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Du rugby contre le décrochage scolaire

Par Maëva Danton, le 31 mars 2022

Journaliste

Collectif et combattif, le rugby possède de nombreuses vertus permettant de travailler le rapport aux autres, à soi-même, aux règles et à la difficulté. @MGP

Chaque année en France, 100 000 enfants sortent sans diplôme du système scolaire, ce qui les expose davantage au chômage et à la pauvreté. Pour lutter contre ce phénomène, l’association l’École des XV, présente à Aix-en-Provence, Marseille et Saint-Étienne, mise sur la prévention grâce à un programme d’accompagnement de douze heures hebdomadaires, construit autour de trois temps. Un temps social, un temps scolaire et un temps sportif. 

« Rentre, rentre. Recule, recule ! Allez, au sol ! Au sol ! Boum ! ». En ce mercredi après-midi, sur l’impeccable gazon synthétique du terrain d’entraînement de Provence Rugby, une dizaine de collégiens courent. Esquivent. Se jettent au sol. Suivant les consignes de leur coach sans rechigner. Et même dans la bonne humeur.

Pourtant, le rugby n’est pas nécessairement ce qui les motive à venir ici. Ce qui les réunit, c’est avant tout leur appartenance à un programme périscolaire de douze heures hebdomadaires : l’École des XV.

À l’origine, un homme : Denis Philipon. Patron discret de l’agence de voyages en ligne Voyage Privé, également président du club aixois Provence Rugby, il est particulièrement sensible à une cause : celle du décrochage scolaire.

 

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Après avoir été hébergée au sein du stade Maurice David, l’association a pris place aux côtés du flambant siège social de Voyage Privé et du club de rugby. Dans un esprit de campus d’entreprises à l’américaine. @MGP

Le décrochage : un coût pour la société estimé à 230 000 euros par an


Décrivant la situation de jeunes sortis sans diplôme du système scolaire, ce phénomène touche 100 000 nouveaux jeunes chaque année. Parmi eux, les classes sociales défavorisées sont sur-représentées. Et on devine les effets à long terme : difficultés à trouver un emploi donc chômage. Précarité. Pauvreté.

Un chiffre, calculé par la Cour des comptes, donne une idée de l’ampleur de ces conséquences : il s’agit du coût que le décrochage scolaire génère pour la société, soit 230 000 euros annuels injectés dans la réinsertion ou les aides sociales.

L’École des XV a une ambition : attaquer le problème à la racine. « Car c’est en agissant le plus en amont possible, au collège voire dès la fin du primaire, que l’on peut avoir des effets bénéfiques », assure Guillaume Gambaro, responsable du développement de l’association.

 

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Frédéric Paquet, secrétaire général de l’Ecole des XV @MGP

Apprendre à apprendre

Pour cela, elle propose un « accompagnement global » explique Naouel Elatouani, éducatrice spécialisée et responsable de l’antenne aixoise. Accompagnement qui s’intéresse non seulement à la situation scolaire, mais aussi « au cadre familial, au logement …»

Partant de l’individu, l’association l’aide à s’appuyer sur ses points forts tout en comblant ses points faibles grâce à la méthodologie de « l’apprenance », développée par le professeur parisien Philippe Carré. Une méthodologie qui peut se résumer en un adage : « apprendre à apprendre ».

« Les jeunes qui viennent ici n’ont pas vocation à avoir 18 de moyenne. Nous les aidons juste à trouver une stabilité et à comprendre les difficultés qu’ils peuvent rencontrer vis-à-vis des autres et d’eux-mêmes », précise Frédéric Paquet, secrétaire général de l’École des XV.

Il s’agit aussi de leur faire comprendre l’intérêt qu’ils ont à étudier. « Le décrochage se produit souvent lorsque l’orientation est subie ». Parfois en raison d’une forme d’autocensure liée au genre. « Souvent, dans les quartiers où vivent nos jeunes, on envisage deux ou trois métiers pour les filles, deux ou trois autres pour les garçons. Nous essayons de les aider à trouver leur voie pour qu’aller à l’école ait du sens ».

 

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Venues sur le conseil de copines, Lily-Rose, Sana et Ava, élèves de 6e, sont venues pour améliorer leurs notes en mathématiques. Le sport est aussi une source de motivation. De même que le fait de se retrouver entre copines. « Ici, on se sent comme chez nous », dit Ava. @MGP

Un programme de douze heures articulé en trois temps

À l’École des XV, trois temps composent le programme : temps social, temps scolaire et temps sportif.

Le temps social, ce sont les moments de pause, de repas et de goûter. Des moments où l’échange est informel, et où se jouent des enjeux importants de relation à l’autre.

Le temps scolaire se divise quant à lui en deux formats : l’aide aux devoirs, avec l’appui de bénévoles. Et le soutien scolaire, assuré par des professionnels externes ou des salariés de l’association, à l’image d’Amandine Pol, éducatrice scolaire.

Cet après-midi, dans une petite salle, elle aide trois élèves de sixième à élucider les mystères de la construction de phrases. On parle de phrase simple ou complexe. Juxtaposée ou coordonnée. Le trio d’élèves est attentif. N’hésitant pas à poser des questions avant de s’atteler à quelques exercices présentés sur une fiche polycopiée. Amandine tente de les aiguiller lorsqu’ils ne comprennent pas clairement un concept ou quand -c’est souvent le cas- la consigne leur paraît obscure.

Dans une petite salle, Amandine Pol aide Curtis et Ava à décrypter la structuration des phrases. @MGP
Dans une petite salle, Amandine Pol, éducatrice éducative, aide Curtis et Ava à décrypter la structuration des phrases. @MGP

Les mille et une vertus du rugby

La compréhension des consignes est également au cœur du troisième temps structurant la vie à l’École des XV, le sport. Et plus particulièrement le rugby. « Le rugby est un sport qui comprend de très nombreuses règles, analyse Naouel Elatouani. Pour les jeunes, c’est une manière d’accepter la difficulté. De se dire que même si on ne comprend pas tout, on n’abandonne pas ».

« Le rugby s’apprête parfaitement à la lutte contre le décrochage, pense Frédéric Paquet. C’est un sport collectif et de combat. On apprend à coopérer tout en répondant à l’envie d’en découdre très présente à cet âge-là ».

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Christophe Champagne, éducateur sportif, montre à deux élèves de 4ème une vidéo de leur performance collective sur le terrain @MGP

Et Christophe Champagne, éducateur sportif de compléter : « C’est un sport où le fait de pouvoir compter sur ses partenaires est vital », assure-t-il tout en regardant courir l’équipe des 4èmes. Il voit aussi dans ce sport un vecteur d’émancipation, particulièrement pour les filles. « Quand elles s’investissent vraiment, elles peuvent être meilleures que les garçons. C’est très important lorsqu’on vit dans un environnement plutôt patriarcal. Ici, elles voient qu’elles peuvent s’affranchir vis-à-vis d’eux. Et les garçons sont surpris. Alors ils font plus attention à leur comportement ».

 

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Léna @MGP

Amélioration des notes et du comportement

C’est vrai que les filles en imposent sur le terrain. Surtout Léna, treize ans. Grande, le regard encore un peu enfantin, elle n’hésite pas à se faire entendre. Dégageant déjà une aura de meneuse. « J’ai connu l’association quand j’étais en 5ème grâce à des copines, raconte-t-elle de sa voix douce. Je suis dyslexique, j’ai des difficultés à me concentrer. Et le rugby m’aide à me canaliser ». Depuis qu’elle est entrée à l’École des XV, ses résultats sont passés de 7 à 11 de moyenne.

À ses côtés, Enzo, adolescent de quatorze ans plein de bagout, a lui aussi ressenti l’effet École des XV. « Mes résultats n’étaient pas du tout bons. Je voulais améliorer ma moyenne et devenir travailleur. Je voulais bosser, faire mes devoirs, ne pas avoir la flemme. Et ça m’a beaucoup aidé parce que j’étais nul et ce trimestre, j’ai eu les encouragements », dit-il, les yeux rivés sur ses coéquipiers, triturant un brin d’herbe synthétique entre ses doigts.

Comme eux, assure Guillaume Gambaro, « 100 % des jeunes qui intègrent l’École des XV ont un meilleur comportement. Que ce soit le jeune qui basculait dans la délinquance. Ou celui qui était trop introverti et n’osait pas prendre la parole en classe. La moitié voient leurs résultats scolaires augmenter, et pour l’autre moitié, ils ne chutent pas ». Résultats que confirme le succès de l’École, plébiscitée par un nombre croissant de familles qui en ont entendu parler. Si bien que l’association, qui accueille pour l’heure cinquante jeunes, ne parvient plus à répondre à toutes les demandes et a dû constituer une liste d’attente.

 

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Enzo @MGP

Prouver les vertus de la prévention

Malgré cela, l’École des XV – qui se déploie dans d’autres villes (bonus)- peine à convaincre les décideurs politiques de la soutenir. « Le problème est que notre action s’inscrit dans la durée. Et cela ne correspond pas aux besoins de retours sur investissement rapides des pouvoirs politiques qui préfèrent soutenir des dispositifs plus curatifs, dont l’impact est plus facile à mesurer », regrette Frédéric Paquet. « Nous devons donc mener une bataille philosophique pour montrer à quel point le décrochage est un enjeu de société ». Et combien la prévention peut s’avérer redoutable. ♦

 

Bonus
  • Un dispositif destiné aux jeunes de Quartiers Politique de la Ville – Si le programme s’adresse à ce public, c’est parce que ce sont ces quartiers qui affichent le plus fort taux de décrochage, dans un mécanisme de reproduction sociale. Et parce que, de l’avis de Frédéric Paquet, secrétaire général de l’association, « les familles de QPV n’ont pas les moyens d’aller chercher des ressources pour aider leurs enfants en payant ».
  • Un déploiement national – Née à Aix-en-Provence, l’École des XV a essaimé en 2017 à Marseille et, il y a quelques semaines, à Saint-Étienne ; ville dont Frédéric Paquet connaît le maire pour avoir occupé la direction générale du club de foot ASSE. À Marseille, environ 30 jeunes sont accompagnés. Ils sont une vingtaine à Saint-Étienne. Sur un potentiel d’accueil de 50 enfants à chaque fois.

Des discussions sont en cours pour l’ouverture d’autres antennes partout en France, notamment en région Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes. Objectif affiché : ouvrir 8 nouvelles antennes d’ici 2025. Ce qui exige de trouver des partenaires locaux : clubs de rugby, collectivités locales et collèges partenaires.

Ces derniers étant très impliqués dans le dispositif puisque les éducateurs de l’École des XV sont régulièrement en contact des professeurs. Ils peuvent même participer aux conseils de classe voire, dans certains cas, remplir une des lignes du bulletin scolaire. Les collèges jouent également un rôle important de prescripteur, essentiel avant que le bouche-à-oreille ne fasse son œuvre.

 

 

  • Financement de l’association – Pour accompagner chaque jeune, l’association dépense un budget annuel de 5000 euros par enfant comprenant entre autres les salaires des encadrants, les repas et charges diverses… Pour financer ces dépenses et assurer son développement, elle s’appuie sur des fonds privés provenant de Voyage Privé mais aussi de Smart Good Things, un écosystème d’entrepreneurs engagés qui dédie 25% de son chiffre d’affaires à des causes qui lui sont chères. S’y ajoutent des subventions publiques : le Département en ce qui concerne les antennes aixoise et marseillaise. Ainsi que la Ville de Saint-Étienne.
  • À la recherche de bénévoles – Que ce soit à Aix-en-Provence, Marseille ou Saint-Étienne, l’association est à la recherche de bénévoles pour assurer les séances d’aide aux devoirs en petit effectif, de même que pour la tenue des séances sportives. Pour proposer ses services, il faut contacter l’antenne la plus proche dont les coordonnées sont à retrouver sur le site de l’association.