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Des objets 3D pour ceux qui ont perdu l’usage d’une main

Par Nathania Cahen, le 11 mars 2020

Journaliste

One Hand Designed est la toute jeune entreprise montée par Rami Wehbe. Il était jeune étudiant quand un AVC l’a laissé hémiplégique. Il n’a toujours pas retrouvé l’usage de sa main droite mais s’emploie à créer les accessoires qui facilitent son quotidien et celui des personnes affectées d’un handicap semblable, de la manette de jeux au décapsuleur.

 

Il est devenu une sorte de Géotrouvetout par la force des choses. Même s’il se souvient que petit, il rêvait d’être inventeur, à l’image de Léonard de Vinci, son héros…

On est en novembre 2014. Rami Wehbe, 20 ans, est étudiant en génie industriel à Centrale Lille. Il passe une soirée avec sa petite amie d’alors, ressent une migraine, peut-être liée aux contrôles de la journée. Et soudain une douleur fulgurante à l’arrière du crâne. Il ne parvient plus à parler, s’effondre. Pris en charge par les pompiers, il est sauvé. Mais le diagnostic est violent : un accident vasculaire cérébral (bonus) à l’origine d’une hémiplégie du côté droit. « Bien sûr je suis droitier », sourit Rami, anticipant ma question. « C’est très frustrant et imprévisible quand on a 20 ans, qu’on ne fume pas, qu’on boit modérément. Et c’est plus fréquent qu’on ne l’imagine ». Il va passer un an dans des hôpitaux et centres de rééducation, entre Lille et Paris. Recouvrer l’usage de sa jambe, l’usage de la parole. Mais des séquelles subsistent : l’avant-bras et la main droite restent paralysés. Des séances chez le kiné ponctuent toujours son quotidien.

 

Retrouver un équilibre

Ses passions de toujours sont les voyages, la musique et les jeux vidéo. Il assouvit sa bougeotte et sa curiosité en visitant le Japon, « mon rêve de toujours », puis l’Italie et d’autres pays d’Europe – « J’étais pressé, en mode yolo (1), avec l’urgence de réaliser mes rêves. Imaginez un autre AVC ! »

Il y a trois ans, Rami crée un compte sur la chaîne Youtube. D’abord pour raconter et partager son histoire. Beaucoup de personnes s’abonnent rapidement à ses publications (plus d’un millier à ce jour), s’y retrouvent, partagent leurs retours d’expériences quand elles aussi sont affectées par un handicap.

Des objets 3D pour ceux qui ont perdu l’usage d’une main

Puis, à partir de 2018, Rami s’empare de sa vocation d’inventeur. Installé à Marseille désormais, il endure au quotidien petites et grandes contrariétés liées à la privation de sa main droite. Comme il est fan de jeux vidéo et inconditionnel de la Nintendo Switch, il cherche d’abord une solution pour manier la manette d’une seule main. Avec son imprimante 3D, il crée l’accessoire idoine, l’adaptateur Nintendo Switch One Hand (deux modèles, pour la main droite, et pour la gauche, aujourd’hui disponibles en version 4). Dans la foulée, il monte son autoentreprise, One Hand Designed, bien décidé à multiplier les inventions utiles à la communauté des « PMR » (personnes à mobilité réduite). Sont apparus depuis 14 nouveaux objets : coupe-ongles, porte jeu de carte, décapsuleur, anneau pour maintenir les pages, zip pour remonter plus facilement les fermetures éclair… Il réfléchit à un accessoire pour caler les pots de yaourt. Le tout made in France, vendu à petits prix sur la page boutique de son site.

 

Trouver un modèle économique durable

Fort de sa seule allocation Adulte Handicapé, le jeune homme s’est d’abord fait accompagner par BGE PACA, un réseau national d’associations au service de la création d’entreprise. Mais aussi par l’Agefiph (association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées) auprès de qui il a obtenu les 8 000 euros qui lui ont permis d’investir dans un ordinateur et une imprimante 3D. Et depuis deux semaines, le voilà résident du Carburateur (relire notre article sur cet incubateur-pépinière des quartiers nord de Marseille) pour un trimestre. « Nous allons lui faciliter la tâche. L’accompagner pour consolider son projet, en matière de marketing, de communication, de modèle économique…, explique Muriel Bernard-Reymond, la directrice du Carburateur. Nous allons également lui permettre d’étoffer son réseau, lui offrir des expertises, pour le financement notamment. Il dispose ici d’un poste de travail mais aussi d’un environnement porteur ».

Pour Rami, la prochaine étape est… « fabriquer en série et conquérir le monde », plaisante-t-il avant de compléter : « Viabiliser mon projet car je ne peux pas reprendre des études, j’ai perdu en concentration et en célérité. Je dois donc réenvisager ma vie. Et j’ai envie de me sentir utile » ♦

(1) YOLO, acronyme de You only live once, autrement dit, on ne vit qu’une fois.

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

 

*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *

 

 

Bonus [Pour les abonnés] L’accident cardio vasculaire – Le cas Nicolas Huchet avec Bionicohand –

  •  L’AVC – Longtemps considéré comme une fatalité, l’AVC, souvent appelé « attaque cérébrale », est provoqué par un arrêt brutal de la circulation sanguine à l’intérieur du cerveau, qui entraîne la mort des cellules cérébrales. Chaque année, 150 000 personnes sont victimes d’un AVC, plus de 110 000 sont hospitalisées et 30 000 en décèdent. Cette pathologie représente la première cause nationale de handicap acquis de l’adulte : plus de 500 000 Français vivent avec des séquelles. Il représente aussi la 3ème cause de mortalité chez l’homme et la 2ème chez la femme, après les cancers et l’infarctus du myocarde […] La priorité est résolument donnée à la prévention et au contrôle des facteurs de risques de l’AVC, notamment : hypertension artérielle, tabac, obésité abdominale, diabète et sédentarité. C’est un pivot de la stratégie nationale de santé. À ce titre, le programme national de réduction du tabagisme, le programme national nutrition santé et dans le cadre de la LMSS, l’introduction de l’étiquetage nutritionnel des aliments et la prescription médicale de l’activité physique contribuent à agir sur les modes de vie déterminants de risque d’AVC. Informations à retrouver et compléter sur la page du Ministère de la santé et des solidarités.

 

  •  [Ça marche ailleurs] Un autre drame personnel transformé en belle histoire. Paru en 2017, l’ouvrage La France des Solutions consacre un chapitre à Nicolas Huchet et son projet Bionicohand. Il raconte : « En 2002, j’avais 18 ans, j’étais mécanicien industriel quand un accident du travail m’a privé de ma main. J’ai été équipé d’une prothèse d’avant-bras, certes remboursée, mais pas très performante. Dix ans plus tard, en effectuant des recherches, j’ai découvert qu’il existait d’autres modèles, plus sophistiqués mais chers, donc inaccessibles pour moi. Dans le même temps, j’ai poussé par hasard les portes du LabFab, un « fab lab » de Rennes qui m’a ouvert de nouvelles perspectives et permis de voir les choses différemment au contact de la 3D et de l’open source. J’ai compris que mon rêve pouvait devenir réalité. Grâce à l’open source justement, je suis tombé sur le robot français de Gaël Langevin, InMoov, qu’il est possible de reproduire avec une imprimante 3D, du fil de pêche et une carte Arduino (une carte libre équipée d’un microcontrôleur). Les premières expériences, menées avec l’équipe du fablab, sont parties de ce modèle. Nous y avons ajouté le défi de me permettre de bouger la main grâce à des capteurs musculaires qui se collent sur la peau. En 2014, l’association My Human Kit voit le jour, pour développer la santé pour tous à travers l’invention, le partage et la fabrication d’aides techniques aux handicaps. […]L’objectif est de démontrer l’utilité des HumanLabs, de les multiplier en France et dans le monde entier, pour que les personnes handicapées puissent apprendre à s’auto-réparer. Faire la preuve que le handicap peut être compensé, et même dépassé. Mon handicap je l’assume aujourd’hui d’autant mieux qu’il a suscité chez moi une passion. Au-delà de la réparation il y a un message à l’égard des autres, de leur regard suffisamment dérangeant pour que 80% des personnes porteuses d’un handicap ne le déclarent pas…