Fermer

Écoterrorisme, une pression verte efficace?

Par Paul Molga, le 7 novembre 2022

Journaliste

L'efficacité des conventions internationales se dilue dans le flot des convoitises urbaines, industrielles et démographiques © Extinction Rebellion

Alors que démarre la COP27, branle-bas de combat au ministère de l’Intérieur face aux violences écologistes de Sainte-Soline, contre « l’accaparement de l’eau ». Et dans les musées où la défense du climat se fait à coups de souillures alimentaires et médiatiques contre des chefs-d’œuvre de l’art. L’écoterrorisme gagne la France, selon les termes de Gérald Darmanin. Une réalité qui prend sa naissance aux États-Unis avec le mouvement radical Deep Green Resistance. J’ai enquêté là-bas et ici.

 

Il m’a fallu négocier plusieurs mois pour rencontrer une des têtes du réseau Deep Green Resistance. Cette organisation née en 2011 aux États-Unis ne compte pourtant que 200 membres. Mais à cause des propos très radicaux de son fondateur Derrick Jensen, elle se sait sous l’étroite surveillance du FBI. Après beaucoup de précautions, sa plus proche fidèle accepte enfin de me recevoir. Elle s’appelle Deanna et vit dans le Colorado, à l’écart de Denver.

Écoterrorisme, une terreur verte efficace?
©DR

Au bout d’une vallée étroite qu’elle a choisie pour réintroduire une colonie de chiens de prairie. La route de terre qui mène à son chalet distille aux étrangers des avertissements explicites sur fond d’iconographies guerrières. « Je n’appelle pas le 911 (les services de police) », dit l’une d’elle. Comprenez : ici on règle ses affaires soi-même.

 

Des peines jusqu’à 20 ans de prison…

Si Deanna est si prudente, c’est que les actes de sabotage et de vandalisme dont son organisation fait l’apologie, sont chèrement payés outre-Atlantique. Les écologistes américains ont tous en mémoire la condamnation de Marius Mason, un transgenre né Marie, qui purge actuellement une peine de 22 ans d’enfermement dans une prison de haute sécurité du Texas.

Son crime : avoir causé pour 4 millions de dollars de dommages à une douzaine d’installations d’élevage et un laboratoire de recherche sur les OGM de la Michigan State University travaillant pour Monsanto. C’était il y a treize ans. Il avait alors revendiqué ces destructions au nom du Front de Libération de la Terre. Lors de son procès, l’accusation avait soutenu « qu’une bonne cause ne justifiait pas le pire moyen » et le juge avait considéré que ses actes relevaient de l’anarchisme, fussent-ils verts. Marius Mason risquait alors la perpétuité.

 

… mais une détermination intacte

Depuis cette lourde peine, d’autres activistes radicaux ont été écartés de la société, aux États-Unis, mais également en Grande-Bretagne, les deux pays les plus touchés par l’éco-terrorisme. 19 ans et 7 mois de prison pour Eric McDavid pris en flagrant délit de planification d’actions éco-terroristes contre des bâtiments de l’office national des forêts. 12 ans pour le Britannique Jonny Ablewhite accusé de « conspiration » contre une ferme de cochons d’Inde destinés à la vivisection…

Écoterrorisme, une terreur verte efficace? 2
L’ouvrage « Deep Green Resistance » désigne des « cibles tactiques » et comment les détruire ©DR

Cependant, ces condamnations ne freinent pas la détermination des éco-warriors, les guerriers de l’environnement tels qu’ils se définissent eux-mêmes. « Nous nous montrons simplement plus discrets », témoigne Deanna. L’organisation n’a officiellement pas commis de coup d’éclat. Mais son fondateur est un auteur prolixe qui multiplie les diatribes contre les désordres de l’humanité sur l’écosphère. Ses écrits sont de véritables modes d’emploi anarchistes, des abécédaires pour éco-terroristes en herbe. Son ouvrage le plus abouti s’intitule du nom de l’organisation : Deep Green Resistance. « C’est notre profession de foi », explique Deanna. Sur plus de 500 pages, ce pavé de l’éco-action fonde la bible du mouvement. Il est en vente libre sur les grandes plateformes commerciales en ligne…

 

Contamination idéologique

Derrick Jensen et ses acolytes – la féministe Lierre Keith, « activiste alimentaire » selon son autoportrait, et l’agriculteur biologique militant Aric McBay – y décrivent une organisation internationale capable, comme Daesh, de contamination idéologique à travers les réseaux. Ils désignent également des « cibles tactiques » et comment les détruire : barrages, sociétés pétrochimiques, automobiles ou agroalimentaires, laboratoires de recherche…

Le chapitre 14 porte un titre explicite : la guerre écologique décisive. « Ça n’est que de la théorie, jure Daenna. Notre armée n’a pas encore trouvé son Che ». L’organisation ne le cache pas cependant : elle cherche un guerrier capable de porter sa détermination « pour transformer des centaines de pages de thèse en une réalité vivante ». Deep Green Resistance veut accélérer l’effondrement de la civilisation industrielle. Elle soutient ainsi que les systèmes politiques, économiques et sociaux actuels ne parviendront pas à modifier la trajectoire de destruction de la planète.

« Pour sauver l’humanité, il faut faire sauter les points faibles des systèmes industriels. Leur chute aura un effet d’entraînement », assène Derrick Jensen. En avalant une gorgée du thé vert, Deanna appuie les propos littéraires de son mentor. « La seule volonté des populations pour changer de mode de vie ne va pas suffire à transformer nos sociétés. Nous devons forcer le pas. C’est en cela que notre organisation diffère des autres : nous ne prônons pas la décroissance, mais la déconstruction ».

 

 

Retour à l’état sauvage

Écoterrorisme, une terreur verte efficace? 3
Le FBI estime que depuis 1990, au moins 1200 actes d’éco-terrorisme ont été commis sur le sol américain ©DR

Deep Green Resistance hésite encore tandis que d’autres groupuscules sont passés à l’action. Le FBI estime ainsi que depuis 1990, au moins 1200 actes d’éco-terrorisme ont été commis sur le sol américain, causant pour 110 millions de dollars de dégâts. Il considère même aujourd’hui l’écologie radicale comme la principale menace terroriste après le fondamentaliste islamique. Un groupe en particulier inquiète les enquêteurs : les Individualités Tendant vers le Sauvage, ITS. Cette formation extrémiste a signé sa première action violente au Mexique en 2011, blessant grièvement un universitaire. Depuis, elle a revendiqué l’envoi de dizaines de colis piégés, l’assassinat d’un employé de la faculté de chimie de l’université du Mexique et au moins cinq attentats à la bombe dans le monde.

Le dernier, perpétré en janvier 2019 devant l’université de la capitale chilienne a fait cinq blessés. Un échec selon l’organisation qui dit regretter dans un communiqué « qu’elle n’ait tué personne ». Dans un autre de ses communiqués relayé par le blog espagnol Malédiction Ecoextrémiste (Maldición Eco-extremista), porte-voix officiel de l’organisation, elle résume sa pensée : « Tous les êtres humains civilisés méritent de mourir ». Son crédo est tout aussi simpliste : le retour à l’état sauvage et aux racines primitives de l’homme. Ses membres s’expriment peu : ils ont donné cinq interviews depuis leur création.

Dans une vidéo de 7 minutes adressée à la chaîne TV5Monde, un certain Xale qui se dit membre fondateur d’ITS décrit, encagoulé, les motivations de cette organisation : « Nous voulons participer à la déstabilisation de l’ordre établi, et prendre part à la paranoïa collective, pour terroriser les bonnes habitudes d’une société corrompue par son hypocrisie ». Son organisation serait présente dans sept pays, en Amérique latine (Mexique, Argentine, Brésil, Chili), et en Europe (Espagne, Grèce, Écosse).

 

En cause, l’inaction des puissances publiques pour réduire l’empreinte écologique de l’humanité

En France, les autorités jugent sérieusement cette nouvelle menace terroriste. Éric Denecé dirige le Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Ce think tank indépendant produit de nombreuses études sur la sécurité internationale. Son directeur court régulièrement les centres de formation militaire et de police pour expliquer aux jeunes recrues les processus de radicalisation qui transforment une cause légitime en source de violence.

Écoterrorisme, une terreur verte efficace? 1
Manifestation anti-Monsanto aux États-Unis © DR

« Les écoterroristes suivent un parcours de fanatisation idéologique, explique-t-il. Au départ, il y a un discours politico-philosophique qui agrège de plus en plus de fidèles et les convainc de s’engager dans une action militante. Les choses peuvent s’arrêter là. Mais il suffit de quelques individus radicaux pour faire basculer le mouvement. Avec l’idée que si l’opinion publique ne comprend pas la cause défendue, c’est qu’elle est aveugle et qu’il faut donc l’éclairer, même contre son gré. L’activisme violent devient alors une option sérieuse ».

Cet endoctrinement a un moteur : l’inaction des puissances publiques pour réduire l’empreinte écologique de l’humanité. Pas moins de 500 conventions internationales et multilatérales sur l’environnement sont nées de petites et grandes messes politiques de la biodiversité, du climat et des sciences de la vie. Sur les zones humides (Ramsar, 1971). La conservation de la vie sauvage, le commerce des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (Cites, 1973). La protection du patrimoine mondial (Unesco, 1972). La conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe (Berne, 1979). Les espèces migratrices, les cétacés, les couloirs écologiques, les zones d’exclusions de chasse, la diversité biologique, la lutte contre la désertification, les bois tropicaux… Mais faute d’une organisation mondiale pour les chapeauter, leur efficacité se dilue dans le flot des convoitises urbaines, industrielles et démographiques.

 

 

La Grande-Bretagne pour berceau

L’action directe du militantisme est née sur ce constat, en Grande-Bretagne dans les années 1960. Les protecteurs de la nature voulaient un arsenal juridique pour défendre le droit animal. Refus poli du parlement et première réaction des militants avec la création de la Hunt Saboteurs Association. La formation a multiplié les actes de rébellion jusqu’à obtenir en 2004 l’interdiction de la chasse à courre en Angleterre et au Pays de Galles.

Écoterrorisme, une terreur verte efficace? 4
© JOHANNA DE TESSIERES

Dans l’intervalle, de multiples groupuscules de défense animale se sont formés et deux parviendront à convertir à leur cause des milliers d’activistes. Déjà plus de 10 000 pour Animal Liberation Front (ALF) dont les campagnes ciblent principalement les laboratoires de recherche. Au moins autant pour le front de libération de la planète Terre ELF (Environmental Life Force). L’organisation a été fondée en Californie en 1977, dissoute, puis ressuscitée quelques années plus tard. Ses membres activistes s’appellent entre eux des elfes, référence aux créatures légendaires symbole de nature et de fertilité qui peuplent le folklore scandinave. « Ces mouvements extrémistes renaissent avec toujours plus de vigueur en s’enrichissant de l’expérience de leurs prédécesseurs », explique une source policière.

 

Plus efficaces, les actions pacifiques

Mais ont-ils raison ? Selon les travaux de la chercheuse en sciences politiques de l’université Harvard, Erica Chenoweth, sur lesquels se base la désobéissance civique d’Extinction Rebellion, les actions pacifistes ont deux fois plus de chances de succès (53%) que les mouvements violents (26%). Pour parvenir à ce résultat, la politologue a passé à la loupe plus de 300 épisodes révolutionnaires. Puis noté que bloquer plutôt qu’agresser éveille l’envie d’un compromis plutôt que d’une guerre civile. Logiquement, en obtenant l’adhésion du plus grand nombre, le message a plus de chances d’aboutir.

Selon les calculs de cette chercheuse, convertir 3,5% de la population peut suffire à renverser un régime ; comme ce fut le cas avec la révolution des Roses en Géorgie ou la révolution chantante estonienne qui a libéré le pays en 1991. Les groupes extrémistes connaissent ces chiffres. Mais ils savent aussi que dans la moitié des cas, les résistances pacifiques n’aboutissent pas…

Interrogée dans le JDD de dimanche 6 novembre au sujet des COP, l’économiste Laurence Tubiana affirme : « Le mouvement climat a connu plusieurs radicalités à des moments différents mais ça reste un mouvement fondamentalement pacifiste. Plus de 1700 écologistes ont été tués dans le monde entre 2012 et 2021. Et à ma connaissance, il n’y a pas eu un seul mort du fait d’un écoterroriste. […] Si j’avais 17 ans, je serais dans la rue avec eux ». ♦

 

Bonus

Suggestion de lecture. L’arbre-monde, de Richard Powers. L’auteur américain embrasse un sujet aussi vaste que l’univers : celui de la nature et de nos liens avec elle.
Après des années passées seule dans la forêt à étudier les arbres, la botaniste Pat Westerford en revient avec une découverte sur ce qui est peut-être le premier et le dernier mystère du monde : la communication entre les arbres. Autour de Pat s’entrelacent les destins de neuf personnes qui peu à peu vont converger vers la Californie, où un séquoia est menacé de destruction. Au fil d’un récit aux dimensions symphoniques, Richard Powers explore ici le drame écologique et notre égarement dans le monde virtuel.

Grand prix de littérature américaine en 2018.