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Sur les friches industrielles, des prairies fleuries !

Par Régis Verley, le 4 avril 2022

Journaliste

Des friches rendues à la nature, transformées en forêts ou en parcs cultivés et entretenus © G. Lemoine

Friche. Selon le Larousse, il s’agit d’un espace abandonné et non cultivé. Dans l’esprit commun, la friche industrielle évoque un paysage désolé de gravats et de terres. Mais dans les Hauts-de-France, ces vastes étendues sont considérées comme des terrains propices à la biodiversité.

10 000 hectares, rien que pour le Nord et le Pas-de-Calais. C’est le total des surfaces rendues disponibles par la désindustrialisation, la fermeture des mines de charbon, des vastes usines textiles de la métropole lilloise et bien d’autres sites encore, aujourd’hui abandonnés. La moitié d’entre elles sont situées en zone minière du Pas-de-Calais.

 

Du foncier disponible pour les collectivités, les entreprises, des zones vertes ou agricoles…

L’Établissement public foncier des Hauts-de-France (bonus) a déjà acquis 5 000 hectares de ces friches. L’EPF les entretient, dépollue et réaménage pour les rendre aptes à de nouveaux usages. Une partie de ces terrains sont, ou seront, cédés à des collectivités pour des aménagements urbains. À des bailleurs sociaux pour des constructions. Ou permettront à de nouvelles activités économiques de s’implanter.

Parfois, ces friches sont rendues à la nature, transformées en forêts ou en parcs cultivés et entretenus. C’est le cas, par exemple, de la « trame verte » qui traverse la zone minière du Pas-de-Calais. Mais d’autres, en grand nombre, sont précieusement conservées. L’objectif ZAN, « zéro artificialisation nette », prévoit au niveau national de réduire au maximum la destruction des zones agricoles. Et donc d’utiliser au mieux les territoires en friches qui fournissent une réserve de terrains indispensable au futur.

 

Au moins cinq ans pour un nouveau projet

Sur les friches industrielles, des prairies fleuries !
Guillaume Lemoine, référent biodiversité et ingénierie écologique à l’EPF Nord-Pas de Calais © DR

C’est là qu’intervient Guillaume Lemoine, référent biodiversité au sein de l’EPF. « Entre le moment ou un terrain est libéré et celui de son aménagement, il se passe au moins cinq ans d’études et de démarches. Souvent même beaucoup plus », expose-t-il. Et c’est dans ce temps où, livré à lui-même, le terrain en jachère est envahi peu à peu de plantes dites invasives et de peu de valeur. Orties, chardons, armoises communes et autres espèces « à l’esthétisme discutable pour les riverains » se manifestent alors.

« La gestion de ces flores spontanées et souvent exubérantes est coûteuse et peu écologique, explique Guillaume Lemoine. L’apparition de boisements à base d’espèces exotiques ou de ligneux régionaux (saule, boulots…) peut également devenir anxiogène pour les élus et les habitants. Ils craignent l’émergence d’activités illicites -trafics, prostitution, squats, dépôts d’ordures ou de gravats… ».

En langage simple, la question posée est de savoir comment transformer ces terrains vierges en des lieux naturels plutôt agréables et en même temps provisoires. Car il faut aussi que les friches puissent un jour être rendues à leur destination originelle. À savoir l’aménagement de bâtiments industriels ou de logements.

C’est un peu la quadrature du cercle. L’apparition d’espèces protégées compliquerait la cession du terrain à un aménageur. De la même manière, un aménagement paysager trop sophistiqué sera bloquant. « Permettre à des habitants de développer des jardins potagers créerait des déceptions pour ceux qui se seront impliqués pour fertiliser les sols. Et devront les abandonner… ».

Il faut donc favoriser des « usages transitoires » : un temps où la nature rendra le site plus agréable, mais où son entretien sera limité.

 

 

40 hectares de prairies fleuries sur Ugine Kuhlmann

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À Wattrelos, une friche devenue prairie © DR

À Wattrelos, une commune industrielle de la métropole roubaisienne, le site de PCUK (Produits Chimiques Ugine Kuhlmann) est à l’abandon. D’une superficie totale de 47 hectares, il a été dépollué et transformé dans l’attente d’une nouvelle affectation. Plusieurs projets d’installation sont dans les cartons, mais aucun n’a encore abouti.

Pour éviter un affreux et dangereux terrain vague, l’EPF y a planté une « prairie fleurie ». « Cela débarrasse le site des poussières et favorise une bonne acceptabilité pour les riverains. En même temps, cela évite de voir pousser des espèces protégées, ce qui serait un cadeau empoisonné lorsque nous revendrons ce foncier », raconte Guillaume Lemoine.

Accessoirement, cet aménagement permet à l’Établissement public de réaliser des économies pour l’entretien du site.

 

 

Les jachères positives

Il y a d’autres exemples. À l’image de la Lainière de Roubaix, dans la zone de l’Union à Tourcoing. La métropole lilloise a récupéré un millier d’hectares de terrains, libérés par ces immenses entreprises du passé, que l’on a nettoyés et dépollués. Et où l’EPF développe des « jachères positives ». À chaque fois le même souci : éviter des zones d’abandon, offrir un cadre acceptable, limiter les charges d’entretien, et éviter la prolifération d’espèces protégées. Mais aussi ne pas gaspiller un foncier qui devient rare et précieux. Que l’on espère pouvoir utiliser pour des projets de développement urbains et économiques.

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Tout est bon pour favoriser une biodiversité intéressante et temporaire © Guillaume Lemoine

D’autres sites régionaux sont concernés, tels que la cristallerie d’Arques, près de Saint-Omer. Dans le cadre de la restructuration de ses activités, le site a libéré une zone d’une dizaine d’hectares en bordure du canal.

« Même si c’est transitoire, c’est toujours ça de pris », note avec humour Guillaume Lemoine. Cela sauve ainsi les arbres plantés sur les friches anciennes. « Peut-être que les architectes de la reconstruction les abattront. Au moins, ils auront rempli leur rôle purificateur pendant les quelques années d’études et de planification ». Écologue et géographe, ancien responsable d’un espace naturel départemental, Guillaume Lemoine fournit à l’EPF un catalogue d’idées inépuisable. De l’éco-pâturage pour à la fois faire vivre une activité économique et entretenir des pâtures. La plantation de chanvres qui servent de paillage et de clôture, ou de céréales à destination de la méthanisation. Tout est bon pour favoriser une biodiversité intéressante et temporaire.

 

Un prix du « Génie écologique » en 2018

L’EPF teste des mélanges pour favoriser sur ses chantiers des papillons, des bourdons, des abeilles sauvages pour recouvrir les sols et limiter les coûts de gestion.

L’expérience fait école. L’Établissement des Hauts-de-France a obtenu en 2018 le « prix du génie écologique » (bonus). Depuis, nombre de visiteurs s’intéressent à l’expérimentation. Rendre, ne fût-ce provisoirement, à la nature des friches industrielles représente un progrès et plusieurs régions sont intéressées. « Je suis en contact avec l’agence de Haute-Normandie, concernée par les mêmes problèmes de récupération de sites », reconnaît avec fierté Guillaume Lemoine. ♦

 

Bonus
  • L’EPF des Hauts-de-France. ll voit le jour en décembre 1990 pour mettre en œuvre une politique partagée par l’État et la région : la requalification des grands sites industriels et miniers laissés en friche à la suite de l’arrêt des activités.

Depuis, l’EPF HDF exerce pleinement son rôle d’opérateur foncier. En cela, il accompagne les collectivités territoriales et les intercommunalités dans la maîtrise de leur foncier et le recyclage de leurs espaces dégradés.

Acteur de la préservation et du développement de la biodiversité, il prend en compte la faune et la flore dans le cadre de ses interventions techniques, mène des opérations de renaturation de sites et développe des espaces de nature temporaires sur les fonciers recyclés en attente de projet. Enfin, il traite les fonciers concernés par les risques naturels ou technologiques.
Son action a été reconnue au niveau national en 2018, l’EPF a ainsi obtenu le prix du génie écologique pour son action de renaturation temporaire sur des friches urbaines déconstruites.

 

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  • Le Prix National du Génie Écologique. Organisé depuis 2014, le Prix National du Génie Écologique permet de valoriser des projets de génie écologique de qualité, et de montrer que le génie écologique peut répondre à de nombreux enjeux opérationnels. Le génie écologique permet notamment la reconstitution de milieux naturels, la restauration de milieux dégradés et l’optimisation de fonctions assurées par les écosystèmes.

Il contribue à travers les projets lauréats à partager les bonnes pratiques en faveur de la biodiversité et à favoriser le développement de cette filière en émergence. Il est co-organisé par l’A-IGÉco et le centre de ressources génie écologique de l’Office français de la biodiversité (OFB), en partenariat avec le ministère de la Transition écologique (MTE).

La quatrième édition est proche. Les co-organisateurs s’associent cette fois avec Plante & Cité pour le Prix spécial et souhaitent en 2022 mettre en avant les projets en milieu urbain. La restauration des écosystèmes naturels. Modalités de candidature ICI.