Économie

Par Olivier Martocq, le 16 février 2024

Journaliste

Alexandra Rigo, Jup’On

La matière première de cette jupe de protection : des jeans usagés collectés, ou les déclassés de Rica Lewis ©Jup'On

[Héroïne du quotidien] Protéger les conducteurs de scooters des frimas et des averses grâce à des jupes éco-responsables : c’est le cœur de la petite entreprise d’Alexandra Rigo, dont les Jup’On n’ont rien de fripon. En jean recyclé, bien au contraire, ils ont tout bon !

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2002. Pour beaucoup d’entre nous, c’était encore le monde d’avant. C’est pourtant l’année ou Alexandra Rigo a basculé dans ce que l’on appelait avec un peu de condescendance le développement durable. Jusqu’alors salariée de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille Provence, elle décide de suivre un cursus diplômant de management en économie circulaire. Et va désormais se passionner pour ces questions avec le prisme de l’entreprise. Les conseiller sur les questions de mobilité, puis sur la RSE. Aujourd’hui, elle a franchi le Rubicon, devenue entrepreneuse sur une niche au croisement d’interrogations environnementales : des vêtements adaptés à la pluie et au froid pour scooter.

Être passée par la communication et le marketing, c’est une bonne école quand on veut lancer un concept et une marque. « Rouler stylé » : deux mots résument l’idée et la niche. L’absence de solution adéquate, Alexandra Rigo la vivait au quotidien. « Pour se protéger du froid et de la pluie, chaque modèle de scooter propose un système adaptable. C’est cher et surtout peu esthétique ». Adepte de ce moyen de locomotion, elle n’a jamais trouvé jupe à son goût, d’où sa bascule dans l’aventure entrepreneuriale en 2023. Pour la marque, elle sait qu’il lui faut trouver un nom signifiant : ce sera Jup’On, à la fois international via l’anglicisme qui signifie littéralement « jupe au-dessus ». Mais qui renvoie également à la mode française, intemporelle par excellence, et à son jupon.

Un produit en apparence simple, mais…

Des jupes pour scooter en jean recyclé 1
« Jup’On n’est pas 100% écoresponsable, mais on tend vers cet objectif » ©Jup’On

Jup’On est une jupe unisexe qui, à la manière d’un tablier de cuisine, se fixe à la taille, plutôt que sur le deux-roues. Une fois son trajet terminé, au lieu de rester attaché au scooter, l’équipement de protection se plie facilement dans le pochon destiné à cet effet et peut se ranger sous la selle ou dans le top-case. Alexandra étant une « motarde », elle a prévu une fente sur la jupe pour conserver une liberté de mouvement. Des attaches où passer les pieds afin qu’elle ne se soulève pas, mais aussi une poche sur le devant pour glisser téléphones et autres portefeuilles.

« Même si le look est l’élément déterminant du produit, car il rompt avec la grisaille habituelle, Jup’On a été spécifiquement conçue pour répondre à la réalité des pilotes de scooter, détaille la conceptrice. Elle est confortable, pratique, de qualité et permet de rouler en toute sécurité. Pas que sur un deux-roues d’ailleurs. Les trottinettes sont un marché secondaire possiblement porteur ».

Des jeans recyclés

Reste le fond, la démarche. Alexandra Rigo entend faire de Jup’On un modèle d’écoresponsabilité. « J’ai tout pensé en ce sens. Sur le papier ça semble assez simple, la réalité est bien différente. Car même si les gens sont ouverts et favorables, il y a toute une chaîne à mettre en place. Et c’est loin d’être évident ». Récupérer les jeans qui constituent la matière première de la jupe n’a par exemple pas été une sinécure. « J’ai installé des corners pour les récupérer dans différents centres commerciaux de la ville. Mais la plupart des gens ne le savaient pas. Ils trouvaient l’idée bonne, mais n’imaginaient pas revenir exprès pour se débarrasser de leurs vieux pantalons ».

Plus de cent jeans collectés

Alexandra Rigo, fondatrice de Jup’On avec un jean patchwork @Jup’on

Résultat, 123 jeans ont quand même été récupérés au fil de diverses collectes en 2023. « Le chiffre de 123 peut paraître dérisoire, mais en équivalent économie de CO2, il fait tout de suite sens. En effet, cela représente 74 kilos de vêtements, soit 4 tonnes équivalent de CO2, compte tenu des lieux et méthodes de fabrication de ce tissu importé à 98% ». Comme il faut 1,5 jean pour fabriquer une jupe, ce ramassage a permis d’en fabriquer 82. Autre source d’approvisionnement pour Alexandra Rico, les jeans déclassés de la marque marseillaise fondée en 1928, « Rica Lewis ». Une centaine de kilos. La matière première si difficile à se procurer est optimisée en réduisant au maximum les chutes et les rebuts de tissus. « Le patchwork est tendance pour ce type de produit. On en a tenu compte dans le design et la coupe ».

Des ateliers solidaires et locaux

©Jup’On

La fabrication donne lieu à la même application du principe d’écoresponsabilité. Alexandra Rigo s’est ainsi adressée à des ateliers solidaires pour sortir ses modèles. « Marseille est une ville qui développe l’inclusion par le travail notamment dans les métiers qui touchent au secteur de la mode », souligne-t-elle. La FicelleLa Fabrik du Sud et 13 A’tipik ont répondu présent et l’accompagnent. « C’est une vision partagée. Ils croient à mon projet ont travaillé avec moi sur les coupes, formes et coloris. En faisant appel à leurs compétences, je soutiens l’économie sociale et solidaire. Ainsi que le retour à l’emploi de populations qui s’en étaient éloignées », explicite-t-elle encore.

Et qui dit petites séries, dit pas d’invendus ni de stocks. Pas d’emballages non plus, puisque la jupe est fournie dans son sac de rangement. « Jup’On n’est pas 100% écoresponsable, mais on tend vers cet objectif », espère Alexandra Rico. Du reste, elle a signé en février, soit un an tout juste après le lancement de la marque, un premier contrat d’envergure, pour 100 pièces. « C’est un gros concessionnaire qui entend fournir à ses clients une jupe. Elle fera partie du kit de mise en route offert lors de l’achat d’un scooter. Il va apposer son logo à côté du mien. Ce sera un bon vecteur marketing et communication ». À 50 ans, la start-uppeuse écoresponsable n’a rien oublié des leçons de sa vie professionnelle passée. ♦