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Des alternatives aux médicaments contre la douleur

Par Marie Le Marois, le 17 novembre 2021

Journaliste

Neurostimulation médullaire @Marc Lévêque

La douleur est le premier motif de consultation mais aussi la pathologie la moins bien prise en charge. 70% des patients ne reçoivent pas de traitement approprié. Les différents antalgiques ont une action limitée et des effets secondaires. Les dernières avancées, comme la neurostimulation ou les capsules de piment, sont des alternatives prônées par Marc Lévêque, neurochirurgien et spécialiste de la douleur à Marseille.

 

À peine effleure-t-on son bras qu’elle sursaute. Tout le corps gauche d’Alix n’est que souffrance, « de la tête aux orteils », précise-t-elle, découragée. « Je ressens comme des picotements qui par moment se transforment en décharges ». Il lui est difficile de décrire précisément sa douleur mais l’intensité, oui. Elle est insupportable. Cette infirmière en arrêt maladie l’endure depuis 2014. Depuis sa chute sur un rocher, un beau matin de janvier, qui a mis à jour une tumeur cérébrale bénigne. Une partie a pu être extraite mais subsiste cette douleur qui la handicape au quotidien.

 

« La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite dans ces termes » – ministère de la Santé et des Solidarités.

 

La douleur chronique touche 12 millions de Français

Marc Lévêque
Le Dr Marc Lévêque (au centre) et son équipe

Alix fait partie des 12 millions de Français souffrant d’une douleur chronique et des 70% qui se disent insuffisamment soulagés. Après des années d’errance et de souffrance, elle est désormais suivie dans un centre antidouleur de la région parisienne. C’est sa neurologue qui, voyant que sa douleur ne s’estompait pas, l’a orientée. Cette quinqua a dû patienter huit mois. Pourtant, elle appartient aux « cas les pires car sa douleur est hémicorps (moitié du corps ndlr) », confie Marc Lévêque, neurochirurgien et spécialiste de la douleur à Marseille.

Selon cet homme affable, il y aurait 300 centres antidouleur en France. Mais seuls 3% des patients souffrant de douleurs chroniques y sont pris en charge. « Les centres sont saturés et manquent de moyens », souligne-t-il indigné. D’autres facteurs expliquent ce constat. La douleur n’est toujours pas reconnue « comme une spécialité médicale ». Et, tandis que « le premier motif de consultation en médecine générale concerne la douleur et que nous allons vers une société où personne ne sera épargné », seules quelques heures sur le sujet sont enseignées aux étudiants en médecine.

 

Brouiller le message douloureux

Contre la douleur, les médecines alternatives 7La douleur d’Alix est neuropathique. Elle est liée à son système nerveux central (SNC) – qui comprend cerveau et moelle épinière. Et représente l’une des trois répertoriée (voir bonus).

Pour la soulager, sa neurologue lui a prescrit antidépresseur et antiépileptique. « Un traitement classique », confirme Marc Levêque. Leur fonction est de brouiller le message douloureux au niveau du cerveau.

En effet, la douleur est une information envoyée par notre corps pour avertir d’un dysfonctionnement. Et qui remonte par la moelle épinière jusqu’au cerveau où elle est traitée. Sa compréhension du phénomène conditionnera son interprétation de la douleur.

 

« Les motifs de consultation sont, par ordre décroissant, céphalées et lombalgies. Puis douleurs neuropathiques (lésion au niveau d’un nerf ou du système nerveux), suivis d’arthrose, arthrite. Et enfin, fibromyalgie et endométriose » – Marc Lévêque.

 

Effets indésirables
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Lombalgie

Le problème des molécules antalgiques prises par Sabine est leurs effets indésirables. En agissant sur le cerveau, le patient peut avoir l‘impression « de ne plus être lui, d’être à côté de ses pompes, au ralenti », décrypte le spécialiste de la douleur qui a testé un antidépresseur, une fois en vacances, pour « prendre la mesure de ses effets ». Conclusion, une seule prise a suffi pour qu’il se sente « amorti » toute la journée.

Cette pharmacopée a d’autres conséquences au long cours – sur la cognition, la concentration, la libido ou encore, la prise de poids.

 

Impact sur la vie psychique et sociale des patients
douleurs neuropathiques
Alix souffre de douleurs neuropathiques sur toute la partie gauche de son corps. @EF

Ces séquelles, ajoutées à la douleur elle-même, peuvent impacter « la vie psychosociale du patient ». Ils affectent le moral, « quand on a mal, on est mal » ; les relations – « les amis s’éloignent quand ce n’est pas le conjoint qui se lasse et part ». Enfin le travail – « 80 millions de journées de travail sont altérées par la douleur chronique », développe le médecin. Depuis février, le Lyrica, un antiépileptique pour les douleurs neuropathiques, est considéré par l’Agence française du médicament (ANSM) comme une drogue. La raison ? ‘’Une augmentation importante de cas d’addiction, d’abus et de risques’’.

Quant aux morphiniques – autre médicament prescrit pour les douleurs chroniques -, ils sont « très addictifs » et font « des ravages ». Aux États-Unis, ils ont causé près de 500 000 décès, 80 000 pour la seule année 2020 – « des morts sur ordonnance », ironise Marc Lévêque (lire sa tribune dans Le Monde à ce sujet).

 

Sortir du tout-médicament
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Neurostimulation médullaire @Marc Lévêque

Face aux effets secondaires des analgésiques moléculaires, alors même que leur efficacité est limitée, il est urgent selon Marc Lévêque de sortir de leur prescription systématique. Et de proposer des solutions qui préservent les facultés de l’individu. Par exemple, les patchs de piment ou l’injection de toxine botulique qui, localement, « bloque la douleur au niveau des récepteurs des nerfs ». Une autre technique est la neuromodulation, dont l’objet est de « perturber le message de la douleur ».

Cette avancée désigne la neurostimulation interne – l’appareil est implanté chirurgicalement près de la moelle épinière et interrompt les signaux douloureux vers le cerveau (neurostimulation médullaire). Et la neurostimulation externe qui envoie des stimuli électriques via des électrodes fixées sur la peau (stimulation électrique transcutanée TENS) ou via « un gros aimant » posé à la surface du crâne (stimulation magnétique transcrânienne rTMS). Cette dernière technique n’est « malheureusement toujours pas reconnue et donc, officiellement, non remboursée ».

Alix s’applique l’appareil TENS, trois fois par jour, sur toute la partie gauche du corps. Depuis qu’elle en bénéficie cette maman de deux enfants vit une renaissance, même si les effets bénéfiques sont limités dans le temps. Surtout, ses médicaments sont moins dosés. Ce qui a eu pour effet de stopper sa prise de poids et son sentiment d’être à côté de la plaque.

 

Thérapies non médicamenteuses
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Stimulation magnétique transcrânienne (rTMS) @Marc Lévêque

Il existe bien d‘autres thérapies non médicamenteuses, validées scientifiquement et efficaces. Citons l’Activité physique adaptée (APA) – ou plus communément appelée ‘’sport sur ordonnance’’. Mais aussi l’hypnose ou la musicothérapie qui ont « des effets antalgiques indéniables car ils mobilisent d’autres ressources et aident le patient à focaliser son attention sur autre chose », explique le neurochirurgien (voir bonus). Enfin, la thérapie comportementale et cognitive (TCC) aide le patient à modifier ses peurs et ses croyances. « Par exemple, ‘’j’ai mal au dos, je vais être paralysé’’ ou ‘’j’ai mal au dos alors je ne dois plus bouger’’ ».

Marc Lévêque, par ailleurs auteur (son prochain livre, sur la douleur, paraît en février), ne jette pas pour autant antidépresseurs, antiépileptiques et morphiniques aux orties. Lui-même les prescrit à ses patients, « car ils sont moins coûteux et moins invasifs ». Mais si leur efficacité s’avère faible ou s’ils sont mal tolérés, il arrête le traitement.

 

Premier Nobel de la paix sur la douleur
Contre la douleur, les médecines alternatives
Stimulation électrique transcutanée (TENS) @Marc Lévêque

La plupart des thérapies non médicamenteuses sont dispensées dans les centres antidouleur au sein desquels Marc Lévêque intervient – les hôpitaux Clairval et Bouchard à Marseille, et CH d’Aix-en-Provence. Mais, comme on l’a vu précédemment, étant donné la saturation des centres, l’accès à ces techniques « aux effets désirables » est limité ou reste à charge des patients.

Son centre idéal est d’ajouter à la liste citée ci-dessus, l’acupuncture et l’art-thérapie, « tout ce qui est de nature à détourner la douleur du patient et à le sociabiliser ».

Alix parle beaucoup avec la psychologue qui la suit et lui prodigue des séances de sophrologie pour diminuer ses souffrances. « Elle me demande de fermer les yeux, de tracer dans ma tête le chemin de la douleur avec un crayon et d’y mettre une couleur ».

Son rêve ? « Reprendre une vie normale ». Le spécialiste garde espoir. Pour la première fois, le prix Nobel de médecine 2021 a mis à l’honneur la recherche sur la douleur avec des travaux qui contribuent au développement de traitements dont le fameux piment. ♦

 

Bonus 
  • Il existe trois types de douleurs : nociceptives, neuropathiques et dysfonctionnelles. Selon Cerveau & Psycho, les premières sont provoquées par des stimulus activant le système nerveux périphérique via des récepteurs localisés sur les nerfs ; ces récepteurs sont par exemple sensibles à une inflammation (dans l’arthrite) ou à des contraintes mécaniques (lors d’une fracture, etc.). Les neuropathies sont causées par une lésion des nerfs ou un dysfonctionnement du système nerveux. Et les douleurs dysfonctionnelles incluent des syndromes douloureux sans lésion apparente, tels que la fibromyalgie.
  • Se faire du bien pour avoir moins mal. Marc Lévêque explique que la sensibilité de la douleur et celle des caresses possèdent des récepteurs différents. Elles empruntent ensuite deux voies distinctes et, arrivées à la moelle épinière, entrent en concurrence. Celle qui passe en premier est celle des caresses.