et d’embryons équins. Tullis Matson estime que « d’ici quelques décennies, on saura transformer les cellules vivantes préservées en cellules souches pluripotentes, qui pourront être reprogrammées pour produire des spermatozoïdes et des ovules ».

La start-up américaine Colossal Biosciences pense cet objectif déjà à portée d’éprouvette. Avec 75 millions d’euros levés fin 2021, cette société créée par le généticien de renom Georges Church de l’université de Harvard, ambitionne de donner à l’éléphant d’Asie certaines des caractéristiques génétiques… du mammouth. En utilisant la technologie cellulaire Crispr/Cas9 récemment nobélisée pour sa capacité à reconnaître et couper un code spécifique d’ADN dans un noyau, l’entreprise a déjà sélectionné une cinquantaine de traits de l’espèce disparue il y a 4000 ans. De quoi « augmenter » son parent contemporain en le dotant notamment d’un épais pelage et d’une résistance au froid hors norme. Avec leur poids, ces troupeaux génétiquement modifiés pourraient sauver le permafrost du réchauffement climatique dans les steppes nordiques, rêve Church.

 

Rééquilibrage écologique

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Le numbat, un petit marsupial insectivore d’Australie © Pixabay

Associée à l’université de Melbourne, son équipe s’est également attaquée à la résurrection d’un autre totem disparu de la planète : le tigre de Tasmanie. Popularisé par une série animée de Looney Tunes dans les années 90, ce superprédateur australien s’est éteint il y a un moins d’un siècle, après des millions d’années passées sur Terre. « Son retour permettrait de rétablir l’équilibre écologique de son île. Car la Tasmanaie est rongée par la surabondance de petits marsupiaux qu’il chassait », espère Andrew Pask, responsable du laboratoire de recherche sur la restauration génomique du Thylacine, l’autre nom donné à l’animal. Son génome a été séquencé en 2017 à partir d’échantillons de bio-banque. Cette année, celui d’un petit marsupial insectivore proche parent, le numbat, a été complété, faisant naître l’espoir d’une possible recombinaison génétique.

Produire un bébé à partir de ce matériel ne sera cependant pas aisé. Des travaux ont certes prouvé qu’il était possible de reconstituer fidèlement le génome complet d’une bactérie en assemblant dans le bon ordre les fragments d’ADN obtenus par synthèse chimique qui le composent. Mais reconstituer le génome d’un mammifère est une tout autre affaire. En effet, la longueur de l’ADN est d’1,50 mètre pour le mammouth, soit 1000 fois la taille d’un génome de bactérie et plus de 4 milliards de paires pour la séquence complète.

S’ils passent cette étape, les scientifiques de Colossal devront parvenir ensuite à introduire sans rejet le noyau cellulaire contenant l’ADN obtenu dans l’ovocyte énucléé d’une porteuse. Les sceptiques rappellent qu’il a fallu 260 tentatives pour réussir le clonage de la brebis Dolly, portée par sa propre espèce. ♦

 

Bonus
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7,5 millions d’échantillons de semences conservés à travers le monde © Pixabay
  • Graines en stock. Près de 1750 greniers à grains ont fleuri dans le monde pour conserver la biodiversité végétale de la planète. Selon les estimations, une centaine de pays abriteraient ainsi 7,5 millions d’échantillons de semences. Dont pas loin de 2 millions d’espèces uniques. « Une police d’assurance », défendent leurs gardiens. Bien souvent, elles ont pris racine depuis des décennies.

À Saint-Pétersbourg, la plus ancienne, née à la fin du 19ème siècle, abrite par exemple 325 000 spécimens. En Corée-du-Sud, à Jeonju, 200 000 variétés de céréales anciennes sont précieusement conservées à des températures de -18°C. À Pékin et New Delhi, les autorités veillent aussi au grain sur des collections de plusieurs centaines d’espèces de plantes cultivées localement.

En France, l’Institut national de recherche agronomique abrite une bibliothèque génétique comptant 568 espèces. Notamment des variétés modernes, créées par ses chercheurs.  Or,« ces ressources phytogénétiques garantissent notre sécurité alimentaire à long terme. Elles sont essentielles pour améliorer la productivité et la qualité des produits agricoles », explique Ali Sahri, l’un des responsables de cette banque basée à Settat (Maroc).

 

♦ (re)lire : La faune aquatique pistée dans les oeuvres d’art

 

  • Une réserve mondiale. Ces coffres-forts entreposent généralement des doubles de leur précieux contenu dans la réserve mondiale de semences du Svalbard, en Norvège. Cette forteresse est creusée dans le permafrost à un millier de kilomètres du pôle Nord. Avant la crise sanitaire, elle a même franchi le cap du million d’échantillons de semences provenant de 5000 espèces. Soit l’équivalent de deux cinquièmes des variétés estimées dans le monde.
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La réserve de Svalbrad © Svalbard Global Seed Vault
  • Repères – Six extinctions massives

– 440 millions d’années. Fin de l’Ordovicien. L’extinction touche des espèces marines.

– 370 millions d’années. Fin du Dévonien. Disparition de nombreuses espèces marines comme les brachiopodes.

– 250 millions d’années. La grande crise de la fin du Permien. Plus de 90% des espèces vivantes disparaissent.

– 215 millions d’années. Entrée dans le Jurassique. L’extinction touche surtout les reptiles et les amphibiens.

– 65 millions d’années. Début de l’ère tertiaire. Disparition des dinosaures et de nombreux groupes de mollusques et de reptiles marins

– 250 000 ans. Début de l’extinction moderne. L’homme devient un facteur majeur d’extinction de masse.