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[habiter autrement #4] Un écolieu dans le Loir-et-Cher 

Par Marie Le Marois, le 31 août 2022

Journaliste

Alina, devant l'habitat qu'elle partage avec Romain, son colocataire @Marcelle

Quatre couples vivent sur un îlot sauvage, chacun dans son habitation. Dans cet écolieu, ils partagent l’amour de la nature, le sobriété heureuse et l’autosuffisance. Ils nous confient leurs ressources pour y parvenir. Reportage au Potager du Souriou, un écolieu au bord de la Bièvre, dans le Loir-et-Cher.

 

Potager du Souriou
Potager du Souriou, désert végétal devenu jardin d’Eden @Marcelle

À l’origine, il n’y avait rien. Enfin si. C’était une parcelle de 7000 m2 en friche. Un désert végétal. Un sol dépourvu de matière organique. En cause ? Des décennies d’agriculture conventionnelle. Comme tous les agriculteurs de leur génération, les grand-parents d’Arnaud Repinçay n’avaient pas conscience d’appauvrir leur terre.

Il y a dix ans, le trentenaire a enclenché un rêve complètement fou : remettre cette parcelle en état pour faire du maraîchage sur sol vivant (MSV), sans énergie fossile. Il lui faudra six ans pour la nourrir, planter des arbres, reconstituer des haies. Aujourd’hui, le terrain est devenu un jardin d’Eden de 1500 m2.

 

Quatre habitats différents

Toilettes sèches
Un des chantiers commun du Souriou : toilettes sèches construites avec les matériaux du Souriou

Le reste des 7000 m2 profite aux insectes, oiseaux et autre faune, si importants pour la biodiversité. Y vit également une autre espèce : l’homme. Trois couples ont élu domicile là en 2020. Des amis d’enfance d’Arnaud, réunis par les mêmes valeurs : partage, simplicité et amour de la nature. Chacun y a fait progressivement son nid. Mais tous œuvrent ensemble pour atteindre l’autosuffisance.

Ils ont construit des espaces communs sur des terrains mis à disposition gratuitement par Arnaud. Potager en mandala, bâtiment de stockage, kiosque, poulailler, verger, habitat en bois surélevé pour les amis de passage…

Ils ont utilisé les ressources trouvées sur place – comme l’acacia – et la récupération. Par exemple, des bouteilles en verre ont été utilisées sur certains murs des toilettes sèches. Leur avantage étant à la fois leur opacité et leur capacité à laisser passer la lumière.

 

  • Pas de définition précise pour écolieu. On pourrait le définir ainsi : un endroit où plusieurs personnes habitent ensemble et partagent une conception écologique de l’environnement et des liens sociaux. 

 

L’eau de pluie…

filtre à eau Berkey
Alina, dans sa cuisine, avec le filtre à eau Berkey @Marcelle

Alina, l’une des résidentes depuis huit mois, est notre guide. Cette ex-artiste et anthropologue est apprentie maraîchère au Potager du Souriou, nonne zen (lire en bonus) et co-organisatrice d’ateliers d’éducation à l’environnement au potager, pour les enfants du village (bonus). 

Elle débute la visite par l’habitat de Romain, gardien d’abeilles : une caravane offerte par un cirque, qu’il a couvert par un abri en bois. La cuisine, qu’ils se partagent à deux, est extérieure et (…) « hyper fonctionnelle ». Ils récoltent l’eau de pluie grâce à la gravité du toit. Eau qui arrive, via un tuyau relié, dans l’évier pour la vaisselle. Ou directement dans un bidon placé sous la gouttière pour l’eau à boire, qui sera ensuite filtrée avec la machine Berkey. L’eau est pauvre en minéraux – « ce qui en réalité est bénéfique à la détoxification du corps ». Mais légèrement plus acide que l’eau industrielle, fragilité qu’Alina compense par un complément alimentaire.

 

…et l’eau de la rivière

l'eau de la rivière
Pour laver le linge ou la toilette, rien de mieux que l’eau de la rivière @Marcelle

Ils utilisent l’eau de la rivière pour laver leur linge, essoré ensuite dans un appareil à pédale. Pas d’électricité. Ils s’éclairent à la bougie ou aux ampoules solaires. La seule difficulté concerne la recharge de leurs appareils électriques comme les téléphones portables (basiques, bien sûr). Alina a acheté un générateur à pédale, « mais il fonctionne mal ». D’où le rêve de construire une éolienne. Et pour chauffer l’eau ? Sur un réchaud à gaz. « Mais comme ce n’est pas très écolo, on préfère utiliser le feu à bois », explique la jeune femme. Elle se déplace uniquement à vélo, « avec un caddie ».

 

  • Faire du sport en lavant son linge, c’est possible avec le vélo-lave linge Bike Washing Machine

 

Douche solaire et toilettes sèches

Essoreuse à linge à pédale
Essoreuse à linge à pédale @Marcelle

Pour se laver, les colocataires se trempent dans la rivière (même en hiver pour Alina !) ou dans la douche solaire construite à l’arrière de la maison. À côté des toilettes sèches. Elle explique, toujours sur un ton placide, les clés pour les réussir (entendez, pour que ça ne pue pas). Il faut « une sciure fine, des copeaux et une bonne ventilation, qui part du bas vers le haut. Mais aussi asperger avec de l’EM Clean, des micro-organismes qui mangent la matière. » La matière, récoltée via une trappe, servira, une fois prête, à amender le sol, dans le verger. 

 

Pas de produits chimiques

Détergent naturel
Vinaigre blanc et peaux d’agrume, rien de mieux comme détergent @Marcelle

Aucun, bien sûr. Le savon de Marseille sert à la vaisselle, la cendre filtrée à la lessive. « Il suffit de la tremper toute une semaine dans de l’eau en remuant rapidement tous les jours, puis de la passer dans un torchon. C’est étonnant comme ça lave », s’étonne encore Alina. L’eau souillée sert ensuite à arroser les plantes. Comme nettoyant toute surface, ce sont des épluchures d’agrumes macérées dans du vinaigre blanc. La jeune femme n’est ici que de passage. Elle a pour projet de monter Zen sur Terre, un lieu communautaire ‘’éco-spirituel’’ pour une dizaine de personnes (bonus).

 

(re)lire notre article sur le savon de Marseille

 

Maison en bois

Maison en bois
Construction de la maison de Florence et Mathieu

La visite se poursuit avec la maison en bois de Florence et Mathieu. Le projet de départ de ces voyageurs était de créer un éco-village en Ardèche. Puis ils se sont dits qu’il était dommage de quitter la région « alors que ce genre de lieu n’existait pas ici ». Depuis, ils ont construit leur maison et mis au monde, chez eux, leur fils.

Mathieu est maçon, il rénove des bâtiments à l’aide de techniques anciennes, telles que la chaux et le chanvre. Il a utilisé du bois qui provient de la scierie Gaudelas pour les murs et la charpente de leur habitat. Des cloisons en panneaux fermacell, de la peinture Algo à base d’algues et de l’isolation en laine de bois « rigide à l’extérieur et souple à l’intérieur ».

 

Panneaux solaires et récupérateur d’eau de pluie

Ecolieu dans le Loir-et-Cher  4
Maison en bois de Florence et Mathieu Maison @Marcelle

Ils souhaitaient au départ traiter naturellement les eaux usées par les plantes (phytoépuration) pour un retour direct à la terre. Mais leur maison étant située à moins de 150 mètres d’un collecteur public (égout), ils ont été obligés de se raccorder. « Nous avons quand même opté pour des toilettes sèches ».

Quand ces trentenaires auront le budget, ils projettent de remplacer le parquet massif en chêne de la cuisine par des pierres naturelles, « plus faciles d’entretien ». D’installer des panneaux solaires et un récupérateur d’eau de pluie avec des filtres pour desservir toute la maison, de la douche à la machine à laver, en passant par le robinet. Côté chauffage, ayant un enfant en bas âge, le couple a sécurisé avec deux petits radiateurs électriques performants à inertie. « Mais la maison est en grande partie passive grâce à une très bonne isolation et orientation ».

 

Tiny House

Tiny House d'Emmanuelle et Benjamin
Tiny House d’Emmanuelle et Benjamin @Marcelle

Le reportage se termine avec la Tiny House d’Emmanuelle et Benjamin. Ils ont vécu auparavant trois ans dans une yourte dans une forêt non loin d’ici, « sans eau ni électricité », lâche dans un sourire la jeune femme, psychologue. Alors la Tiny, c’est le grand luxe. Réalisée sur mesure par un artisan de Bergerac, elle a la particularité d’avoir une douche dont l’eau, une fois filtrée, est réutilisée pour faire la vaisselle.

Le couple possède un récupérateur d’eau mais qui sert surtout à arroser leur potager. Ils sont en effet raccordés aux réseaux d’eau et d’électricité (pour les mêmes raisons que Florence et Mathieu). Ils ont néanmoins rajouté des panneaux solaires en complément électrique. Pour les autres équipements, ils ont choisi des toilettes sèches, un poêle à bois et un radiateur électrique d’appoint car Emmanuelle va bientôt mettre au monde un enfant. Dans la Tiny, bien sûr.

 

♦ (re)lire le premier article de la série : Une micromaison en bois dans le Languedoc

 

Une maison pour Arnaud

Arnaud Repinçay
Arnaud Repinçay avec notre journaliste @Marcelle

Il ne reste plus qu’Arnaud, le maraîcher, prêt à rejoindre cette chouette communauté. Actuellement résident au village, cet homme affable aimerait installer sa petite famille au cœur du potager. Ses finances ne lui permettant pas, pour l’instant, de réaliser son habitat rêvé, il pense opter pour un modèle léger, tel qu’un mobil-home. Et construire lui même sa maison au fil des années, avec les ressources de son terrain. Pourquoi pas un habitat semi-enterré ?

Avec du recul, il estime que le Potager du Souriou relève de la permaculture. Ce mouvement porte en effet sur l’agriculture, mais aussi l’économie, l’habitat et les relations entre les individus. Au sein du lieu mais aussi à l’extérieur. L’idée n’est pas de rester dans l’entre-soi mais de s’ouvrir aux autres et de créer du lien pour le village. Ainsi, Florence, Alina et leurs comparses organisent des événements ouverts à tous. Des festivals, des ateliers, un marché de producteurs. Depuis la fermeture du dernier commerce du village, en 2021, le Potager du Souriou est devenu l’endroit où les habitants se retrouvent. ♦

 

Bonus

Atelier Réunis'Vert
Atelier Réunis’Vert

Dès 2020, les habitants du Potager du Souriou ont lancé un marché, avec au début les légumes d’Arnaud. Puis, petit à petit, avec les produits d’autres producteurs locaux. « Ils nous ont ralliés car leur point de vente était fermé en raison de la crise sanitaire. Et ils sont restés », raconte Florence, la trésorière de l’association. Les clients, plutôt que de faire le tour des fermes pour acheter céréales, miel, lait, pain et légumes trouvent tout sur place. Ils partagent des idées, échangent des recettes, troquent des plantes.

Cette dynamique a donné envie à trois filles du groupe, dont Florence et Alina, d’organiser des activités pédagogiques de sensibilisation à une agriculture respectueuse de l’environnement. Elles interviennent donc régulièrement à l’école du village et, depuis un mois, proposent des ateliers à la ferme pour les primaires. « Les enfants apprennent les bases du maraîchage à la main, les saisons, etc. autour d’un goûter bio. Ils adorent réaliser leur sirop avec la menthe du jardin ».

Elles envisagent de lancer également des ateliers participatifs pour les adultes. En mai, le groupe entier s’est mobilisé pour organiser les premières portes ouvertes intitulées « Le Printemps du Souriou », avec des artistes locaux, des clients du marché comme bénévoles, et des producteurs partenaires. « Notre boulanger a par exemple fait des pizzas au feu de bois et et l’association Les Temps d’Arts (Blois) a préparé des crêpes avec le lait de La Guilbadière, l’autre ferme du village ».

 

  • Alina, nonne Zen. Avant de s’installer au Potager du Souriou, cette trentenaire a passé deux ans à quelques kilomètres de là, autemple zen La Gendronnière, l’un des principaux temples européens de l’école Sōtō du bouddhisme zen. Les participants y pratiquent la méditation, les repas en silence, les activités bénévoles pour la communauté et l’écologie spirituelle.

Aujourd’hui, Alina caresse le projet de créer un lieu communautaire pour expérimenter une vie simple nourrie par la pratique de zazen. Mais aussi la permaculture, la décroissance et l’autonomie. Pour mener à bien le projet Zen sur Terre, il s’agit désormais d’acquérir collectivement un lopin de terre et une maison commune (avec cuisine collective, salle de méditation, réunions, buanderie, etc.), autour de laquelle chaque foyer construit ou amène sa petite habitation à faible empreinte.

Pour plus de détails, voici les critères de recherche du lieu.