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Des voiles recyclées en sacs par des adultes handicapés

Par Nathania Cahen, le 4 février 2020

Journaliste

Elle est l’une des pionnières dans la seconde vie des voiles usées par le vent et la mer. Dans son atelier de La Ciotat, Anne Couderc en fait des sacs ou des housses de coussin. Et offre du travail à un public adulte handicapé. Les voiles du large est aujourd’hui une petite entreprise familiale qui navigue vent debout et fêtera ses 15 ans au printemps.

 

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Stéphane et Anne Couderc.

Elle s’en souvient comme si c’était hier ! Il y a 18 ans, cadre de banque en congé parental, Anne Couderc récupère les voiles usagées du bateau d’une amie, qui les change avant un tour du monde. L’idée d’en faire des sacs résistants qui feront partie du voyage la traverse alors.

Comme c’est plutôt réussi, elle continue sur sa lancée, forte du succès de ses premiers modèles. La jeune femme n’est pas couturière, n’a jamais suivi de cours, mais aime les activités créatives. À telle enseigne, qu’elle décide d’en faire sa petite entreprise. Pour bien cadrer le projet, elle passe neuf mois en couveuse à l’Adije (aujourd’hui Cosens) puis, en 2005, elle se jette à l’eau avec Les Toiles du Large. Rejointe cinq en plus tard par son mari, Stéphane, qui va se charger du développement commercial.

 

Récupération auprès des particuliers et des chantiers de La Ciotat

Depuis, Anne Couderc n’a jamais dérogé aux valeurs qu’elle s’était assignée au commencement : « Le croissance de notre société n’a pas changé notre état d’esprit ni dénaturé le projet ».

C’est d’abord recycler des toiles usagées, fatiguées d’avoir navigué. Aux particuliers qui en apportent, Anne offre toujours, en contrepartie et en guise de souvenir, un sac qui a été taillé dedans. De la récupération est faite aussi auprès du grand voisin, le chantier naval de La Ciotat. « La taille des voiles varie donc entre 4 et 400 m2, glisse Stéphane Couderc. Certaines plus prestigieuses que d’autres ont même pu participer à la Coupe de l’América ou à d’autres régates mythiques ». Mais ça, vous ne le saurez pas ! Elles attendent leur tour, entreposées dans des containeurs avant d’atterrir dans l’atelier. Là, elles sont découpées selon les patrons. Puis les différentes pièces sont lavées avant d’être livrées, prêtes à être montées et cousues dans les ESAT (établissement et service d’aide par le travail) partenaires.

 

Solidarité avec un public moins chanceux

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Collection anniversaire des 15 ans.

Car très vite, dépassée par la tâche, Anne a dû trouver des petites mains pour l’assister dans le travail de fabrication. Comme une évidence, elle fait alors appel à des établissements travaillant avec des publics en difficulté et dotés d’un atelier couture. Elle travaille ainsi depuis plus de 10 ans avec l’ESAT Saint-Jean à Marseille, et depuis plus récemment l’ESAT Paul Arène à Toulon.

« Je pense toujours à la chance que nous avons d’être en forme. J’ai toujours trouvé important de ne pas oublier ceux qui en ont moins, de faire preuve d’un peu de solidarité ».

Trois ou quatre fois par semaine, la créatrice passe à l’ESAT Saint-Jean, où elle est désormais familière de certains résidents, comme Bastien, qui a déjà visité l’atelier de La Ciotat, ou Virginie qu’elle voit régulièrement depuis des années. « J’y vais pour le suivi, bien sûr, mais aussi parce que je trouve normal de m’impliquer, de les rencontrer, de discuter… Et je trouve surtout bien qu’ils prennent du plaisir à faire nos produits : coudre, poser les œillets ou les pressions. »

 

La contagion du recyclage

De son côté, Marie Noain, monitrice de l’atelier couture à l’ESAT Saint-Jean, se réjouit de ce partenariat, qui implique dix ouvrières et deux ouvriers (terme que l’équipe préfère à celui d’usager en situation de handicap), à même de déchiffrer et comprendre les consignes. « Tout est parfaitement calibré, Anne apporte le travail coupé et préparé en lots. À chaque modèle correspond une fiche technique, il n’y a qu’à suivre pour l’assemblage et quand c’est le cas, pour la pose de fermetures ou d’œillets ». Cette compétence de recyclage des voiles, acquise grâce aux commandes d’Anne Couderc, a apporté d’autres client à l’atelier couture. Comme le Département 13 qui confie la transformation de ses bâches publicitaires, ou encore la mairie de Venelles et le Canal de Provence.

Tout étant conçu, assemblé et fabriqué entre Toulon et Marseille, la gamme Les Toiles du large est donc 100% made in Provence, un motif de fierté.  « Aujourd’hui, nous sommes régulièrement démarchés par des ateliers du bout du monde qui proposent des tarifs défiant toute concurrence. Ainsi que par des voileries qui proposent des rouleaux de toile neuve, rapporte Anne Couderc. Mais il est hors de question de dévier de la trajectoire que nous nous sommes fixée ».

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

 

*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *

 

Bonus [Pour les abonnés] – Des toiles recyclées en robes de soirée – Ça marche ailleurs – L’ESAT Saint-Jean
  • Recycler les toiles de parapente – À Chamonix, la styliste Valérie Pache imagine des tenues étonnantes, y compris de majestueuses robes de mariée réalisées à partir de toiles de parapente ou de parachute réformées. Pour cette écologiste convaincue, le recyclage est apparu comme une évidence. Avant de passer à la confection, il lui faut découper au préalable chaque caisson puis choisir les couleurs. Sur les 50 m² récupérés, la moitié sera utilisée pour la confection de ses robes. Ses robes « aériennes » ont déjà défilé à Paris et à New York. Nombre de ses créations sont présentées régulièrement dans la presse féminine ou de haute couture.

Le projet « Re’fly » vise à mettre en place une chaîne de récupération des voiles des parapentes, deltas et parachutes usagés. Elles sont recyclées en matières plastiques ou en additifs pouvant réintégrer la fabrication de composants d’équipements et d’accessoires… pour le parapente. Une étude de faisabilité, financée à 45% par l’Ademe, associe la FFVL, la société SUPAIR fabricant d’équipements de parapente basée à Annecy, la société Porcher Sports, premier fournisseur mondial de tissu pour la confection de parapente et la société Cycl-add, experte en plasturgie.

 

  •  Ça marche ailleurs – Les Toiles du large était un des pionniers dans l’utilisation des voiles pour la fabrication d’accessoires. Depuis la concurrence a fleuri un peu partout, mais beaucoup de challengers ont mis de côté les dimensions sociale et recyclage. Deux exceptions au moins : à Saint-Nazaire, la marque 15 Marins a été créée au sein de l’ESAT Marie Moreau par un groupe d’handicapés et de déficients intellectuels. À Caen, les créations signées R’Bag sont réalisées dans le cadre d’un chantier d’insertion ou d’un ESAT local.

 

  • L’ESAT Saint-Jean – Créé en 1966 à Marseille, il offre du travail à 104 « usagers en situation de handicaps » et se compose aujourd’hui de plusieurs ateliers alliant variété d’activité et adaptation des postes de travail au profit des personnes accueillies. L’atelier couture (réalisation d’articles de puériculture pour collectivités, pour la marque maison, Bisouchou et pour de jeunes créateurs comme Annabel Kern) s’est spécialisé au fil des années dans la réalisation de produits à partir de matières recyclées comme la bâche, la voile. D’autres travaux sont réalisés comme la fabrication de sangles, la pose d’œillets ou d’écussons, le conditionnement de produits alimentaires bio, marquage à jet d’encre, le sertissage et la sérigraphie. Deux fois par an se tient une vente des produits fabriqués dans l’atelier à l’occasion de journées portes ouvertes. Prochaine en mai.

Il compte trois ateliers : bureautique, technique,  conditionnement alimentaire et liquide (labellisé ECOCERT depuis 2009 pour les produits alimentaires bio).